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À Saint-Omer, le Musée Dupuis rouvre ses portes pour les Journées du Patrimoine

Par Antoine Bouchet


Dans la rue qui porte le nom de son créateur, à quelques dizaines de mètres de la cathédrale Notre-Dame de Saint-Omer, le musée Henri Dupuis est fermé au public depuis bientôt vingt ans. Ce week-end, les Journées du Patrimoine ont révélé aux curieux le travail accompli dans l’ombre par certains depuis des années pour mettre en valeur les collections du lieu.


À 75 kilomètres de Lille, le musée Sandelin a rouvert ses portes le temps d'un week-end. ©Musées de Saint-Omer

«Ça s’est rempli très vite, toutes les réservations ont été prises», se réjouit le gardien du musée Dupuis. En quelques semaines, les 240 tickets disponibles pour visiter le premier étage du musée à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, ce samedi 16 et dimanche 17 septembre, ont trouvé preneurs. Et pour cause : les Audomarois - habitants de Saint-Omer - ne peuvent plus se rendre au musée Dupuis depuis sa fermeture en 2004. Romain Saffré est également conservateur du musée Sandelin, le pendant de Dupuis au sein des musées de Saint-Omer. Il nous aide à retracer l’histoire de l’institution, depuis toujours étroitement liée à celle de Sandelin.


Sandelin et Dupuis, histoire croisée


Le premier inventaire de la collection du musée Dupuis remonte à 1929. Né en 1819, Henri Dupuis est un riche amateur d’art qui consacra sa vie à la création, la conservation et l’exposition d’une collection d’histoire naturelle. C’est seulement à partir de ce moment-là, quarante ans après la mort de son fondateur, que la ville rémunère un gardien pour se charger du musée. Jusqu’ici, c’est la Société des Antiquaires de la Morinie qui se chargeait de l’ouverture au public les dimanches après-midi.


«Ça a toujours été un lieu particulier, plus qu’une demeure de collectionneur», rappelle Romain Saffré. Si le rez-de-chaussée est d’apparence classique, avec ses salons privés, l’étage a été complètement aménagé par Henri Dupuis lui-même, de son vivant, pour mettre en valeur sa collection. Les œuvres étaient ainsi abritées derrière de grandes vitrines créées sur mesure. Celles-ci couvrent complètement les salles de l’aile nord du premier étage. «Il y a environ 120 portes au total, mesurant chacune 70 à 80 centimètres de large, et séparées du plafond d’à peine cinquante centimètres», précise le conservateur.


Les vitrines du premier étage. ©Musées de Saint-Omer

Entre 1896 et 1904, le musée Sandelin copie d'ailleurs les vitrines Dupuis. Tombé dans le giron de la municipalité au XIXe siècle, cet hôtel particulier du XVIIIe accueille aujourd’hui les Beaux-Arts de Saint-Omer. Cependant, Sandelin n’imite pas seulement le style de Dupuis. Dans les années 1970, la galerie de céramique - autrefois présentée au rez-de-chaussée de Dupuis - y est transférée. Riche de 4 000 à 5000 objets, elle était l’un des trésors du musée. Reste encore à Dupuis les coquillages. «40 000 pièces, l’une des plus importantes collections d’Europe», nous apprend Romain Saffré. Ce sont eux qui étaient initialement exposés derrière les fameuses vitrines. D’autre part, le musée Dupuis conserve 3 500 minéraux et une collection de paléontologie. Le volume de celle-ci, estimé entre 2 000 et 4 000 pièces, n’est pas connu exactement. «Ça fait seulement 4 ans qu’on répertorie ce qui a trait à l’Histoire naturelle au musée», indique Romain Saffré. «Le premier conservateur a uniquement inventorié les peintures et les gravures, il y a eu un tropisme durant des décennies», maugrée-t-il. Dans les années 1950, alors que les effectifs des musées Sandelin et Dupuis sont constitués seulement d’un gardien et d’un conservateur, celui-ci décide de réorganiser l’ensemble des collections. C’est à ce moment que les beaux-arts partent à Sandelin. L'histoire naturelle, en revanche, atterrit à Dupuis, au premier étage. En 1955 puis 1957, le musée Sandelin est classé aux Monuments Historiques. Hélas, malgré plusieurs demandes, Dupuis n’aura jamais cette chance.


Dans les années 1970, la mue de Dupuis se poursuit. «En 1971-72, les musées de Paris ont été missionnés pour créer des dioramas» (ces vitrines où des animaux empaillés sont exposés dans leur milieu naturel recréé). Des lambris ont été déposés, le papier peint arraché. Le sol d’origine a aussi disparu, comme les moulures au plafond. «On ne voit plus le format des pièces d’origine au rez-de-chaussée. Seule demeure la cuisine flamande. Ces destructions correspondent à la volonté de monter en gamme dans la gestion des musées en France à cette époque», déplore Romain Saffré.


Mort et renaissance du musée Dupuis


En 1996, la ville de Saint-Omer décide de lancer un grand projet de rénovation du musée Sandelin. Le surcoût des travaux est énorme, du personnel est recruté. C’est à ce moment-là que la ville décide de fermer définitivement le musée Dupuis - en mauvais état - en 2004. Depuis, le budget des musées de Saint-Omer a quasiment doublé, sans toutefois bénéficier autant à Dupuis. Jusqu’en 2014, rien ne se passe. Puis en 2014, Marie-Lys Marguerite, la prédécesseure de Romain Saffré, en poste depuis 2011, reprend les choses en main. «C’était un sacré bazar à l’étage. Les vitrines étaient sales, on ne pouvait même plus circuler à cause des œuvres d’art entassées pêle-mêle au milieu des conditionnements.»


À son arrivée à la tête de l’établissement culturel en 2016, Romain Saffré poursuit cette première phase entamée en 2014, et achevée en 2020. Depuis fin 2017, un escape game est organisé par l'Office de tourisme au rez-de-chaussée. Le déplacement de quelques œuvres et l'aménagement du vestibule ont permis l'organisation de cet événement récurrent, qui a lieu jusqu'à plusieurs fois par jour en fonction du nombre de réservations. «En termes de conservation, tout est sous vitrine dans les dioramas, donc ce n'est pas gênant», rassure le conservateur. Au contraire : cette activité permet de faire connaître le musée au public par un moyen ludique. D’ailleurs, le musée discute actuellement de la possibilité d’ajouter des éléments de la vie de Henri Dupuis à l’un des deux circuits actuellement proposés.


En 2018, une première exposition sur les minéraux voit le jour à Sandelin. Puis, le conservateur entreprend un début d’inventaire partiel avec l’aide de la DRAC, la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Au cœur du projet : le chantier d’inventaire des oiseaux, auquel le Covid met un coup d’arrêt, mais qui reprend en novembre 2021. Des Amis des Musées de Saint-Omer, tous bénévoles, viennent chaque mercredi après-midi, durant 3 heures, pour mener à bien cette tâche. «Il y a un poste de dépoussiérage-étiquetage, celui d’inventaire à proprement parler où les oiseaux sont photographiés et inventoriés sur un ordinateur, et le rangement à proprement parler des spécimens», énumère le conservateur.

Le plumage des oiseaux a retrouvé son éclat d'antan. ©Musées de Saint-Omer

Depuis le 8 avril et jusqu’au 31 décembre, une exposition au musée Sandelin, intitulée «À Plume !», rend compte des efforts de ces passionnés à travers la présentation des volatiles restaurés, certains datant du XIXe siècle, sur le thème de leur reproduction. Pour les Journées du Patrimoine, les volontaires avaient un nouveau défi : permettre au public d’admirer les oiseaux au musée Dupuis. Marie-Josée, enseignante à la retraite, vient mettre la main à la pâte régulièrement depuis deux ans : «Je m’occupe surtout du nettoyage des oiseaux. On les a replacés en vitrine pour que les gens puissent les redécouvrir. Le dépoussiérage a pris beaucoup de temps, ce sont des pièces fragiles. On nettoie les yeux et les becs à l’aide d’une soufflerie, puis on leur met une belle étiquette et on les répertorie sur un logiciel », témoigne l’Amie du musée. Ils sont toujours 5 à 6 à travailler de concert avec les équipes du lieu.


Bien qu’elle n’ait pas complètement fini d’être inventoriée, la collection est estimée à 6800 spécimens. «C'est la plus plus intéressante de toutes», s'exclame Romain Saffré. La majorité n'a pas été rassemblée par Henri Dupuis mais par un autre collectionneur, décédé en 1917. L'ensemble du fonds a achevé d'être dépoussiéré il y a cinq mois. D'ici la fin de l'année, il devrait avoir été répertorié et rangé.

Un Ami des musées de Saint-Omer photographie des spécimens pour les inventorier. ©Musées de Saint-Omer

Une réouverture malgré tout impossible ?


Pour le conservateur des musées de Saint-Omer, les Journées du Patrimoine sont toujours l'occasion de faire connaître au public l'avancement des travaux. En 2019 et 2021, la cour, le jardin et la cuisine flamande étaient ouverts au public. En 2022, c'était le chantier des oiseaux in-situ, et cette année, les résultats dudit chantier donc.


En dépit du succès du musée Dupuis à cette nouvelle édition des Journées du Patrimoine, le musée ne semble pas prêt de rouvrir. « Un élu chargé de la culture était venu visiter en 2020, il avait été enthousiasmé, mais ça n’a rien donné », se souvient un témoin de l'événement. Car les devis pour rénover le musée, qui n’est pas classé aux Monuments historiques, contrairement à Sandelin, sont très élevés. « On ne peut pas reprocher à la municipalité de ne pas s’occuper de son patrimoine », reconnaît ce même acteur de la scène culturelle locale. À plusieurs reprises, Saint-Omer a été la commune de France qui investissait le plus pour son patrimoine comparé à son nombre d’habitants. Plusieurs millions d'euros ont été dépensés ces vingt dernières années en ce sens. Motte castrale médiévale, remparts du XVIIe siècle, églises… les chantiers ne manquent pas.

240 Audomarois ont à nouveau foulé le plancher du premier étage du musée Dupuis ce week-end. ©Musées de Saint-Omer

Ni l’agglomération, le département ou la région ne souhaitent pour l’instant financer les travaux de gros œuvre qui s’imposent - notamment au niveau du toit - pour une réouverture. Romain Saffré garde malgré tout espoir : « des lieux comme ça, il y en a quatre ou cinq en France, pas plus. Il faut les préserver ».

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