À Cluny, deux artisans et deux designers questionnent la polychromie des sculptures médiévales de l’abbaye
- Nicolas Bousser
- 20 avr.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 avr.
Nul ne peut aujourd’hui ignorer le fait que les édifices religieux médiévaux se paraient bien souvent de couleurs chatoyantes. Les cathédrales gothiques attirant de nos jours encore les foules étaient en effet peintes, y compris sur leurs parties extérieures. Plusieurs décennies plus tôt, les grands édifices « romans » présentaient déjà un dispositif similaire. C’est notamment le cas pour ce qui fut pendant bien longtemps le plus grand ensemble de la chrétienté, la Maior Ecclesia de l’abbaye de Cluny, dite aussi Cluny III (1088-1130), détruite à partir de 1798 (l’une des nombreuses pertes majeures de la période révolutionnaire…).

©NB pour Coupe-File Art
Partant de ce constat, la Fabrique du Patrimoine d’Autun propose durant quelques jours une exposition tout à fait passionnante consistant en une relecture de cette polychromie des décors sculptés clunisiens. Une démarche artistique entre Patrimoine et Création, deux notions centrales pour l’association créée par Louise Oliveres en 2021 (voir ici notre article). Pour ce faire, plusieurs acteurs ont travaillé de concert dans ce projet. Tout commence il y a 15 ans avec le sculpteur Philippe Griot qui, à l’occasion de l’exposition « Cluny 910-2010 », réalise des moulages à partir d’un ensemble de sculptures issues de l’abbaye et de l’architecture civile clunisienne. Après plusieurs années de maturation et des collaborations renouvelées avec Morgan Hubert, restaurateur de peintures murales et directeur de l’atelier ARCAMS (Atelier de Restauration et de Conservation d’Art Mural et Sculptures), émerge une idée directrice : les moulages du sculpteur doivent cesser d’être de simples copies et se transformer en support vierge pour l’expérience d’une polychromie voulue par le restaurateur (qui se transforme par certains aspects ici en peintre créateur). Entre histoire et fiction et après avoir travaillé sur des chantiers d’importance comme la restauration de la chapelle de Jean II de Bourbon, les deux hommes et Louise Oliveres mettent le projet en œuvre, comme un passage de Cluny III à un Cluny IV fantasmé.

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C’est ainsi que des pièces bien connues du dispositif sculpté de Cluny III voient leur polychromie étudiée et réimaginée. La tête de l’un des deux anges-atlantes qui supportaient le linteau du tympan du portail de l’abbaye, chef-d’œuvre du musée d’art et d’archéologie qui faisait justement la couverture du catalogue de l’exposition « Cluny 910-2010 », est sans doute la relecture la plus marquante. Comme une progression, l’exposition s’ouvre sur cette tête qui n’est que partiellement colorée pour se fermer sur des fragments entièrement peints et ornés d'éléments issus d’une documentation pointue mais aussi de l’imagination directe de Morgan Hubert.
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L’autre point d’intérêt de la présentation est la scénographie : elle a été imaginée par deux designers, Sacha Parent et Valentine Tiraboschi lors d’une résidence à Autun, au sein de La Fabrique du Patrimoine, en janvier 2025.

Dans la mission qu’elle s’est donnée de rapprocher l’artisan du designer, Louise Oliveres s’est rapidement tournée vers les deux créatrices et leur travail autour d’une nouvelle grammaire ornementale.
Cette grammaire s’incarne dans un procédé mis au point et perfectionné pour l'occasion : « le Décor par le sable » où tout repose sur l’écoulement de la matière. C’est le sable qui génère les ornements. Il est ensuite figé et transposé dans des volumes en plâtre pour s’inscrire dans des typologies architecturales telles que les chapiteaux ou les consoles sur lesquels viennent se poser les reproductions des sculptures romanes, « comme les vestiges éparpillés d’un site archéologique » poétise le panneau de salle.

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En somme, cette petite exposition, présentée dans la salle Victor Duruy face à l’abbaye, est une fantastique collaboration entre plusieurs acteurs et savoir-faire. Création, restauration, conservation, et étude des données historiques s’y mêlent pour notre plus grand plaisir. Il faudra dans les prochaines années réitérer l’opération mais cette fois-ci dans l’abbaye. Des discussions sont en cours en ce sens… En espérant qu’elles aboutissent.
