Par Joséphine Journel
Le Centre Pompidou invite ses visiteurs, jusqu'à la fin de l'année, à un voyage halluciné dans l'univers du Surréalisme. Pareil à un chef d'orchestre habité par une musique sauvage, l'Ange du foyer de Max Ernst est à l'affiche de cet évènement célébrant le centenaire d'un mouvement sédimenté en 1924 par la publication du Manifeste du Surréalisme d'André Breton.
Ce tableau semble personnifier à lui seul cet enfant terrible des avant-gardes : il représente un monstre polymorphe, au corps assemblé-collé hybridant l'animal et le végétal. Avec ce génie jubilatoire, Max Ernst s'adonne aussi à un jeu sémantique : le surréalisme, né de la cuisse des poètes, en était friand ! Car on peine à croire que cet histrion bigarré incarne sagement un ange domestique. Ne s'agirait-il pas plutôt d'un génie du feu, poussé hors du foyer par les vents, exultant d'avance de ses prochaines destructions ? Allégorie du fascisme - Max Ernst fuira l'Europe et prophétise ici son propre exil - la bête semble prête à allumer un nouvel incendie. Le ton est donné.
Le parcours de l'exposition est en effet long et aventureux, composé à la manière d'un labyrinthe en treize salles thématiques. Chacune d'elle met à l'honneur un motif poétique cher aux surréalistes : l'artiste médium, le rêve, l'amour fou, les chimères, la nuit, le politique... Au centre de ce dédale est exposé un prêt exceptionnel de la Bibliothèque Nationale de France : le manuscrit du Manifeste, de la main d'André Breton.
Se considérant comme l'alpha et l'oméga de son propre groupe, André Breton avait dressé le panthéon et la genèse de la surréalité. Lautréamont, le marquis de Sade, Lewis Caroll y prennent place en tant que leur littérature faisait du désir et de l'irrationnel le cœur de notre psyché et le moteur de nos actions. A travers la figure de Mélusine, d'Eros, de l'alchimiste à la recherche de la pierre philosophale ou de la Mère originelle, les surréalistes actualisent des mythes fondateurs, promesses de perpétuelles transformations et d'existences transfigurées. Des artistes romantiques et symbolistes comme Victor Hugo ou Odilon Redon, ayant prêté l'oreille et le pinceau aux rêves et à leurs chimères, intègrent la genèse du mouvement,
Le groupe se prend de passion pour les théories de Freud sur l'Inconscient au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. De l'expérience des tranchées, l'art doit retenir la confrontation, la violence des contraires et l'irrationnalité de nos désirs. André Breton s'empare de « la voie du rêve » et place la psychanalyse à la racine de l'art médiumnique tel que le pratiquent les surréalistes : cadavres exquis, récits oniriques, libre association des images ... « Machine à chavirer l'esprit » d'après Louis Aragon, le surréalisme se constitue de nombreux protocoles qui structurent une pratique de groupe. L'exposition revient longuement sur la sociabilité, les amitiés d'artistes, les individualités fortes et l'extraordinaire transcidiplinarité de cette sensibilité. Le goût de l'absurde se diffuse donc non seulement la littérature et la peinture, mais l'ensemble des arts graphiques, la photographie, la sculpture, cinéma et la danse.
Bien loin de coller à une vision parisiano-centrée du mouvement, on peut admirer et replacer à leur juste valeur des sensibilités surréalistes issues des pays d'Europe de l'Est, des Etats Unis, d'Amérique latine et d'Asie.
L'immense apport de l'exposition réside également dans l'opportunité inédite jusqu'à présent d'y voir quantité d'œuvres produites par des femmes artistes. Le parcours revient non seulement sur leurs productions picturales, graphiques et photographiques mais également sur l'histoire de leur réception. À l'image de Dora Maar, Claude Cahun ou Valentine Hugo, certaines ont bénéficié d'une reconnaissance internationale plus tôt. D'autres comme Léonora Carrington, Dorothéa Tanning, Grace Pailthorpe, Leonor Fini, Ithell Colquhoun ou Remedios Varo interpelleront les amateurs pour la première fois. Ces contributrices au surréalisme, reléguées dans l'ombre de l'histoire de l'art, apparaissent ici dans toute la justesse de leur imaginaire explosif. Enfin, il ne sera plus possible d'oublier qu'elles aussi auront été voyantes.
Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle,[...] elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. Arthur Rimbaud, Lettre du Voyant, à Paul Demeny, 15 mai 1871
L'exposition offre ainsi une relecture contemporaine du récit surréaliste et célèbre plus de quarante ans de création. D'aucun critiqueront sans doute la longueur de l'exposition, mais il n'en fallait pas moins pour rendre compte de l'extraordinaire longévité de cette aventure. En effet, si le mouvement s'éteint structurellement dans las années 1960, l'art contemporain à travers le monde a phagocyté nombre de ses apports. Coupe-File vous invite donc à découvrir cette exposition-fleuve au plus vite, avant la fermeture imminente des collections du musées jusqu'en 2030 !
Informations
Exposition du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025
Galerie 1, niveau 6
Tous les jours (sauf mardi) : 11h - 21h
Place Georges Pompidou
75004 Paris
Sur la piste du Paris surréaliste
Le Comité Professionnel des Galeries d'Art et l'Association Atelier André Breton s'associent pour déployer de nombreux évènements hors les murs : 40 galeries et 10 librairies prolongent la programmation de l'exposition autour de monographies, parcours thématiques, évènements liés aux arts plastiques, à la littérature, la poésie, le cinéma.
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