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Antique et architecture en Europe dans la première moitié du XIXe siècle


Dès les années 1750, dans le domaine de l'architecture, une volonté de retour aux préceptes de l’antiquité voit le jour avant de fortement se développer dans la première moitié du XIXe siècle. Les architectes pensent alors, en redécouvrant ces préceptes, remonter aux sources mêmes de l’architecture et revenir à une pureté perdue. Entre perfection structurelle et valeur politique, l’architecture d'inspiration antique telle qu’elle se développe revêt en vérité plusieurs significations.


Fig.1 : Robert Smirke, Colonnade du British Museum, 1823. Gravure H. Adlard d'après F. Mackenzie.


Recherche de pureté, "remonter aux sources de l'architecture"


Dans leur quête de l'antique, les architectes recherchent la majesté architecturale, majesté qui s’incarne dès 1794 en France, dans le modèle du temple périptère sur socle proposé par Durand et Thibault dans un projet de temple à l’Egalité. Ici, le modèle du temple antique est réinterprété dans une forme encore plus épurée. Il n’y a donc pas de vision véritablement archéologique. Les colonnes sont de forme carrée et présentent en leur sommet des têtes de femmes, les vertus de la nation. Avec ses six colonnes en façade, le temple est comme séparé de la ville de par son élévation sur socle. L’accès se fait par une volée de marches. Ce projet, même s’il ne sera jamais réalisé, aura une très grande influence sur des architectes européens comme Léo von Klenze. Il est à noter que l’architecture de la période révolutionnaire restera globalement une architecture de papier.


Fig. 2 : J. N. L. Durand et J. T. Thibault, Projet de temple de l’Égalité, An II (1793-94), copie par Leo von Klenze. La France est le premier pays à adopter le modèle de temple périptère quelques années plus tard. Dès 1806, le projet de Vignon pour un temple à la gloire des armées françaises, l’actuelle église de la Madeleine achevée en 1842, présente des colonnes à futs cannelés et chapiteaux corinthiens s’intégrant dans un vaste édifice sur socle. De même, le palais Bourbon dessiné par Bernard Poyet et le Palais Brongniart conçu par Alexandre Théodore Brongniart, dont les travaux débutent respectivement en 1806 et 1807, reprennent la colonnade d’ordre corinthien en façade surmontée d’un vaste fronton sculpté, sans pour autant reprendre le plan complet du temple périptère. Ce modèle se retrouve en Allemagne, au Walhalla, édifié en 1830 et 1842 sur les plans de Leo von Klenze pour Louis Ier de Bavière. L’architecte allemand a justement été marqué par le projet de Thibault et Durand. Il livre ici un vaste temple sur une très haute base bardée de rampes d’accès, rapprenant le modèle pur du Parthénon. Frises à l’antique et marbre rose : le modèle est sans appel grec.


Fig. 3 : Leo van Klenze, Walhalla, Donaustauf. 1830 - 1842. ©SimonWaldherr

Fig. 4 : Leo van Klenze, Wahalla (intérieur), Donaustauf. 1830 - 1842


Mais les architectes vont pousser plus loin leurs recherches de pureté, ce qui donne lieu dès la fin du XVIIIe siècle à l’utilisation de l’ordre dorique grec, notamment en Angleterre avec le Greek Revival. Dépourvu de base et présentant des chapiteaux très simple, ce modèle donne la sensation d'un vrai retour aux origines de l’architecture. Robert Smirke, avant d’incorporer le modèle ionique du Temple d’Athéna Polias de Priene à sa colonnade dessinée pour le British Museum en 1823, réalise en 1808-1809 le Théâtre Royal de Covent Garden en y incorporant un portail dorique grec sans base, ramené dans ses bagages à son retour de Grèce où il se montre profondément ébloui par la simplicité antique. Entre 1809 et 1816, c’est William Wilkins qui a recourt à l’utilisation de cet ordre épuré dans la modification d’une villa du XVIIe siècle, La Grange à Northington. Il enveloppe l’ancienne structure de façades classiques et ajoute un portique à six colonnes, d’ordre dorique grec sans base. En Allemagne, Karl Friedrich Schinkel se montre sensible à cette ordre de simplicité dans la conception de sa Neue Wache à Berlin, monument édifié entre 1816 et 1818. L’édifice atteint un sommet de simplicité, présentant le portique à six colonnes d’ordre dorique grec sans base, et de grandes surfaces lisses sans fioritures ornementales. Il fut probablement lui aussi très marqué par le projet de Durand et Thibault. À noter que Durand diffuse également ses idées dans les cours qu’il dispense à l’Ecole Polytechnique dès 1795, donnant lieu à la publication en 1805 du Précis des leçons d'architecture données à l'École polytechnique.

Fig. 5 : Covent Garden Theatre, published in Metropolitan Improvements or London in the Nineteenth Century, 1827.

Fig. 6 : William Wilkins, La Grange, 1809-1816. Northington. ©AnthonyMcCallum

Fig. 7 : Karl Frederik Schinkel, Neue Wache, 1816-1818. Berlin ©Ansgar Koreng

Fig. 8 : Robert Smirke, Colonnade du British Museum, 1823, Londres ©Stephen Richards


Enfin, la recherche de pureté dépasse dans les années 1815 le cadre du simple édifice et s’incarne dans des ensembles urbains. L’exemple le plus représentatif est la Königsplatz de Munich, dessinée par Leo von Klenze pour Louis 1er de Bavière en 1816. Après l’achat des marbres d’Egine, Louis 1er demande à l’architecte de dessiner une Glyptothèque mais aussi des Propylées sur le modèle de ceux de l’Acropole, le tout s'insérant dans une vaste place. L’architecture est sans base, massive et nue.


Fig. 9 : Leo van Klenze, Königsplatz, 1816. Munich ©Tkarcher



Entre force politique et aura tutélaire des augustes temps anciens, les différentes symboliques que revêt l’utilisation du vocabulaire antique


Sous le Directoire, l’architecture antique doit exprimer la grandeur de la Nation. L’objectif est politique. Durand et Thibault livrent leur projet de Temple à l'Egalité, écrin sacré pour les rituels civiques sur lequel est inscrit : « Les vertus du peuple sont les plus fermes soutien de l’Egalité ». Le modèle antique est donc modèle de vertu. De même, l’occultation des baies du Panthéon en 1791 reprend un modèle précis en plus d’incarner l’idéal néo-classique de « boîte fermée », celui de cella, lieu le plus sacré du temple. Ce bâtiment clos devient donc un haut lieu pour les révolutionnaires, la dernière demeure des hommes illustres et martyres. L’idée néo-classique de boîte close n’est cependant pas systématiquement sacrée. En effet, les plans des barrières d’Octroi dessinés par Ledoux ou encore certains projets de Boullée reprennent cette idée, ce dernier utilisant des formes idéales comme la sphère dans ses conceptions. Cette idée de grandeur de la Nation exprimée dans le vocabulaire antique se retrouve en Allemagne, avec le Walhalla dessiné par von Klenze (1830-1842). Le nom même de l’édifice est significatif. Le terme Walhalla revoie au paradis des guerriers dans la mythologie nordique. Il y a donc une volonté d'exhalation du concept de nation allemande, en réaction aux conquêtes napoléoniennes, dans l’adoption du modèle grec antique, renvoyant sans aucun doute à la force politique mais aussi militaire qu’eurent jadis Athènes ou encore Sparte.


Fig. 10 : Claude-Nicolas Ledoux, Barrière Saint-Martin, La Villette, 1784-1788

Fig. 11 : Etienne-Louis Boullée (1728-1799), Projet de Cénotaphe

Fig. 12 : Etienne-Louis Boullée (1728-1799), Salle d'opéra projetée sur l'emplacement du Carrousel


Si le modèle architectural révolutionnaire en France renvoie plutôt à la République romaine, celui du Consulat puis de l’Empire se réfère à l’Empire romain. Le motif de l’arc de Triomphe devient tout d’abord une obsession pour Napoléon. Deux chantiers majeurs s'ouvrent en 1806, celui de l’Arc de Triomphe de l'Étoile dessiné par Chalgrin et celui de l’Arc de Triomphe du Carrousel conçu par Percier et Fontaine. Tous deux reprennent des modèles existants, respectivement l’Arc de Titus et l’Arc de Constantin à Rome. Ce modèle d’Arc de Triomphe se retrouve dès 1797 jusque dans le mobilier, avec le bureau livré cette année-là à Joséphine de Beauharnais pour son hôtel de la rue de la Victoire par les frères Jacob. L’idée de Napoléon est donc claire, l’antique est lié au militaire, à la victoire et doit exalter ses armées, son statut d’Empereur. Ainsi, la colonne de la place Vendôme est édifiée en 1810 avec le bronze des canons pris à l’ennemi à Austerlitz sur le plus pur modèle de la colonne Trajane à Rome.


Fig. 13 : Jean-François Chalgrin, Arc de Triomphe de l'Étoile, Paris. 1806 - 1836. ©Jiuguang Wang

Fig. 14 : Arc de Titus, Rome. Après 81 ap. J-C. ©Jean-Pierre Dalbéra

Fig. 15 : Charles Percier et Pierre Fontaine, Arc de Triomphe du Carrousel, Paris. 1808-1809 ©Thesupermat

Fig. 16 : Arc de Constantin, Rome. 315 ap. J.-C. ©Livioandronico2013


Toutes ses symboliques vont prendre un sens et s’incarner ensemble dans les villes à partir des années 1850. Avec les grands chantiers urbanistiques, les villes se parent de monuments dont l’architecture reflètent la fonction. Si le côté militaire de la référence antique voulu par Napoléon ne s’observe plus vraiment, l’association de la justice et la politique à l’antiquité est plus forte que jamais. A Vienne, le Ring construit à partir de 1857 se pare d’édifices centraux. La mairie est associée à une architecture néo-gothique, le Kunst Historisches Museum à la Renaissance, le temps des Arts, tandis que le Parlement est bâti dans un style néo-antique à colonnade. La politique est donc une nouvelle fois associée à l’antiquité, à la démocratie athénienne. De même, le Palais de Justice de Lyon bâti entre 1835 et 1847 sur les plans de Baltard reprend la colonnade antique en façade, une colonnade ô combien symbolique puisqu’elle comporte 24 colonnes symbolisant l’action permanente de la justice (24h sur 24).


Fig. 17 : Theophil Hansen, Parlement autrichien, Vienne. 1874-1884.

Fig. 18 : Louis-Pierre Baltard, Palais de justice de Lyon, 1835-1847. © Benoît Prieur / Wikimedia Commons / CC BY-SA 4.0


Mélange des styles et éclectisme naissant : non pas une mais des Antiquités


Dès le début du XIXe siècle, les références à l’antiquité sont disparates. Référence à la Démocratie athénienne, à la République romaine, à l’Empire romain se mêlent. Mais d’autres antiquités sont explorées. En effet, le mélange de styles se retrouve dès l’Empire. La campagne d’Egypte menée en 1798 par Bonaparte marque les esprits et entraîne un engouement pour l’Egypte. Si ce style « retour d’Egypte » s'incarne surtout dans le mobilier et les productions de la manufacture de Sèvres, il est aussi palpable en architecture. Les architectures romaine ou grec peuvent alors être embellies d’éléments égyptisants. Sphinges et cariatides égyptiennes s’associent au vocabulaire néoclassique. L’Hôtel de Beauharnais présente par exemple un portique égyptien ajouté vers 1803, attribué à Jean-Augustin Renard. Fleurissent également divers essais d’utilisations de colonnes palmiformes. La Fontaine du Fellah, édifiée entre 1803 et 1806, semble ne reposer que sur la référence antique tandis que la Fontaine du Palmier commandée en 1806 se pare d’une Victoire de canon antique par Antoine-Louis Boizot mais aussi de sphinx sculptés par Henri-Alfred Jacquemart.


Fig. 19 : Jean-Augustin Renard, Portique égyptien de l'Hôtel de Beauharnais. Vers 1803.

© Francis Hammond/Flammarion


De plus, les recherches archéologiques et la volonté d’adoption d’une démarche plus scientifique conduisent à de nouvelles hypothèses sur la polychromie des sculptures mais aussi des bâtiment antiques, donnant lieu à divers essais. En Allemagne, ces recherches s’incarnent avec Schinkel dès les années 1810-1820. L’Altes Museum de Berlin, bâti sur ses plans entre 1823 et 1828, s’orne de peintures murales en extérieur. De même, le « Pompeianum » dessiné par Friedrich von Gärtner en 1842 se pare d’une polychromie intérieure et extérieure sur le modèle de la Villa Castor et Pollux de Pompéi. En France, la polychromie sera surtout utilisée dans les années 1840 par Hittorff mais restera plus discrète en extérieur comme sur le Cirque d’Hiver (1852).


Fig. 20 : Friedrich van Gärtner, le Pompeianum, Aschaffenbourg. 1840-1848 ©Sven Teschke

Fig. 21 : Jacques-Ignace Hittorff, Cirque d'Hiver, Paris. 1852. ©DXR


Elle connaitra en revanche un grand succès en intérieur, comme au Pompeianum, sur le modèle de la villa Pompéienne. En effet, les années 1850 voient le glissement du modèle de la villa antique, pompéienne, dans le domaine de l’architecture privée. Ainsi, le Prince Napoléon se fait construire entre 1856 et 1860 une villa pompéienne sur les plans de Hittorff, Rougevin et Normand. La polychromie intérieure, immortalisée par Gustave Boulanger en 1860, reprend dans un format archéologique le décor de la villa pompéienne. Ce goût pour la villa antique fidèlement reconstituée s’étend jusqu’au début du XXe siècle. On peut notamment citer la Villa Kérylos, villa « grecque » bâtie entre 1902 et 1908 par Emmanuel Pontremoli.


Fig. 22 : Gustave Boulanger, Répétition du joueur de flûte et de la femme de Diomède chez le prince Napoléon dans l'atrium de sa maison pompéienne, 1860, Château de Versailles.

L’architecture antique a donc eu une très grand influence sur la production architecturale de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, mais une influence multiple. Il n’y a pas une mais des architectures antiques. A la fin du XVIIIe siècle, l’aspect pur de l’architecture grecque prime mais déjà se teinte d’une signification particulière. La Révolution et l’Empire utiliseront l’auguste modèle de l’antique dans une optique d’affirmations politique et militaire. L’idée même du rapprochement de l’antiquité et de la chose publique sera reprise jusque dans les années 1850. Aborder la notion d’egyptomanie est intéressante puisqu’elle permet de montrer l’éclectisme croissant palpable dès l’Empire. L’Egypte ancienne devient une source antique. L’entrée et l’avancée dans le XIXe siècle induisent une rigueur scientifique, un intérêt croissant pour l’histoire et un travail archéologique dans l’utilisation du vocabulaire antique. Nous pouvons citer là les essais sur la polychromie, qui devient une question longuement étudiée dès les années 1810. Et de plus en plus, le vocabulaire antique se mêle à des références historiquement plus récentes. A Munich par exemple, Louis 1er de Bavière fait appel à d’anciens Nazaréens, chantres du romantisme allemand, pour décorer sa Glyptothèque tandis que le temple bâti par von Klenze prend le nom de Walhalla, portant en lui les principes d’affirmation de la nation et de retour aux traditions et légendes prônés par le Romantisme.

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