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Dans l’Italie de Gino Coppedè | Entre Gênes, Florence et Rome

  • Photo du rédacteur: Solene FEIX
    Solene FEIX
  • il y a 9 heures
  • 6 min de lecture

Par Solène Feix


Détour à Rome, dans le quartier Coppedè, du nom de son architecte Gino Coppedè (1866-1927). Ce fragment urbain au style résolument éclectique se niche au cœur de la capitale italienne, que l’on visite le plus souvent pour ses emblématiques sites antiques. L’architecture de ce quartier singulier, situé non loin de la galerie Borghèse, témoigne de l’histoire et de l’imaginaire d’une famille d’architectes et artistes italiens marqués par l’éclectisme. Avant de débuter cette promenade dans la ville éternelle, il convient de s’attarder sur la trajectoire de ce nom, Coppedè.


La famille Coppedè, une signature plurielle


À cheval entre les XIXᵉ et XXᵉ siècles, les Coppedè forment une famille d’artistes, et particulièrement d’architectes, dont émerge la figure de Gino. Originaire de Toscane, celui-ci débute dans l’atelier paternel comme sculpteur sur bois avant de s’orienter progressivement vers l’architecture. Ses premières réalisations voient le jour dans sa région d'origine, tandis que Rome ne devient pour lui un terrain d’intervention que plus tard dans sa carrière. En effet, il débute sa profession d’architecte plutôt au nord de la péninsule, à Padoue, Bologne et surtout en Ligurie, frontalière de la Toscane. Gino Coppedè y crée sa propre version de la typologie de « villa-château » de style éclectique, intégrant une grande variété de références historiques. Pour sa réalisation, il tire parti de l'expérience de la Casa Artistica, l'atelier de son père Mariano Coppedè (1839-1920), à Florence.


Comme souvent par le passé, et parfois encore aujourd’hui, les architectes - ou plus largement les artistes - s’inscrivent dans de véritables dynasties familiales : l’apprentissage s’y transmet au sein même de l’atelier, de la bottega, pour reprendre le terme italien. Dans le cas des Coppedè, l’atelier familial siège à Florence dès 1873 et se spécialise dans la sculpture sur bois, le mobilier et la décoration intérieure. Initialement dirigé par Mariano Coppedè, l’atelier familial voit ses fils prolonger et diversifier l’héritage paternel. Gino et Adolfo (1871-1951) s’orientent vers l’architecture, le premier travaillant surtout sur des chantiers d’envergure nationale, tandis qu’Adolfo étend progressivement son activité à l’échelle européenne. Carlo (1868-1952), quant à lui, se consacre à la peinture.

L’histoire de l'atelier est marquée par une date décisive : 1885, année de son déplacement mais aussi d’un nouveau nom : Maison artistique. Cette dernière se donne alors pour mission l’étude intégrale des arts, veillant à la mise en valeur de toute expression du beau. C'est Gino Coppedè qui signe l'architecture du lieu, constituant ainsi l'un de ses premiers chantiers d'importance, réalisé entre 1885 et 1890. Au service de sa famille, il conçoit et réorganise le siège de la Maison Artistique dans un style éclectique mélangeant le néo-Renaissance, le néo-médiéval avec quelques touches d’Art nouveau. Ce lieu devient une vitrine commerciale pour la famille et sert ensuite de référence, notamment pour le chantier du Castello Mackenzie en Ligurie, commandé par l'assureur Evan Mackenzie, réalisé par le même architecte et suivant un modèle lui aussi empruntant au « néo ». Ce chantier prend ses racines sur une villa préexistante et devient une villa-château entre 1893 et 1905 sur un projet de Gino Coppedè,

Gino Coppedè, Castello Mackenzie. © Delcampe
Gino Coppedè, Castello Mackenzie. © Delcampe

C’est ainsi que cette typologie de villa-château voit le jour et est ensuite réutilisée par l'architecte, accompagné de son équipe de divers artisans, dont des sculpteurs, des forgerons et des peintres (notamment son frère Carlo Coppedè), travaillant de concert au château Mackenzie.


Ce qui devient le style « Coppedè »


L’exemple du Castello Mackenzie constitue pour Gino Coppedè une première reconnaissance à l’échelle nationale. Cette formule architecturale rencontre un large succès à Gênes, où l’architecte la décline ensuite pour plusieurs projets similaires dans cette région bordée par la mer : les châteaux Turckle à Capo di Santa Chiara, Coppedè à Priaruggia (habité par l'architecte lui-même) ou encore Bruzzo à Circonvallazione a Monte.


Cette œuvre très marquante pour ce qui devient alors le style Coppedè est déjà, à bien des égards, exemplaire de ce « paradoxe » du « style umbertin » - de l’époque du roi Umberto Ier -, cet éclectisme caractérisé par le mélange de références historiques (gothique, Renaissance, maniériste…). Ce syncrétisme peut parfois être perçu comme excessif ou contradictoire - d’où le terme de « paradoxe » - relevé par l’historienne Rossana Bossaglia. D’un autre côté, c’est précisément à cet assemblage de styles aussi fantastique que la critique reconnaît la génialité singulière de celui qui a été considéré comme l’une des figures les plus extraordinaires apparues en Italie à cette époque.


Ce style éclectique va progressivement se diffuser du Nord au Sud de la péninsule. En effet, avant de parvenir à Rome, Gino Coppedè sillonne la « Botte » de chantier en chantier, en débutant ses plus importantes interventions architecturales à Gênes, où il travaille fréquemment avec la famille Cerruti. Cette collaboration se poursuit au-delà de la Ligurie avec de nouveaux projets : c’est ainsi grâce à cette même famille que Coppedè est amené à participer à la reconstruction de Messine, en Sicile, après le séisme dévastateur de 1908.


Remontant vers le Latium, et toujours par l'entremise des Cerruti, il travaille pour un groupe de bâtiments construits à Rome, derrière la piazza Quadrata (aujourd'hui piazza Buenos Aires), particulièrement caractéristique de son œuvre et qui porte désormais son nom : le quartier Coppedè. Ce morceau d’architecture urbaine se trouve au croisement de trois quartiers romains : Salario, Trieste et Nomentano. Aujourd’hui, la « piazza Mincio », demeure un lieu de convergence. Réalisée par Gino Coppedè entre 1921 et 1927, entourée de divers palais et autres édifices, cette place se révèle frappante par son éclectisme, combinant des éléments architecturaux inspirés de la Rome antique. On y retrouve un ensemble de corniches réemployées ainsi qu'un arc de triomphe ouvrant l'accès au quartier, dont il est devenu le symbole. Ce portique d’entrée s’inscrit dans cette continuité : loin de toute innovation, il reprend un modèle classique inspiré de l’antique, offrant au visiteur un repère architectural reconnaissable. En rentrant au cœur du quartier, le style rappelant l’antique s’éloigne avec l’emploi de divers langages architecturaux relevant de la Renaissance, du baroque et de l’art nouveau.

Détail d'un immeuble dans le quartier Coppedè, Rome. © Solène Feix
Détail d'un immeuble dans le quartier Coppedè, Rome. © Solène Feix

L’appel au baroque se caractérise directement par l’élément sculpté apportant de l’eau : la fontaine, également créée par l’architecte et qui rappelle ses débuts en tant que sculpteur. Réalisée en 1924, elle porte le nom de Fontaine des Grenouilles (Fontana delle Rane) et se veut un hommage au Bernin, dont les œuvres peuplent aujourd’hui les musées de la ville, notamment la Galerie Borghèse, toute proche de ce quartier.


Analyse architecturale et urbanistique du quartier Coppedè à Rome


Si l'on analyse cet îlot urbain, à l’échelle de Rome, lors de sa création, ce projet de nouveau quartier s’inscrit sur le plan régulateur plus large de la ville d’avant-guerre. Il vise à créer une enclave résidentielle haut de gamme entre la rue Salaria et celle de Nomentana. L'objectif consiste à réaliser un micro-complexe architectural dont la composition s'ordonne autour d'un espace central structurant : la piazza Mincio. Le dispositif scénographique choisi pour parvenir à cette place est un arc reliant deux bâtiments (en arrivant par la rue Dora).

Gino Coppedè, Quartier Coppedè, Rome. © Delcampe
Gino Coppedè, Quartier Coppedè, Rome. © Delcampe

L’arc est certes un rappel à l’antique, qui a évidemment toute sa place à Rome, mais également une mise en scène de l’architecture de ce quartier polarisé autour d'une « place-scène » concentrant les vues de diverses rues entourant cette place, et qui apparaissent dès que l'on est positionné sous cet arc.


Ce petit îlot d’édifices émergeant soudainement entre ces quelques rues témoigne d’un ensemble architectural symptomatique de l’éclectisme de Gino Coppedè. Celui-ci se permet une certaine excentricité à l’échelle d’un quartier et plus simplement d’un édifice isolé. Ce style qui lui est propre en ce qui concerne l’architecture italienne et encore plus à Rome se propose comme un mix architectural mêlant Liberty (Art nouveau italien), éléments gothiques, baroques, médiévaux et références antiques produisant alors un paysage de façades riche et volontairement théâtral. Les éléments décoratifs (mascarons, ferronneries, stucs, mosaïques, sculptures) servent autant l’ornementation que l’identification du lieu, contribuant à un caractère que l’on pourrait qualifier de fantastique au cœur de la ville millénaire.


Détail sculpté, quartier Coppedè, Rome. © Solène Feix
Détail sculpté, quartier Coppedè, Rome. © Solène Feix

Le Quartier Coppedè est ainsi un « prototype » d’urbanisme thématique privé : il montre comment un projet au cadre spatial réduit peut produire une forte identité urbaine par le biais d’une architecture spécifique assez rare dans la capitale italienne. Aujourd’hui, si vous déambulez dans ce quartier de poche, vous noterez que l’usage n’a pas changé, à savoir un quartier résidentiel calme doté de diverses ambassades.


Bien qu’inachevé au moment du décès de Gino Coppedè, le quartier qui porte son nom demeure l’un des témoignages majeurs de ce style singulier, appelé à se diffuser progressivement dans plusieurs villes italiennes. L’œuvre de Gino a ensuite été prolongée par son frère, l’architecte Adolfo Coppedè, qui donna une dimension internationale à cette esthétique en exportant certains de ses principes au-delà des frontières italiennes. La tradition artistique de la famille ne s’est pas éteinte au XXᵉ siècle : elle se poursuit encore aujourd’hui grâce aux descendants Coppedè. Tout en préservant le nom et l’héritage des Coppedè, ils y ajoutent aujourd’hui un domaine artistique supplémentaire : le design, qui vient s’inscrire dans la continuité des savoir-faire historiques de la famille, de la sculpture à l’architecture en passant par l’ébénisterie... et prolonge ainsi l’éventail des pratiques artistiques associées à ce nom.

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