« Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » au musée Guimet
- La Rédaction
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Par Audrey De Moura
Audrey De Moura est étudiante en Master 2 à l’École du Louvre. Passionnée par les arts asiatiques, elle a suivi la spécialité « Arts et archéologie de l’Inde et des pays indianisés de l’Asie » en Premier Cycle. Après avoir étudié l’art tibétain pour son mémoire de Master 1, elle se penche cette année dans l’étude des peintures indiennes, et plus particulièrement des rāgamālā, peintures illustrant les modes musicaux de la musique en Inde.
En 2024, le musée Guimet célébrait la Chine à l’occasion de l’Année franco-chinoise du tourisme culturel et du soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, consacrant une grande partie de sa programmation culturelle, de ses installations et de ses expositions à la Chine. Après les quatre expositions dédiées à l’art chinois entre mars 2024 et mars 2025 [1], c’est désormais l’Asie du Sud-Est, et plus particulièrement l’art khmer, qui est à l’honneur dans le musée parisien. Les amateurs d’arts asiatiques ont ainsi l’occasion de découvrir l’exposition « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » du 30 avril au 8 septembre 2025.

En collaboration avec l’École Française d’Extrême-Orient (EFEO), le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et le ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge, cette exposition regroupe des prêts exceptionnels, dont de nombreuses œuvres du musée national du Cambodge de Phnom Penh.
Angkor, capitale du royaume khmer du IXe au XVe siècle, a révélé au monde des vestiges monumentaux et des œuvres exceptionnelles qui ont fait la renommée de l’art khmer, notamment les œuvres en grès. Toutefois, il n’en va pas de même pour celles en bronze, beaucoup moins connues et étudiées. D’ailleurs, très peu sont exposées dans les salles permanentes du musée Guimet en comparaison aux sculptures de grès. La pauvreté des sources concernant les œuvres khmers en bronze peut s’expliquer par diverses raisons. Tout d’abord, le bronze est un matériau qui peut être réutilisé en étant fondu, conduisant ainsi à la disparition de nombreuses œuvres. De plus, la forte mobilisation des archéologues sur le site d’Angkor et le sol miné du pays pendant la guerre civile et la période des Khmers rouges dans les années 1970 ont peu contribué à une exploration du sol et à découvrir des œuvres en bronzes, pouvant être enfouies dans des caches.
Une autre difficulté dans l’étude et la connaissance des bronzes khmers est l’absence de provenance de certaines œuvres. L’art khmer a en effet été très touché par le pillage et le trafic illicite d’œuvres d’art, notamment les sites hors d’Angkor, plus isolés et donc exposés au pillage.

Concernant les bronzes, un grand nombre a rejoint la collection de Douglas Latchford, collectionneur et marchand d’art britannique installé à Bangkok, qui a réuni l’une des plus grandes collections privées d’œuvres khmères et a contribué à enrichir les collections de musées occidentaux. En 2019, la vérité éclate au grand jour : il était en réalité à la tête d’un vaste réseau de trafic illicite d’œuvres d’art. Avec Emma Bunker, historienne de l’art, membre du conseil d’administration du Denver Art Museum et une de ses complices, Latchford publia même trois catalogues sur les bronzes khmers. Ces publications « scientifiques » faisaient référence alors qu’elles constituaient surtout un moyen de légitimer les œuvres spoliées de sa collection et de falsifier leur provenance. Décédé avant son procès en 2020, des œuvres de sa collection – comme celles de grandes institutions comme le Metropolitan Museum of Art – ont été restituées au Cambodge pour rejoindre le musée national du Cambodge.
Quelques-unes de ces œuvres restituées sont d’ailleurs présentées dans cette exposition consacrée au bronze, matériau, abondamment utilisé aux côtés d’autres métaux comme l’argent et l’or pour confectionner les sculptures des divinités et orner les temples hindous et bouddhiques. Le parcours suit une progression chronologique, revenant sur l'histoire de l'art du bronze au Cambodge au travers des sites majeurs du patrimoine khmer et se penchant sur la relation entre les souverains et leurs artisans. Il se termine par le clou du spectacle dans la cour khmère qui révèle l’imposante statue en bronze du Vishnu couché du Mébon Occidental, trésor national et véritable chef d’œuvre de l’art khmer.
Le visiteur commence par découvrir la période protohistoire avec les plus anciens bronzes trouvés au Cambodge, hérités de la tradition des bronzes de Dong Son au Vietnam, avant d’admirer les premières œuvres hindoues et bouddhiques en bronze, reflet de l’indianisation du pays khmer. La salle suivante regroupe diverses thématiques, présentant les nombreuses statues de dieux hindous et bouddhiques. Elle aborde sur plusieurs siècles le contexte de création des œuvres, avec la fonderie royale d’Angkor et les informations fournies par les inscriptions qui révèlent le profil des commanditaires, rois ou dignitaires, et attestent l’activité d’artisans travaillant à leur service. Cette grande salle est ponctuée dans son axe par des arcatures flanquées de colonnes, rappelant l'architecture des sanctuaires, comme si le visiteur pénétrait dans un temple angkorien rempli de sculptures.
Après la présentation des statues de cultes, d’autres typologies d’objets confectionnés en bronze sont exposées, rappelant que la création artistique ne se limite pas aux sculptures de divinités. Objets rituels, éléments de mobilier et de décor architectural sont ainsi présentés aux côtés de tirages en plâtre de bas-reliefs d'Angkor Vat permettant de mieux comprendre leur usage.

Ce mécénat et cet art du bronze ne s’est pas achevé avec la fin du royaume khmer. En effet, l’existence d’œuvres en bronze et d’ateliers de travail du métal attestent une continuité culturelle, politique et technique durant la période dite « postangkorienne » (1431-1863) à laquelle est consacrée la suite de l’exposition. Cette partie fait la part belle aux sculptures de Bouddha, le bouddhisme theravada (« la voix des anciens ») devenant progressivement la religion dominante. Des œuvres de l’École des arts cambodgiens du XXe siècle sont également présentées, reflet d’une tradition artistique et d’un savoir-faire qui continuent d’être transmis de génération en génération jusqu’à nos jours.
Enfin, le parcours fait un bond dans le temps, remontant à l’apogée du royaume angkorien en présentant le chef d’œuvre de cette exposition : le Vishnu couché du Mebon Occidental, le plus grand bronze jamais retrouvé à Angkor. Une salle entière est dédiée à cette œuvre, où le visiteur peut découvrir les photographies et le récit de sa découverte en décembre 1936 grâce au journal de fouilles. La projection vidéo, intitulée « L'Éveil de Vishnu » plonge le visiteur dans la mythologie hindou, lui révélant l’iconographie de cette œuvre en présentant le barattage de l'Océan de Lait, les avatars de Vishnu, la destruction du monde par Shiva, et le mythe de la création du monde où Vishnu repose au fond de l’Océan primordial sur le serpent Ananta. Grâce aux recherches et aux analyses menées sur le bronze, le visiteur découvre une restitution de l’œuvre avec sa dorure et les incrustations de polychromie. C’est en quittant les salles du rez-de-jardin pour monter à la cour khmère que l’œuvre se dévoile en majesté, restaurée pour l’occasion avec les fragments retrouvés sur le site de sa découverte.

Vidéos, restitutions d’œuvres lacunaires, cartes avec les principaux gisements de métaux, dessins expliquant la technique de fonte ou encore radiographies des sculptures pour comprendre la structure interne des œuvres, une grande variété de supports didactiques ponctue l’ensemble du parcours. Dans cette même visée pédagogique, la première salle expose la réplique d’une statue de bodhisattva Maitreya du VIIIe siècle par le fondeur cambodgien de renom Ith Sopheap, travaillant régulièrement pour le palais royal. Toutes les différentes étapes de la fonte à la cire perdue sont ainsi illustrées par les différents modèles. De même, afin de montrer la parenté stylistique et iconographique, les œuvres en grès du musée sont exposées aux côtés de celles en bronze.

Enfin, pas de panique si vous n’êtes pas ou peu familier de l’art khmer, ni même de l’art bouddhique ou hindou. Les explications restent claires et concises sans toutefois perdre en qualité scientifique. Les commissaires n’ont pas cherché à expliquer toute la complexité de certaines iconographies, au risque d'alourdir le propos et de perdre une bonne partie des visiteurs. Il en va de même pour l’histoire du Cambodge : le parcours chronologique reprend les grandes périodes historiques sans développer plus en détail les règnes et les périodes de troubles politiques, afin de rester centré sur le sujet des bronzes.
Ainsi, que vous soyez déjà amateur de l’art khmer ou simple curieux, « Bronzes royaux d’Angkor, un art du divin » est une exposition inédite, présentant des œuvres connues des chercheurs mais peu du grand public. Faisant la part belle aux dernières découvertes scientifiques menées par l’EFEO, elle est également une occasion unique d’admirer des œuvres prêtées exceptionnellement par le Cambodge, comme le Vishnu couché dont la présentation dans cette exposition est le résultat d’une importante campagne de restauration et d’étude. Mais elle permet surtout de mettre en lumière tout un pan du patrimoine khmer dont il y a encore tant à découvrir.
Note
[1] T’ang Haywen. Un peintre chinois à Paris (1927-1991) ; Au cœur de la couleur. Chefs-d’œuvre de la porcelaine monochrome chinoise (8e-18e siècle) ; L’Or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14e-17e siècle) ; Chang’an, resplendissante capitale de l’empire Tang (7e-10e siècle).
Informations pratiques
Exposition du 30 avril au 8 septembre 2025.
Tous les jours (sauf le mardi) de 10h à 18h.
Musée Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris.