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[Cinéma] A Computer Animated Hand, aux sources de l'animation en images de synthèse


L'image de synthèse, incontournable dans le cinéma actuel, n'en était il y a une cinquantaine d'années qu'à ses balbutiements. D'ailleurs, cette nouvelle technologie n'est d'abord pas destinée à l'industrie cinématographique. Cependant, lorsque Edwin Catmull et Frederic Parke réalisent A Computer Animated Hand en 1972, ils offrent à l'animation en trois dimensions un prestige inédit.


Aux Etats-Unis, en réaction au lancement du satellite russe Spoutnik en 1957, le président Dwight David Eisenhower lance un nouveau programme de recherche appelé ARPA. Ce dernier rassemble les chercheurs les plus qualifiés de certaines des plus prestigieuses universités étatsuniennes. Pour pouvoir communiquer entre eux, ils créent un système de transfert de données appelé ARPANET, considéré comme l'ancêtre d'internet. Parmi ces centres d'innovation, l'université de l'Utah se fait une spécialité de l'infographie, sous la direction d'Ivan Sutherland, jeune créateur de Sketchpad, premier programme de conception graphique doté d'une interface. Sutherland rassemble plusieurs passionnés qui travaillent d'arrache-pied à l'amélioration des outils de visualisation informatique.

Ed Catmull, né en 1945 dans une famille mormone, grandit bercé par l'émission Le Monde Merveilleux de Disney, présentée par Walt Disney lui même. Découvrir le processus de création des films d'animation lui donne l'ambition de devenir lui-même animateur, mais le jeune garçon préfère se tourner vers les sciences. Après avoir obtenu un diplôme en physique et en informatique, il fait la rencontre d'Ivan Sutherland et rejoint son équipe de chercheurs. Les images de synthèse sont une véritable révélation pour Edwin Catmull, et lui font reconsidérer son rêve d'enfance : et s'il devenait animateur par le biais de la machine ? Entre la fin des années 1960 et le tout début des années 1970, les courts métrages expérimentaux en images de synthèse se multiplient. Ces œuvres s'approprient les possibilités de l'informatique, à l'image de Metadata, de Peter Foldes, qui joue avec la persistance des lignes pour former une succession de dessins. D'aucuns s'essaient également à l'animation de figures géométriques simples en trois dimensions, mais Edwin Catmull souhaite aller plus loin dans le cadre de sa thèse, et se lance en 1972 dans la conception et l'animation d'un objet virtuel complexe : une main.

Edwin Catmull et Fred Parke, A Computer Animated Hand, 1972

Cette entreprise lui prend dix semaines. Avec un de ses camarade, Frederic Parke, il s'applique dans un premier temps à réaliser un moulage de sa main gauche à l'aide de plâtre de Paris, arrachant au passage tous les poils qui la recouvrent. Une fois le moule achevé, Ed Catmull trace à l'encre des lignes droites qui divisent le modèle en 350 polygones imbriqués. Le maillage ainsi obtenu est ensuite numérisé en entrant manuellement dans l'ordinateur les coordonnées de chacun des points d'intersection. Une fois ce "squelette" créé, il ne reste plus qu'à lui donner vie. Pour transposer le résultat sur bobine, les deux hommes ont filmé l'écran à l'aide d'une caméra 35mm.

Edwin Catmull et Fred Parke, A Computer Animated Hand, 1972

Le film A Computer Animated Hand se présente comme une démonstration technique. En effet, le court métrage s'ouvre sur une présentation de l'objet virtuel. Pour le moment immobile, la main tourne sur elle-même. S'ensuit une séquence en prise de vues réelles qui décrit le processus de virtualisation de la main. Tout l'habillage de cette dernière est ensuite détaillé étape par étape : les facettes sont d'abord rendues opaques, mais cet assemblage de surfaces planes donne à l'ensemble un aspect rugueux qui ne parvient pas à reproduire le lissé de la peau. La dernière étape consiste alors à éliminer la discontinuité entre les facettes en utilisant la méthode de l'interpolation linéaire développée par le français Henri Gouraud à l'Université d'Utah vers 1970, sous la direction d'Ivan Sutherland. Le court métrage se poursuit par la mise en mouvement de la main ainsi texturée, qui replie et écarte les doigts avant de pointer son index vers le spectateur. En guise de conclusion, la caméra entre à l'intérieur de l'objet 3D afin d'en détailler les volumes.

Les étapes de la conception de la main, Edwin Catmull et Fred Parke, A Computer Animated Hand, 1972


A Computer Animated Hand est présentée pour la première fois en 1973 au cours d'une conférence sur l'informatique. Un an plus tard, Frederic Parke dévoile A Computer Animated Face, dans lequel il met en mouvement un visage. Ces images font sensation, mais la technique n'est pas immédiatement adoptée par l'industrie cinématographique. Les Studios Disney, qui peinent à se renouveler après la mort de leur fondateur en 1966, ne voient pas le potentiel de l'image de synthèse. Ces courts métrages apparaissent au cinéma pour la première fois dans le film de science-fiction en prise de vues réelles Les Rescapés du Futur, réalisé en 1976 par Richard T. Heffron.


S'il est le précurseur du cinéma d'animation en images de synthèse, Edwin Catmull a contribué jusqu'à très récemment à son actualité : cofondateur du Studio Pixar, directeur de The Walt Disney Animation Studios jusqu'en 2018, il fait partie des personnages majeurs de l'histoire de récente du cinéma d'animation. Depuis 2011, le film A Computer Animated Hand est classé au National Film Registry de la bibliothèque du Congrès.


 

Bibliographie :

CATMULL Edwin, Creativity inc., 2020, Talent Edition

UTTERSON Andrew, A Computer Animated Hand


Filmographie :

CATMULL Edwin et PARKE Frederic, A Computer Animated Hand, 1972

FOLDES Peter, Metadata, 1971

GOURAUD Henri, conférence sur les fondations de l'image numérique en France, 2011, Journée d’étude organisée par EnsadLab, l’INA, l’IRCAV (Université de Paris 3) et Paris ACM Siggraph en partenariat avec 3DVF dans le cadre du festival Futur en Seine.

PARKE Frederic, A Computer Animated Face, 1974

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