Né en 1871, Clarence Hudson White s’intéresse aux activités artistiques depuis son plus jeune âge et commence à pratiquer la photographie en 1893 avant d’être rapidement reconnu, notamment pour son travail subtil de la lumière. Il est exposé pour la première fois en 1898 au premier salon de la photographie de Philadelphie. L’année suivante, convié à faire partie du jury, c'est ici qu’il rencontre d’importants photographes du temps tels Alfred Stieglitz, Edward Steichen ou Gertrude Käsebier : autant de noms évoquant le mouvement pictorialiste. Ainsi, il participe en 1902 à la fondation du groupe Photo-Secession, première esquisse du pictorialisme qui, persuadé du pouvoir d’expression artistique de la photographie, a la volonté de la faire accéder au rang des beaux-arts, alors même qu’elle n’est considérée que comme une technique.
Forgé d’une solide culture artistique, comme bon nombre de représentants de ce courant, il admire James Abbott McNeill Whistler et les estampes japonaises, des influences que nous retrouvons certainement dans son travail, à l’instar de Morning, un tirage à la gomme bichromatée daté de 1905 montrant une femme vêtue de blanc, une sphère à la main, mise en parallèle de la silhouette sombre de l’arbre qui se dresse en plein centre de l’œuvre : un travail sur la composition dans lequel White était passé maître, capable de saisir l’harmonie d’un lieu, autant qu’il était maître dans l’usage subtil de la lumière. Ici se dégage une ambiance de temps suspendu caractéristique de son travail. Par ses figures évanescentes et mystiques, Clarence H. White montre son aptitude à représenter des sujets capables d’évoquer des états affectifs comme l’espoir, la mélancolie ou la méditation, un goût pour l’allégorie menant vers le symbolisme. L’adoucissement des formes est représentatif du travail des pictorialistes, utilisé de sorte à éloigner la photographie du réel, la détacher de son aspect documentaire dans une logique d’effacement du contexte pour tendre vers un message universel et poétique. Ici, le sujet n’en est finalement plus un, il devient un prétexte, une prise d’appui pour tendre vers ce message universel comme c’est le cas avec A Mother Loves. La lecture de l'oeuvre peut alors être guidée par son titre car, comme en témoignent Morning, Symbolism of light et A Mother Loves, Clarence H. White travaillait les intitulés de ses photographies. Ils ne sont plus seulement descriptifs mais offrent une lecture symbolique de l’image guidée par le titre, témoignant d’une réelle volonté de faire œuvre photographique.
La sphère transparente portée par la jeune femme est un élément récurent dans les œuvres de White, et plus largement chez les pictorialistes, autant que d’autres références symbolistes comme les miroirs ou les anneaux. On la retrouve par exemple dans Symbolism of light, un tirage au platine de 1907, œuvre pour laquelle White a collaboré avec Alfred Stieglitz, grand représentant du courant. Le tirage montre une femme légèrement penchée en avant, la main gauche posée sur un globe en verre dans lequel se reflète la lumière. Ici, le regard n’est pas tourné vers l’objectif, au contraire, il est dirigé vers le lointain, hors du cadre, hors du monde photographique.
Ce motif, on le retrouvait déjà comme emblème de la Photo-Secession, ici en tant que disque solaire. Le cercle, forme parfaite symbole de l’harmonie, se décline en de nombreuses déclinaisons : bulles de savon, de verre, de cristal ou de bronze, en miroirs ronds et autres objets circulaires. Ces objets, au premier abord sans référent clair, sont de véritables énigmes graphiques, autorisent d’abord d’infinis jeux de lumières et de reflets autant que cette forme close sur elle-même peut signaler un mouvement d’intériorisation.
Ces œuvres montrent également l’affirmation d’un retour à des procédés complexes et artisanaux, comme le tirage à la gomme bichromatée ou le tirage au platine. Il s’agit non seulement d’échapper à l’aspect mécanique, à la précision du gélatino-bromure d’argent et des procédés désormais accessibles à tous dans le commerce pour proposer des œuvres uniques, manuelles, mais cette place laissée à l’intervention du photographe est également une manière de laisser une part d’interprétation au spectateur. Parmi ces procédés, citons l’exemple du cyanotype, un procédé monochrome aux tonalités bleues que White exploita pour ses qualités esthétiques, oniriques, dont le résultat éloigne définitivement l’aspect reproductif et documentaire de la photographie. Ces couleurs peu naturelles créent au contraire une intimité quasi whistlérienne. Le bleu étant évidemment une couleur associée à la mélancolie, écho au regard de la jeune femme dans le portrait Julia McCune et une jeune femme inconnue. Chez White, les cyanotypes étaient de réelles œuvres abouties, tandis que chez d’autres photographes ils n’étaient parfois que des tirages de lecture.
Très proche d’Alfred Stieglitz (1864-1946), grand représentant du courant pictorialiste, White s’en éloigne à partir depuis 1910. Il reste pourtant actif dans le milieu photographique et fonde en 1914 à New York The Clarence H. White School of Photography, avec le peintre cubiste Max Weber (1881-1961). Dans cette école, les élèves travaillent autour de la notion de remplissage de l’espace, d’organisation des formes et d’interprétation de la nature en tant que composition en deux dimensions. Il s’agit de photographier les choses sans souci de représentation mais pour intégrer l’abstraction, ouvrant progressivement la voie à la modernité photographique qui prendra son essor dans les années 1920. Pour White, le pictorialisme pouvait être compatible avec l’art moderne, bien que cette conviction se dissipa progressivement. Son style d’enseignement qui encourageait les étudiants à trouver leur propre vision créative, a nourri de nombreux talents. Son influence sur la nouvelle génération de photographes est déterminante, comptant parmi ses élèves Dorothea Lange, Margaret Bourke-White ou encore Paul Outerbridge. Malgré la mort prématurée de Clarence H. White, la White School a continué à jouer un rôle essentiel dans l’enseignement de la photographie à New York jusqu’en 1942.
Adriana Dumielle-Chancelier
Comments