Fierté de Sainte-Savine, aux portes de Troyes, mais se détériorant depuis plusieurs années dans l’église de la commune, le Triptyque de la Vie de la Vierge est en cours de restauration dans les ateliers du C2RMF, à Versailles. Allant de pair avec un vaste chantier de réhabilitation de l’édifice, la restauration de cette œuvre offerte par les Dames de la commune en 1533 est chiffrée à 76 600 € (HT), dont près de 60 % sont pris en charge par l’État. Le travail est conséquent, des décennies d’exposition à l’humidité et de lourds repeints jalonnent l’histoire de ce remarquable morceau de peinture.

Anonyme anversois, Triptyque de la Vie de la Vierge, détail. 1533. Eglise Sainte-Savine de Sainte-Savine / ©Commune de Sainte-Savine - J-C Stauder
Cette restauration est bienvenue. Sur la base AGORHA, le Triptyque est déclaré « en mauvais état ». La surface picturale est écaillée et présente d’importantes lacunes, la conséquence de mauvaises conditions de conservation depuis plusieurs années. Et ces éléments sont aisément observables à l’œil nu. Le support en bois - chaque panneau est composé de trois planches verticales - a également souffert et de malencontreuses manipulations n'ont fait qu'empirer la situation. Nos confrères de l'Est Eclair confirment ainsi qu'une traverse horizontale a notamment été fixée, à une période ancienne, au dos du panneau central. Résultat de l'opération : les planches se sont déformées. L’un des objectifs du chantier conjoint de réhabilitation de l’église Sainte-Savine est précisément d’offrir un environnement convenable pour le Triptyque et les autres œuvres conservées dans l'édifice.
Offerte en 1533 par les Dames de Sainte-Savine donc, l’œuvre a été réalisée par un peintre de tradition anversoise, capable de trancher avec la peinture troyenne de cette première moitié du XVIe siècle. De par son maniérisme anversois francisé, l’œuvre se rapproche du Triptyque de la Naissance de la Vierge d’Auxey-Duresses (F.Elsig 2011), auquel nous avons consacré un long article, attribué à l’atelier du peintre Noël Bellemare (actif à Paris entre 1515 et 1546). Le peintre de Sainte-Savine démontre à travers cette réalisation son habileté à produire des motifs génériques dans la lignée de Jan de Beer (actif à Anvers entre 1495 et 1528), tout en se conformant à des formes locales, notamment structurelles.
Ce type de retables très horizontal est en effet caractéristique de la Champagne, explique Cécile Scailliérez . Nous pensons ici à plusieurs compositions : le Retable des Sacrements conservé dans l’église Saint-Nicolas de Troyes, rapproché de Girard Viarre (documenté à Troyes de 1534 à 1557), et le Triptyque dit de la Santa Casa présenté au musée Vauluisant, œuvre majeure de Nicolas Cordonnier (documenté entre 1497 et 1531). Ce dernier avait précisément fait l’objet d’une restauration, également au C2RMF, en 2011. L’une des restauratrices œuvrant actuellement sur le Triptyque de Sainte-Savine, Juliette Mertens, avait travaillé sur le chantier. Elle est aujourd’hui accompagnée de Sophie Deyrolle – pour la couche picturale.
De haut en bas : Triptyque de Sainte-Savine (Église de Sainte-Savine) ©Frédérique Behl, Retable des Sacrements (Eglise Saint-Nicolas, Troyes) ©Région Champagne-Ardenne, Patrice Thomas, Triptyque de la Santa Casa (Musée Vauluisant, Troyes) ©NB
Le panneau central du Triptyque de Sainte-Savine rassemble trois scènes : la Rencontre à la Porte dorée, la Naissance de la Vierge et la Présentation de la Vierge au Temple. Le volet gauche induit l’Offrande refusée et, à son revers, l’archange Gabriel tandis que le droit introduit le Mariage de la Vierge. Au revers s’épanouit la Vierge d’Annonciation, peinte en grisaille.

Le Triptyque dans les ateliers de restauration / ©Commune de Sainte-Savine - Frédérique Behl
Les scènes de la Naissance de la Vierge - centrale dans la construction de l’œuvre - et de la Présentation au Temple se rapprochent des panneaux du Triptyque d’Auxey-Duresses, eux-mêmes liés à deux panneaux conservés au musée des Beaux-Arts de Nancy - volets latéraux d’un triptyque dont le centre est aujourd’hui perdu -.
Atelier de Noël Bellemare, Triptyque de la Naissance de la Vierge, La Naissance de la Vierge. Vers 1530, Eglise Saint-Martin d'Auxey-Duresses / ©NB
Noël Bellemare, La Naissance de la Vierge. Début du XVIe siècle. Musée des Beaux-Arts de Nancy / ©NB
Anonyme anversois, Triptyque de la Vie de la Vierge, La Naissance de la Vierge. 1533. Eglise Sainte-Savine de Sainte-Savine / ©Commune de Sainte-Savine - J-C Stauder
Attribués à Noël Bellemare (actif entre 1515 et 1546), ces deux panneaux de modestes dimensions (74x60 cm) illustrent la Naissance de la Vierge et la Présentation de Jésus au Temple, présentant respectivement au revers la Présentation de la Vierge au Temple et La Visitation. Les analogies avec le Triptyque d’Auxey sont nombreuses et d’autres sont notables avec celui de Sainte-Savine - sur lequel les volumes sont néanmoins simplifiés. S'il est tentant de considérer que le Triptyque d’Auxey, réalisé vers 1530, et celui de Sainte-Savine (1533) dérivent de près ou de loin des panneaux de Nancy - réalisés au début du XVIe siècle -, il apparaît plus réaliste de songer à d'autres modèles que les ensembles ont dû partager. Cécile Scailliérez évoque par exemple un dessin anonyme conservé au British Museum et daté vers 1520. Cette feuille induit une Présentation de la Vierge au Temple dont la composition est commune à plusieurs retables anversois. Le dessin de la Vierge y est repris à l’exact identique sur le volet droit d’Auxey et sur le panneau de Nancy et de manière inversée dans celui de Sainte-Savine. Restent les architectures très archaïques de l'arrière-plan du panneau d’Auxey, là où ce dessin déploie une grande richesse ornementale et des architecture proprement italianisantes. Cette préciosité est en revanche bien palpable dans le Triptyque à Sainte-Savine.

Atelier de Noël Bellemare, Triptyque de la Naissance de la Vierge, La Présentation de la Vierge au Temple. Vers 1530, Eglise Saint-Martin d'Auxey-Duresses / ©NB
Anonyme, La Présentation de la Vierge au Temple. 1520, British Museum
Noël Bellemare, La Présentation de la Vierge au Temple. Début du XVIe siècle. Musée des Beaux-Arts de Nancy / ©NB
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les repeints modernes du Triptyque de Sainte-Savine ont déjà été dégagés. Espérons que cette restauration ouvrira la voie à d'autres chantiers. Nombreux sont les panneaux du XVIe siècle, à l'intérêt notable, en proie à la détérioration en Champagne. Nous pensons notamment à une Déposition d'intérêt majeur, accrochée dans la chapelle Sainte-Anne de Ville-sous-la-Ferté, devant l'Abbaye de Clairvaux. Rapproché de l'atelier de Nicolas Cordonnier (documenté, rappelons-le entre 1497 et 1531), ce panneau, au vu de sa qualité, pourrait sans mal être attribué au maître lui-même...

Atelier de Nicolas Cordonnier, La Déposition. Première moitié du XVIe siècle. Ville-sous-la-Ferté, chapelle Sainte-Anne. ©NB
À propos de la restauration de l'église de Sainte-Savine :
Bibliographie sélective
- Elsig F. (dir.), Peindre à Dijon au XVIe siècle. Actes du colloque donné en 2016 à Genève. Milan, Silvana Editoriale.
- Elsig F. (dir.), Peindre à Troyes au XVIe siècle. Actes du colloque donné en 2014 à Genève. Milan, Silvana Editoriale.
-Guillaume M. (dir.), La peinture en Bourgogne au XVIe siècle, catalogue de l'exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Dijon de juin à août 1990.
- Leproux G-M. Un peintre anversois à Paris sous le règne de François Ier : Noël Bellemare, dans Cahiers de la Rotonde, n20, 1998, p.125-154
- Scailliérez C. (dir.), François 1er et l'Art des Pays-Bas. Catalogue de l'exposition présentée au musée du Louvre du 18 octobre 2017 au 15 janvier 2018. SomogyEditions.
Nous adressons nos remerciements à M. Fabrice Antoine.
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