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David révolutionnaire : le Serment du Jeu de paume

« Nous jurons de ne jamais nous séparer de l’Assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »


Le rôle de l’Art est pluriel. Parfois, il nous invite à nous pencher sur notre foi, parfois à réfléchir sur nos moeurs, sur la vie, sur la mort, ou encore tout simplement à nous plonger dans la beauté des lignes et des couleurs. Cependant, quelque soit le but que l’artiste choisit, son oeuvre sera toujours le reflet de son époque. Et, pour certains, c’est l’époque même qui devient le sujet.

1791. Le peintre Jacques-Louis David a pris fait et cause pour la Révolution, et fait de celle-ci sa muse. Retour sur son Serment du Jeu de paume, œuvre inachevée, mais qui nous laissa un témoignage extraordinaire de cet événement charnière de l’histoire de France.


Le Serment du Jeu de paume, 20 juin 1789, 1791, plume, encre, lavis, crayon sur papier, Château de Versailles


Connu pour avoir été le premier peintre de Napoléon et réalisé son fameux Sacre entre 1805 et 1807, Jacques-Louis David fut, près d’une décennie auparavant, fervent révolutionnaire. Adhérant à la Société des amis de la Constitution, élu député puis président de la Convention nationale en 1794, il se place du côté des Montagnards, parti de Maximilien de Robespierre favorable à l’instauration d’une république, et donc à l’abolition de la monarchie, à laquelle il participera en votant la mort de Louis XVI le 17 janvier 1793.

Jacques-Louis David est donc un homme de convictions, et tient à mettre son talent au service de ces dernières. Ainsi, en ce début d’année 1790, lui vient l’idée de figer sur la toile l’un des moments marquants de la Révolution française : le Serment du Jeu de paume, prononcé le 20 juin 1789.


Le club des Jacobins et l’Assemblée nationale soutiennent le projet de l’artiste. S'il n’y a pas assisté personnellement, David tient à y insuffler autant de véracité historique que possible. Il se renseigne, se fonde sur le récit qu’en font ses pairs : alors que le tiers état, fraîchement autoproclamé Assemblée nationale, invitait à la réunion des trois ordres - avec le clergé et la noblesse - aux états généraux et réclamait le vote par tête afin d’acquérir plus d’égalité, Louis XVI marqua son opposition en fermant la salle des Menus Plaisirs à Versailles, où ils étaient censés se retrouver. Les députés de ce tiers état contournèrent cet interdit en invitant les ordres à les rejoindre dans un autre lieu tout proche, appelé salle du Jeu de paume car on y pratiquait cette activité. Là, ils prêtèrent serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné à la France une Constitution. Ce qu'ils firent.

David fait ses premiers croquis sur les lieux, et demande aux députés présents ce jour là de poser pour lui dans son atelier, afin d’en reproduire fidèlement les traits. Son objectif final est une peinture gigantesque, de près de 10 mètres de long, dont il réalise d’abord une esquisse qui nous est heureusement parvenue. Celle-ci a presque valeur d’une photographie, mêlée à la notion d'héroïsme néoclassique qui caractérise alors le travail du peintre.


L'artiste a choisi de représenter le moment précis du serment, montrant toute l’effervescence de la foule qui s’est rassemblée dans la salle. Dans celle-ci ont été installées des tables et des chaises à la hâte, et au centre de la composition se dresse le président de l’Assemblée d’alors, Bailly, vers qui tous les regards convergent ; il lève solennellement son bras et prononce la citation qui restera gravée dans l’Histoire :


« Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale »

Les hommes se lèvent alors, galvanisés.


Les grandes figures révolutionnaires ayant assisté à la scène sont bien reconnaissables. Au premier plan, le moine chartreux Dom Gerle, le pasteur protestant Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne et l’abbé Grégoire, élu député du clergé aux Etats Généraux la même année, se serrent la main, symbolisant ainsi la réconciliation religieuse après des siècles de conflit. Dans le public se trouvent aussi Mirabeau, l’un des rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et personnage alors adulé pour ses idées et son éloquence, ou encore Robespierre et Barnave, qui deviendra lui même président de l’Assemblée en 1790. En bas à droite, le député Martin-Dauch croise les bras : il est le seul à refuser de prêter serment, restant un fervent royaliste. Dans les hauteurs de la salle aussi, le tumulte est à son comble : derrière les rideaux soulevés par le vent, le peuple se fait témoin de la scène. De l’autre côté, des gardes applaudissent.



Une fois l’esquisse achevée, David s’attelle à la réalisation de la toile. Malheureusement, il n’aura pas le temps de peindre plus de quelques têtes (comme celles de Gérard et Dubois-Crancé). En effet, la situation évoluant et la Révolution s’envenimant, nombreuses sont les figures de l’esquisse à devenir des traîtres à la nation - à l’instar de Mirabeau qui sera déchu de son titre d’idole après que l’on ait découvert, après sa mort, sa correspondance avec Louis XVI, ou à terminer sous le couperet de l’échafaud sous la Terreur. David lui-même se voit plusieurs fois grandement menacé. Cela, conjugué au manque de fonds pour un tel projet, amène le peintre à renoncer à son oeuvre en 1793. A sa mort, la toile restée à l'état d'ébauche est retirée de la Grande Galerie du Louvre pour être découpée et finalement vendue.

Le Serment du Jeu de paume, 20 juin 1789, 1791, huile sur toile, lavis de bistre et crayon noir, château de Versailles

Le Serment du Jeu de paume de David est donc un témoignage inestimable du passé, un véritable documentaire transposé sur le papier et la toile, une oeuvre si nouée aux événements historiques qu'elle fut contrainte d'évoluer et de finir avec eux. Il est fort heureux que le musée Carnavalet en conserve une version achevée, aux couleurs éclatantes, en tout point authentique à l'esquisse originale de 1791. Si son attribution à David est parfois remise en cause, elle nous permet cependant d'apprécier la toile comme il aurait aimé la peindre : théâtrale, solennelle, grandiose.

Le Serment du Jeu de paume, 20 juin 1789, après 1791, huile sur toile, musée Carnavalet

Raphaëlle Agimont


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