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De la photographie au cinéma : l’image mise en mouvement



L’exposition Enfin le cinéma ! Arts, images et spectacles en France (1833-1907) présentée par le musée d’Orsay vient seulement de fermer ses portes. Celle-ci soulignait le brûlant désir de la société du XIXème siècle de voir les images s’animer, sans pour autant s’attarder sur l’invention technique de ce nouveau moyen de création. Pourtant, comme son parent la photographie, le cinéma n’est pas né par hasard. Il est le fruit de multiples recherches et surtout, d’une véritable volonté de recréer le mouvement. La photographie comme le cinéma sont en réalité nés d’abord en tant qu’idées, leurs inventions respectives avaient été plébiscitées. Mais comment s’est fait ce glissement, de l’image qui arrête froidement le réel, à celle qui l’anime ?


Les jouets optiques : prémices de l’image animée

Tout d’abord, le XIXème siècle a vu fleurir de nombreuses inventions qualifiées de « jouets optiques » en ce qu’elles utilisaient les principes de l’illusion optique afin de recréer le mouvement et animer les images, d’abord à l’aide de dessins. Ces instruments se sont développés à partir du principe de persistance rétinienne mis en évidence notamment par le britannique Peter Mark Roger (1779-1869) en 1824. Pour exemple, citons d’abord le thaumatrope, commercialisé à partir de 1825. Il s’agit d’un disque composé de deux dessins. En faisant tourner le disque sur lui-même, les deux images n’en forment plus qu’une. Puis, en 1834, William Horner (1786-1837), mathématicien britannique, perfectionne cette méthode et crée le zootrope, préfiguration du dessin animé. Il consiste en un tambour percé de douze fentes où logent des petites saynètes décomposant un mouvement cyclique. Les saynètes s'animent lors de la rotation du tambour, en regardant à l'intérieur à travers les fentes. Ce principe rejoint celui du praxinoscope d’Émile Reynaud (1844-1918), inventé en 1876. Ici, à l'intérieur du tambour se trouve une bande de papier ainsi qu'un jeu de miroirs reflétant les dessins de la bande. Ainsi, les images se superposent les unes aux autres, sans effet saccadé ni perte de luminosité, permettant de recréer une illusion de mouvement bien plus nette qu'avec le zootrope, ce que détaille Alexis Consigny dans son article « Le Théâtre optique d'Émile Reynaud », récemment publié. Ces jouets optiques sont les premières animations de l’image. Mais comment projeter suffisamment d’images par seconde pour récréer l’illusion parfaite de la réalité ? C’est là que le médium photographique rencontre les principes de l’image animée pour donner naissance au cinéma.

La chronophotographie : de la photographie au cinéma

Louis et Auguste Lumière lançant un seau d’eau, tirage négatif sur papier albuminé d’après négatif au gélatino-bromure d’argent, vers 1888.

À la fin du XIXème siècle, le cinéma est ainsi considéré comme une évolution du médium photographique, avant de prendre son indépendance. Pourtant, pendant longtemps, le mouvement échappait à la photographie : celui-ci disparaissait, devenait flou, les étendues d’eau se figeaient sous l’objectif car les temps de pose, trop longs, empêchaient le mouvement d’imprimer son passage sur la plaque photographique. Il aura donc fallu que la photographie conquiert l’instantané pour se muer en cinéma, et pour cela attendre les année 1880 et l’arrivée du gélatino-bromure d’argent, une émulsion qui permet de saisir les mouvements les plus brefs. L’instantané ouvre alors un nouveau champ de possibles, il révèle des formes insoupçonnées en ce qu’il permet d’observer en image ce que notre oeil ne peut discerner dans la réalité.


Le photographe qui était soumis pendant une partie du 19e siècle à un temps de pose long, sans échappatoire, découvre vers 1880 un monde de formes insoupçonnées qui lui est ouvert par l’instantanéité ; ce qui n’est pas perceptible dans le continuum de la vision devient observable en images.

Michel Frizot, La nouvelle histoire de la photographie, 1995


Théodore Géricault (1791-1824), Course de Chevaux, dit « Le derby de 1821 à Epsom », 1821, huile sur toile, Paris, musée du Louvre (en haut) / Thomas Eakins (1844 - 1916), A May Morning in the Park (The Fairman Rogers Four-in-Hand), 1879-1880, huile sur toile, Philadelphia Museum of Art (en bas).

L’instantané devient alors instrument scientifique, destiné à comprendre comment les choses bougent grâce à des images séquencées, à l’instar des travaux du britannique Eadweard Muybridge (1830-1904). Ce dernier en effet, à la demande de l’industriel Leland Stanford (1824-1893), s’intéressa au mouvement du cheval afin de savoir si, à un moment donné de sa course, l’animal ne pose aucun de ses quatre sabots au sol. Pour cela, le photographe inventa un système d'obturation à guillotine déclenchant l’appareil lorsque le cheval touche les fils, au fur et à mesure de sa course. De cette étude résulte l’ouvrage Animal Locomotion, publié entre 1872 et 1885. Il comprend 781 planches et plus de 7 000 poses, et sera suivi, en 1901 de la parution de Human Figure in Motion, s’intéressant cette fois-ci au mouvement de la figure humaine. Ces ouvrages ont permis à la société mais également aux artistes d’appréhender différemment le mouvement, et cela se perçoit notamment en peinture, si l’on compare les allures des chevaux de Géricault au début du XIXème siècle à ceux de Thomas Eakins (1844-1916), proche de Muybridge.


Eadweard Muybridge (1830-1904), Animal Locomotion. An Electro-Photographic Investigation of Consecutive Phases of Animal Movements,1872-1885. Volume IX, Horses, New York, Metropolitan Museum of Art

En France, Étienne-Jules Marey (1830-1904) s’intéressa également à cette question dès 1882 avec la chronophotographie, c’est-à-dire une exposition multiple. Marey améliore son système par l’utilisation d’une pellicule souple à partir de 1889, offrant ainsi les conditions nécessaires à la naissance du cinéma. De ces nouvelles formes photographiques sont nées des expériences parfois farfelues, allant jusqu’à lâcher des chats pour comprendre comment ils retombent sur leurs pattes. L’idée est d’explorer à travers la photographie ce que l’oeil humain n’est pas capable de discerner. Si ces deux hommes, Muybridge et Marey, ne cherchaient pas à inventer le cinéma, ils en sont à l’origine car ils l’ont rendu possible, envisageable dans une société où les illusions optiques existaient déjà depuis une cinquantaine d’années.


Étienne-Jules Marey (1830–1904), Oiseau en vol, 1886, tirage sur papier albuminé d’après négatif verre, New York, Metropolitan Museum of Art

Enfin le cinéma !

Lorsque l'on observe les travaux de Muybridge et Marey, on comprend aisément qu'il ne manquait qu’un pas pour que la photographie se mue en cinéma. Ce pas, ce sont les frères Auguste (1862-1954) et Louis Lumière (1864-1948) qui l’achèveront, en commercialisant en 1895, leur cinématographe. Le principe reprend donc celui de la chronophotographie, résumé ainsi dans le préambule du brevet : « le mécanisme de cet appareil a pour caractère essentiel d’agir par intermittence sur un ruban régulièrement perforé de manière à lui imprimer des déplacements successifs séparés par des temps de repos pendant lesquels s’opère soit l’impression, soit la vision des épreuves ». À la différence des autres appareils de projection, le cinématographe permet à la fois de filmer et de projeter des images animées ainsi que de tirer des copies des négatifs, supplantant rapidement les autres jouets optiques. La première projection cinématographique publique payante eut lieu dans un café du boulevard des Capucines, à Paris, présentant une série de dix courts films, dont La Sortie des usines Lumière et L'Arroseur arrosé. Dès lors le cinéma devint médium indépendant, et une nouvelle source infinie de création.



Adriana Dumielle-Chancelier


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