Par Antoine Lavastre
« Les amateurs d'objets du Moyen Âge et de la Renaissance conserveront le souvenir de la vente du cabinet de M. Didier Petit. C'est certainement la collection la plus importante en ce genre qui ait été livrée aux enchères jusqu'à présent[1] ».
Comme l’atteste cette citation tirée du Cabinet de l’amateur et de l’antiquaire de l’année 1843, Didier Petit, et sa collection, occupent une place de choix dans l’histoire de la redécouverte de l’art médiéval au début du XIXe siècle. A l’occasion de la parution du podcast réalisé par Nicolas Bousser relatif à sa demeure, La Sablière à Caluire-et-Cuire, il s’agira, en quelques lignes, de dresser les jalons biographiques et le goût de ce précurseur.
Un entrepreneur lyonnais au fort sens artistique.
Didier Petit, parfois dit de Meurville, est né le 6 décembre 1793 à Saint-Domingue – où son père était arpenteur général et propriétaire de plusieurs plantations. Il ne passera cependant que peu de temps sur son île, puisqu'encore enfant, et à la suite du décès de son père, il déménage avec sa mère en direction de la ville de Lyon. Là, il mène une vie d’entrepreneur à succès en faisant fortune grâce à sa manufacture d’étoffes pour ameublement d’églises, Didier Petit & Compagnie, établie au n°29, quai de Retz et fondée à la fin des années 1810[2]. Particulièrement renommée, cette manufacture connut l’honneur d’être visitée par le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, en 1826 et de fournir le garde-meuble de la duchesse de Berry[3].
Au-delàde son activité professionnelle, Didier Petit était un homme particulièrement impliqué dans le milieu intellectuel lyonnais, notamment artistique, en tant que membre puis vice-président de la Société des Amis des arts de Lyon. Il peignait d’ailleurs lui-même, comme en attestent plusieurs œuvres passées récemment sur le marché de l’art (il est ainsi possible de citer des études de ciel vendues par la galerie Nouvelle Athènes à Paris en 2022), et était très ami avec des artistes lyonnais comme Anthelme Trimolet, qui réalisa son portrait[4].
Didier Petit était aussi en contact avec le monde intellectuel européen. Des lettres attestent par exemple de ses échanges réguliers avec le marquis Roberto d’Azeglio, peintre et directeur de la Galerie Sabauda de Turin. Il est également possible de trouver trace de ses visites des collections du comte de Pourtalès-Gorgier ou de celle de Brunet-Denon à Paris. Il faisait d’ailleurs lui-même visiter sa collection ; comme nous l’a indiqué Maxime Dehan (biographe de Didier Petit et propriétaire de la Sablière), le duc d’Orléans, en plus de sa découverte de la manufacture, vint observer les œuvres de Didier Petit.
L’origine de son goût pour le Moyen Âge demeure cependant assez mystérieuse. Néanmoins, le contexte lyonnais n’y est sans doute pas étranger. En effet, la ville de Lyon était alors, dans le premier tiers du XIXe siècle, en proie à un véritable essor des collectionneurs d’art médiéval avec, comme figure de proue, le peintre troubadour Pierre Révoil, dont la collection fut acquise en 1828 par le roi Charles X, pour le compte du musée du Louvre. Le milieu lyonnais fait ainsi, comme l’affirme Jean-François Garmier dans un article paru en 1980 dans La Revue de l’art[5], office de précurseur « par une série de collectionneurs prestigieux. C'est, tout d'abord, Pierre Révoil (1776-1842), mais aussi Jacques Lambert (1770-1850), Jean-Baptiste Carrand (1792-1871), Jean Pollet (1795-1839), Didier Petit et Anthelme Trimolet (1798-1866), dont les collections sont constituées et, à une exception près, dispersées avant le milieu du siècle. »
Dans ce cadre, la constitution d’une grande collection d’art médiéval, centrée d’ailleurs autour de la production religieuse (sans doute en lien avec l’objet même de la manufacture de Didier Petit), trouve une certaine logique.
Le contenu de sa collection
Grâce à la fortune obtenue suite à son succès d’industrie, Didier Petit parvient en effet à se constituer une très importante collection d’art, principalement religieux. Celle-ci, constituée de près de 810 pièces, était comparable en quantité à celle de Pierre Révoil. Fidèle à son goût pour l’érudition (et peut-être pour lui donner plus de prestige pour sa vente), il en fit ainsi dresser en 1843 un catalogue exhaustif[6]. Grâce à ce dernier, ainsi qu'au catalogue de la vente de la collection, il est aujourd’hui possible de connaître dans les détails le contenu de la collection Didier Petit.
Parmi tous les éléments la constituant, une typologie particulière occupe une place de choix : l’émaillerie. Un article paru dans la Revue du Lyonnais atteste ainsi que Didier Petit était à la tête d’une « collection d’émaux comme aucun cabinet particulier n’en possède ; depuis l’époque byzantine jusqu’à nos jours, toutes les phases de cet art sont représentées dans une suite de coffres, coupes […][7]» Un sous-catégorie d’émaux est plutôt bien représentée : les émaux de Limoges, aussi bien ceux champlevés sur cuivre du Moyen Âge que ceux dits peints de la Renaissance. Didier Petit semblait d’ailleurs vouer une véritable passion à cette production, au point d’écrire à son propos un traité intitulé Notices sur le crucifix et sur les émaux et émailleurs de Limoges[8]. Dans celui-ci, il montre toute son érudition puisqu’il fait partie des premiers spécialistes à affirmer que la production d’émail champlevé sur cuivre n’est pas d’origine byzantine mais est issue d’ateliers limousins : « Aujourd'hui encore l'on attribue à Byzance une grande partie des émaux incrustés dans le cuivre. Mais plus j'étudie les émaux et leurs moindres détails, que l'on néglige peut-être trop dans les catalogues, plus je suis porté à croire que cet art appartient à la ville de Limoges depuis une haute antiquité[9].» Il possédait ainsi quelques pièces de grande importance, à l’image d’un polyptique peint par Pierre Raymond aux armes de Philippe de Bourbon et acquis lors de la vente de la collection pour la somme très importante de 4 325 F par le Comte de Pourtalès.
Au-delà de l’émaillerie, Didier Petit possédait dans sa collection de nombreuses typologies d’objets : « Bien que les monuments émaillés y tinssent la première place par leur nombre et par leur beauté, les meubles, les vitraux, l'orfèvrerie, les armes, les faïences, la verrerie, les ivoires sculptés et les manuscrits y étaient dignement représentés[10] ». On trouve ainsi dans sa collection des majoliques, des œuvres attribuées à Bernard Palissy, des tableaux donnés à Giotto, Dürer, ou encore Cranach, des livres d’heures du Moyen Âge, des triptyques en ivoire, un sabre attribué à l’empereur Sigismond, un tombeau romain, etc.
Les 810 numéros se classent ainsi :
209 émaux.
52 terres cuites.
40 verres de Venise.
33 vitraux.
13 peintures.
22 manuscrits.
49 ivoires.
24 meubles.
93 médailles, monnaies et sceaux.
71 bijoux.
91 armes.
18 œuvres antiques.
Et le reste classé en objets divers.
La dispersion d’une collection majeure.
Didier Petit vendit sa collection suite à une accumulation de dettes en 1843 à Paris, sans doute pour toucher un public plus large et fortuné. Avant cela, il tenta désespérément de la vendre en bloc pour que ne soit pas perdue sa cohérence. Dans ce but, il se rapprocha de divers musées comme celui de Lyon, le Louvre ou encore la galerie Sabauda de Turin[11]. Malheureusement, toutes ses tentatives échouèrent, sans doute à cause du coût total d’acquisition (près de 120 000 francs selon Maxime Dehan)[12].
La vente eut donc lieu en mars dans l’hôtel des ventes de la rue des Jeûneurs à Paris, destiné uniquement aux objets de grand prix pour un public choisi[13]. Ce choix atteste donc du prestige de la collection. Le commissaire-priseur était Jean-Baptiste Benou et l’expert Jean Roussel, le spécialiste d’alors de l’art médiéval : « On peut même dire que son jugement était souverain quand il s'agissait de l'appréciation des objets d'art bysantins [sic.], du Moyen âge ou de la Renaissance[14]. »
Le catalogue est assez laconique en ce qui concerne la description des lots puisqu’il renvoie à chaque fois au catalogue raisonné de la collection. Preuve, s’il en fallait une, de l’intérêt commercial de l’établissement de ce dernier.
Malheureusement, le procès-verbal de la vente n’a pas été conservé. Il est donc impossible de connaître en détail ni les prix d’adjudication des lots ni le nom des acheteurs. On sait cependant, par quelques articles de presse, que les prix d’adjudication furent parfois décevants : « Un grand et beau Reliquaire, émaillé, de 36 cent. de long sur 29 cent. de haut et 17 cent, de large, n'a été payé que 900 fr. par M. Joyau, et un autre de moindre importance 500 fr.[15] » Il ne faut cependant pas généraliser car, comme vu plus tôt, un polyptique peint a atteint la somme très importante de plus de 4000 F.
Aujourd’hui, de nombreux lots issus de cette vente ornent les collections des musées du monde, et perpétuent ainsi le souvenir de la collection. On trouve ainsi des œuvres « Didier Petit » au musée des Beaux-arts de Lyon[16], au musée du Louvre[17] ou encore au Metropolitan Museum de New York[18].
[1] « Vente du cabinet de M. Didier Petit de Lyon », Le cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, antiquités et numismatique – tableaux et estampes anciennes, objets d’art et de curiosité. Bulletin des ventes publiques, Deuxième Année, Hetzel, Paris, 1843, p. 198-199 [2] Maxime Dehan, Didier Petit de Meurville, Lyon, 2013, p. 32. [3] Communication orale de Maxime Dehan. [4] Id. [5] Jean François Garmier, « Le goût du Moyen Age chez les collectionneurs lyonnais du XIXe siècle », Revue de l’art, 47, 1980, p. 53-64. [6] Catalogue de la collection formée par M. Didier Petit, à Lyon, consistant en émaux, faïences, verres de Venise, vitraux peintures, manuscrits, ivoires, meubles, objets divers du moyen âge et de la Renaissance, médaillons, médailles, monnaies, sceaux, bijoux, armes..., Paris, Lyon, 1843. [7] Revue du Lyonnais, tome XIV, VIIème année, p. 534 [8] Didier Petit, Notices sur le crucifix et sur les émaux et émailleurs de Limoges, Paris, Lyon, 1843. [9] Didier Petit, Notices sur le crucifix et sur les émaux et émailleurs de Limoges, Paris, Lyon, 1843, p. 18. [10] « Vente du cabinet de M. Didier Petit de Lyon », Le cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, antiquités et numismatique – tableaux et estampes anciennes, objets d’art et de curiosité. Bulletin des ventes publiques, Deuxième Année, Hetzel, Paris, 1843, p. 198-199 [11] Maxime Dehan, Didier Petit de Meurville, Lyon, 2013, p. 38-39. [12] Maxime Dehan, Didier Petit de Meurville, Lyon, 2013, p. 38. [13] Manuel Charpy, Le théâtre des objets. Espaces privés, culture matérielle et identité bourgeoise. Paris 1830-1914, thèse de doctorat à l’université François-Rabelais de Tours, sous la dir. de Jean Luc Pinol, 2010, p. 1009. [14] Catalogue des objets d’art, de curiosité et d’ameublement ; tableau anciens dépendant de la succession de feu M. Roussel, expert, Paris, 1866, p. 7. [15] « Vente du cabinet de M. Didier Petit de Lyon », Le cabinet de l'amateur et de l'antiquaire, antiquités et numismatique – tableaux et estampes anciennes, objets d’art et de curiosité. Bulletin des ventes publiques, Deuxième Année, Hetzel, Paris, 1843, p. 198-199. [16] https://collections.mba-lyon.fr/fr/search?query=%22Meurville+Didier-Petit+de%22&p=1 [17] https://collections.louvre.fr/recherche?q=%22Didier+Petit%22 [18] Workshop of Colin Nouailher | Julius Caesar | French, Limoges | The Metropolitan Museum of Art (metmuseum.org) [19] Catalogue des objets d’art et de haute curiosité antiques, du Moyen-Âge et de la Renaissance composant l’importante et précieuse collection Spitzer, Paris, 1893, p. XXIII. [20] Id.
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