"Labyrinthes" au musée des Beaux-Arts de Chartres
- Antoine Lavastre
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Par Antoine Lavastre
Depuis quelques années, le Musée des Beaux-arts de Chartres, longtemps laissé dans un état de quasi-abandon, retrouve enfin de la vie et de l’intérêt. Par l’intermédiaire d’un nouvel accrochage chronologique simple mais efficace, ses collections d’importance (peintures de Zurbarà n, Chardin, et Soutine ; sculptures de Marchand, Préault, et Richer ; émaux de Limosin, etc.) sont de nouveau valorisées ; ce qui réussit même à masquer la vétusté de certaines salles de l’ancien palais épiscopal. Cette renaissance est accompagnée par une politique d’exposition ambitieuse autour de thèmes à même d’intéresser les amateurs d’art possiblement nombreux grâce à l’immédiate proximité de l’un des édifices les plus visités de France : la cathédrale Notre-Dame. C’est d’ailleurs en lien avec cette dernière que le musée des Beaux-arts présente jusqu’au 3 août 2025 « Labyrinthes ».

Cette exposition entre ainsi en résonance avec le millénaire des fondations de la cathédrale en célébrant un des éléments clés de sa renommée : le labyrinthe qui orne sa nef au niveau des troisième et quatrième travées depuis le début du XIIIe siècle. Les commissaires, Grégoire Hallé, le directeur du musée, et Mathias Dupuis, directeur de l’archéologie pour la métropole chartraine, avec leurs équipes, ont donc réuni près d’une cinquantaine d’œuvres pour créer un parcours retraçant, de l’Égypte antique à la culture populaire, l’histoire d’une iconographie ayant profondément irrigué la création occidentale.
Un parcours efficace
Revenant d’abord sur le mythe antique du dédale crétois abritant le minotaure Astérion, fils de Pasiphaé, femme de Minos, et d’un taureau, les premières salles de l’exposition sont dédiées à la mise en image des épisodes de ce récit. Du sacrifice des innocents Athéniens, en passant par le meurtre de la bête par Thésée, jusqu’à l’envol de Dédale et la chute d’Icare son fils, les artistes ont, depuis l'Antiquité, trouvé dans cette histoire des éléments propices à leurs inventivité. Ensuite, le parcours s’arrête sur le motif même du labyrinthe, élément central du mythe, en tentant d’expliciter le phénomène ayant entraîné sa christianisation par l’intermédiaire d’exemples issus d’ouvrages ou lapidaires. Le point d’orgue de cette partie est ainsi la pierre centrale du labyrinthe de la cathédrale d’Amiens, qui, à cette occasion, a quitté sa Picardie pour la première fois de son histoire. L’exposition se conclut enfin par la diffusion du motif dans l’art européen, des prisons de Piranèse à la culture pop (jeux de société, littérature, cinéma, et jeu-vidéo). À tout cela, s’ajoute, en guise d’ouverture, une œuvre contemporaine remarquable d’Elliott Causse, Circuit fermé, prenant place dans l’ancienne chapelle.

Un propos accessible servi par des prêts remarquables
Ce propos clair et assez didactique est accompagné d’œuvres d’importance issues de prêts de nombreuses institutions françaises (Musées du Louvre, du Puy-en-Velay, de Compiègne, de Tours, Reims, etc.) Cela témoigne de l’ambition portée par le musée : proposer une exposition d’intérêt national. Il est ainsi louable que la municipalité ait alloué un budget suffisant pour un tel projet après les années de vache maigre décrites en introduction. Ces prêts apportent, de fait, une autre portée à l’évènement grâce à l’attraction d’artistes de forte renommée tels Rodin, Picasso ou encore Gustave Moreau. Néanmoins, leurs œuvres ne sont pas des faire-valoir et viennent mettre en exergue le propos de l’exposition tout comme celles moins connues mais tout aussi intéressantes qui donnent au visiteur averti le plaisir de la (re)découverte. Dans ce cadre peuvent être cités : le grand Minotaure de François-Xavier Lalanne (1970, musée des Beaux-arts d’Agen), l’Histoire de Thésée du maître des cassoni Campana (vers 1505-1510, musée du Petit Palais d’Avignon) ou encore le panneau de calcaire figurant La chute d’Icare (XVIIe siècle) du musée Antoine Vivenel de Compiègne.

La volonté d’ancrer le musée dans son temps en dédiant (dans un espace cependant relativement réduit) une partie du parcours à la culture contemporaine est également louable. En ce sens, et dans ce cadre, les commissaires prouvent que le cinéma et la littérature populaire, tout comme le jeu, ont plus que jamais leur place au musée. Il est ainsi particulièrement agréable, et enrichissant pour le propos, de contempler dans des vitrines le jeu de société « Labyrinthe » ou encore des planches des Cités obscures de Schuiten et Peeters.
Il est cependant dommageable que le labyrinthe de la cathédrale de Chartres ne soit pas mieux abordé dans l’exposition. S’il est bien mentionné et que des œuvres lui font référence, le visiteur doit se rabattre sur catalogue pour que le motif ayant inspiré l'exposition soit explicité de manière approfondie. A contrario, le labyrinthe de la cathédrale d’Amiens, pourtant distant de plus de 200 kilomètres et détruit au XIXe siècle, est bien mieux valorisé, notamment par la présence de la pierre centrale déjà citée. Il est ainsi parfois plus aisé d’évoquer un élément disparu que le subsistant. De fait, la visite de l’exposition un vendredi, jour de dévoilement du labyrinthe chartrain, s’impose.

Pour compléter sa visite : le catalogue
Enfin, et par souci d’exhaustivité, le catalogue nécessite également un point d’attention. Constitué d’une succession d’essais par des spécialistes du sujet, il mérite la lecture pour compléter l’expérience. L’espace restreint dédié aux expositions dans le musée des Beaux-arts peut en effet laisser le visiteur sur sa faim. Dans ce cadre l’ouvrage, vendu à prix accessible (25€), joue son rôle à merveille (sans pour autant être obligatoire comme c’est parfois le cas pour appréhender le propos de certaines expositions). Nous pouvons néanmoins regretter, et c’est malheureusement trop souvent le cas, que les œuvres présentées dans l’exposition ne bénéficient pas de notices dédiées.

En résumé, l’exposition « Labyrinthes » du musée des Beaux-Arts de Chartres, tout comme les espaces permanents de l’institution, mérite - enfin ! - de s’aventurer au cœur de la Beauce sans appréhension.
Labyrinthes, du 5 avril au 3 août 2025 au musée des Beaux-arts de Chartres.