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« Julia Margaret Cameron. Capturer la beauté » au Jeu de Paume


Jusqu’au 28 janvier 2024, les portraits photographiques de Julia Margaret Cameron (1815-1879) sont à l’honneur au Jeu de Paume après une première étape britannique. L’institution consacre à cette figure éminente de la photographie du XIXe siècle une grande rétrospective, la première de cette envergure en France depuis quarante ans. À travers une sélection comprenant une centaine d’épreuves, parmi lesquelles des prêts exceptionnels accordés par la Bibliothèque nationale de France, la Maison Victor Hugo ou encore le musée d’Orsay, le public est invité à (re)découvrir les travaux de cette pionnière du flou artistique, centrés sur la figure humaine.


Henry Herschel Hay Cameron, Mrs Julia Margaret Cameron, 1870, Londres, Victoria and Albert Museum

© The Royal Photographic Society Collection at the V&A, acquired with the generous assistance of the National Lottery Heritage Fund and Art Fund


Dans l’histoire de l’art, le nom de Julia Margaret Cameron est attaché à une conception novatrice du médium photographique. Il compte parmi ceux qui ont contribué à redéfinir la photographie comme un puissant moyen d’expression artistique, rompant ainsi avec sa fonction initiale de simple outil documentaire.


Née en 1815 à Calcutta, en Inde, d’un père employé de la Compagnie britannique des Indes orientales et d’une mère française, Julia Margaret Pattle a vécu l’essentiel de son enfance entre la France et la Grande-Bretagne. Après de nombreuses années passées en Europe, elle retourne vivre dans son pays natal en 1834. C’est à ce moment-là qu’elle croise la route de Charles Hay Cameron (1795-1880), juriste de formation et fonctionnaire dans l’administration des Indes, qu’elle épouse quatre années plus tard. Le couple, après s’être établi à Ceylan (actuel Sri Lanka) une dizaine d’années, décide finalement de s’installer à Londres avec ses six enfants en 1848.


Au début de cette décennie, les premiers jalons d’une approche artistique de la photographie sont posés outre-Manche par le scientifique amateur anglais William Henry Fox Talbot (1800-1877). Contrairement à son rival français Louis Daguerre (1787-1851) qui produit des images célébrées pour leur précision et leur netteté, il s’attèle à la réalisation de clichés au contenu moins détaillé, dont le rendu s’apparente à des gravures et des dessins. Il qualifie d’ailleurs ses premiers résultats de « dessins photogéniques » (photogenic drawings).


C’est dans le contexte de cette Grande-Bretagne orientée vers une photographie moins scientifique et documentaire que Julia Margaret Cameron reçoit des mains de sa fille Julia et de son gendre Charles son premier appareil : un boîtier photographique coulissant au format 10 x 12. Ce cadeau, offert à l’occasion de son quarante-huitième anniversaire, marque véritablement le début de sa carrière photographique.


Objectif photographique ayant appartenu à Julia Margaret Cameron, 1840-1860, Londres, Victoria and Albert Museum

© Eléa Dargelos


Avant cet évènement, Cameron connaissait déjà les rudiments de la photographie grâce aux cercles qu’elle fréquentait. Elle comptait notamment parmi ses amis l’astronome, savant et pionnier de la photochimie John Herschel (1792-1871), qu’elle avait rencontré en 1836 au cap de Bonne-Espérance. Ce dernier, qui avait entretenu une importante correspondance avec Talbot au sujet de ses expériences sur la sensibilité de la lumière, l’avait informée de l’invention de la photographie dès 1839 avant de lui faire parvenir quelques épreuves. Bien que l’apprentissage de Cameron ait été principalement autodidacte, il est probable qu’elle ait également été en partie formée au tirage par le photographe britannique d’origine suédoise Oscar Gustave Rejlander (1813-1875), célèbre pour son épreuve de grande dimension intitulée The Two ways of life (1857).


Oscar Gustav Rejlander, The Two ways of life, 1857, épreuve sur papier albuminé à partir de trente négatifs, Bradford, National Media Museum

© Wikimedia Commons


Alors qu’au cours des années 1850 les photographes privilégiaient les thèmes du paysage, de l’architecture et du voyage, les années 1860 virent l’avènement d’une nouvelle ère, celle du portrait photographique. Cette tendance, introduite en France en 1854 par le brevet du format dit « carte de visite » d’Eugène Disdéri (1819-1889), se répandit rapidement outre-Manche pour prendre la forme d’une véritable « cartomanie » et d’un engouement généralisé pour le portrait auquel Cameron prit part.


L'exposition du Jeu de Paume, organisée en trois sections thématiques, offre un panorama complet de l’Œuvre de la photographe. La première section, axée sur ses débuts, s’ouvre sur le portrait d’Annie Philpot, considéré par Cameron comme sa « première réussite ». Les clichés regroupés dans cet espace donnent à voir avant l’heure ses principales préoccupations artistiques. À travers des études intimes de sa famille et de son entourage, se révèle un penchant précoce pour le cadrage serré, une profondeur de champ limitée et une mise au point volontairement floue. Ces éléments deviennent par la suite essentiels dans la création de ses portraits, au style hautement identifiable.


Julia Margaret Cameron, Annie (Annie Philpot), 1864, Londres, Victoria and Albert Museum

© The Royal Photographic Society Collection at the V&A, acquired with the generous assistance of the National Lottery Heritage Fund and Art Fund


La section suivante se présente comme une galerie de portraits qui met en évidence le large éventail de sujets photographiés par Cameron. Les membres de sa famille ou de son entourage deviennent, par exemple, des modèles pour des compositions narratives ou allégoriques à l’atmosphère vaporeuse et éthérée. Sont également présentés les portraits de personnalités éminentes de son époque, à l’instar de l’astronome britannique John Frederick William Herschel (1792-1871), photographié dans l’unique dessein de montrer sa propre image.


Julia Margaret Cameron, The Astronomer (John Frederick William Herschel), 1867, Londres, Victoria and Albert Museum

© The Royal Photographic Society Collection at the V&A, acquired with the generous assistance of the National Lottery Heritage Fund and Art Fund


Cette partie de l’exposition montre également que Cameron puisait fréquemment son inspiration dans la littérature et la peinture de son époque, composant ses photographies à la manière de tableaux. L’influence du mouvement artistique préraphaélite anglais, qui prônait un retour à la peinture italienne du XVe siècle, transparaît dans ses choix de costumes, de décors et de poses, qui confèrent aux images une intensité dramatique et une dimension théâtrale. Ces éléments sont particulièrement visibles dans un cliché de 1872 intitulé I Wait (Rachel Gurney), commenté par Adriana Dumielle-Chancelier ici.


Julia Margaret Cameron, I Wait (Rachel Gurney), 1872, Londres, Victoria and Albert Museum

© The Royal Photographic Society Collection at the V&A, acquired with the generous assistance of the National Lottery Heritage Fund and Art Fund


La dernière étape du parcours se concentre sur l’utilisation de la photographie à des fins d’illustration. Elle dévoile un ensemble important de clichés réalisés par Cameron pour imager des récits mythologiques, religieux et contemporains. Parmi eux figurent notamment les photographies créées pour accompagner le recueil Idylls of the king (1859-1885) de son ami le poète anglais Alfred Tennyson (1809-1892).


Alfred Tennyson's Idyls of the King and Other Poems, vol. 1, recueil de poèmes illustrés de photographies de Julia Margaret Cameron, Londres, Henry S. King & Co., 1875

© Eléa Dargelos


Bien que l’exposition se focalise principalement sur la présentation de photographies, elle comprend également des objets personnels de l’artiste, tels que les feuillets originaux de son œuvre autobiographique intitulée Annals of My Glass House et l’objectif de son appareil acquis en 1866. L’inclusion de ces éléments dans le parcours vise à ancrer les images dans une réalité plus concrète, conforme à la conception scénographique de Kevin Lebouvier. Celui-ci a souhaité recréer l’atmosphère des espaces intérieurs victoriens en disposant les photographies sur des surfaces sombres et en cherchant à établir une proximité entre les portraits et le public.


Vue de la scénographie

© Antoine Lavastre


Malgré une carrière photographique particulièrement brève, s’étendant sur seulement quatorze années, Julia Margaret Cameron a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire du médium photographique. Avant la pleine reconnaissance de la photographie comme un art à part entière et l’avènement du courant pictorialiste, elle s’est orientée vers une recherche de la beauté et de l’esthétisme, s’éloignant volontiers des normes techniques pour privilégier l’expressivité de ses sujets. L’exposition du Jeu de Paume met en lumière non seulement l’importance du rôle joué par la photographe, mais offre également l’opportunité de souligner plus largement la contribution des femmes photographes à la création photographique au XIXe siècle.



 

Julia Margaret Cameron. Capturer la beauté

10 octobre 2023 - 28 janvier 2024

Jeu de Paume

1 place de la Concorde

Jardin des Tuileries, Paris 1er

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