"La nuit dernière, l'histoire du cinéma s'est écrite au Broadway Theatre". C'est ainsi que Bosley Crowther décrit, pour le Times, l'émotion qu'engendra le 13 décembre 1940 la première de Fantasia, un film musical en sept parties. Si les éloges cohabitent avec des critiques plus acerbes, dénigrant le fait de mettre en images de la musique dite "classique" ou regrettant certains segments moins inspirés, il demeure que l'une des séquences, encensée par la critique, est devenue le visage de Fantasia en s'imposant comme une des plus brillantes animations de Mickey Mouse : L'Apprenti sorcier.
L'association entre animation et musique n'est pas une nouveauté pour les studios Disney, qui intègrent des scènes de ce type dans de nombreux courts métrages. Si les Silly Symphonies, décrites par Walt Disney comme des "nouvelles musicales", semblent illustrer à elles seules cette connivence, force est de constater que la plus célèbre des souris voit ses courts métrages agrémentés de nombreuses scènes dédiées à la musique. Depuis l'introduction du son synchronisé dans Steamboat Willie (1928), première réalisation sonore de Disney, au surprenant concert de Rythme en Bleu (1931), Mickey Mouse se retrouve régulièrement témoin voire acteur de l'un des grands amours de Walt Disney. A tel point que la souris donne son nom au concept du Mickey Mousing, qui désigne la synchronisation totale de la musique avec l'image.
Les productions du studio connaissent une ampleur nouvelle au cours des années 1930. Si le contrat passé avec la United Artists en 1932 donne lieu à de nombreux courts métrages ambitieux, le développement à partir de 1934 du premier long métrage Disney, Blanche-Neige et les Sept Nains, repousse encore les limites techniques de l'animation. On retrouve Ce savoir-faire renouvelé dans des productions ultérieures, parmi lesquelles se trouve Le Brave Petit Tailleur (1938), une œuvre mettant en scène Mickey Mouse faisant face malgré lui à un géant qui terrorise sa région. La qualité des décors et de l'animation, exceptionnelle pour un film de ce format, donne une idée des nouvelles ambitions de la firme. Pour un prochain court métrage, dont l'idée est trouvée au printemps 1937 alors que Le Brave Petit Tailleur n'était encore qu'un scénario, Walt Disney souhaite obtenir les droits du poème musical L'Apprenti sorcier de Paul Dukas, inspiré par un poème de Goethe de 1797 : Der Zauberlehrling. Mickey y incarnerait le jeune apprenti d'un sorcier expérimenté, qui déclenche en l'absence de son maître un cataclysme à cause d'un sort non maîtrisé. Après avoir ensorcelé un balai pour transporter de l'eau à sa place, il s'endort et se rêve en démiurge. Mais à son réveil, celui-ci s'aperçoit que le balai a poursuivi son ouvrage, si bien que la pièce est inondée. L'apprenti luttant contre sa propre erreur voit alors la situation lui échapper, avant d'être finalement sauvé par le retour du magicien, qui règle en un instant la catastrophe. Alors que la préproduction n'en est qu'à ses débuts, l'idée de suivre précisément la musique de Paul Dukas convainc l'équipe, imposant un rythme et des variations précises à l'animation.
Débordant d'enthousiasme pour ce projet, Walt Disney fait appel au chef d'orchestre britannique Leopold Stokowski pour enregistrer L'Apprenti sorcier. Or, pareille qualité est coûteuse et l'œuvre dépasse le budget généralement alloué à un court métrage. Pour remédier à cela, Stokowski a alors l'idée d'intégrer L'Apprenti sorcier à un long-métrage dédié à la musique. Il en trouve même le nom : Fantasia. Celui-ci, composé de séquences hétéroclites introduites par le musicologue Deems Taylor, devient un film pluriel, pensé à l'origine comme un écrin au morceau de bravoure qu'est L'Apprenti sorcier, réalisé par James Algar.
Le personnage de Mickey Mouse, qui perdait de sa superbe au profit de ses faire-valoir dans la deuxième moitié des années 1930, est réinventé en 1938 par Fred Moore. Animateur reconnu au sein du studio depuis son travail sur Puppy Love (1933), il s'attelle à moderniser les traits de la souris en ajoutant notamment des pupilles à ses yeux auparavant monochromes, permettant au personnage d'étendre la gamme de ses expressions. Ce changement esthétique qui aurait dû apparaître pour la première fois dans L'Apprenti sorcier, se heurte au retard qu'entraîne la réalisation des autres séquences de Fantasia. C'est donc dans Le Chien d'Arrêt que cette nouvelle apparence est finalement révélée le 21 juillet 1939. Directeur de l'animation de Mickey dans L'Apprenti sorcier, Fred Moore s'assure que les artistes s'accordent au nouveau design de la vedette. Avec son allure juvénile, le personnage de Mickey voit ses mouvement amplifiés par l'iconique robe rouge de l'apprenti, bien trop grande pour lui, reprenant une idée chère à Walt Disney, déjà exploitée dans La Fanfare (1935), premier court métrage Technicolor mettant en scène la souris. Les mouvements du vêtement ont été inspirés à Preston Blair par les ondulations des longs cheveux de son modèle, un athlète de l'université de Californie à Los Angeles.
Le traitement particulièrement virtuose de l'eau dans L'Apprenti sorcier peut être expliqué par la réalisation en parallèle du long-métrage d'animation Pinocchio, pour lequel le studio peaufine le rendu des mouvements de l'onde. Les animateurs de personnages collaboraient dès lors avec des artistes spécialisés, en témoignent les cellulos (feuilles transparentes sur lesquelles sont peints les éléments mobiles d'un dessin animé) indépendants des éclaboussures traitées au lavis. Ugo d'Orsi est par exemple chargé de la réalisation de l'eau montante. Le rêve de Mickey est un moment d'apothéose pour les animateurs d'effets, qui doivent mettre en images la cosmogonie mégalomaniaque qui émerge de l'imagination débridée de l'apprenti, figurant un Stokowski hyperbolique dirigeant des astres.
Quant au magicien de L'Apprenti sorcier, son faciès est développé dans un premier temps par Joe Grant, puis Grim Natwick, animateur du Prince de Blanche-Neige et les Sept Nains, commence le travail d'animation. Cependant, rapidement rappelé par les studios Fleischer pour la réalisation du film Les Voyages de Gulliver (1939), il doit céder sa place à un autre artiste. Entre alors en scène Bill Tytla, déjà reconnu pour son travail sur Le Brave Petit Tailleur où il était chargé de l'animation du géant et qui fait office de spécialiste en ce qui concerne le traitement des figures colossales. Surtout retenu pour l'animation du démon Chernobog issu du dernier segment de Fantasia, il s'attelle également à la réalisation du magicien Yen Sid, qui - non content de porter son nom à l'envers - parodie dans la scène finale, avec son sourcil levé et sa sévérité amusée, certains traits de caractère de Walt Disney.
Ce dernier prête également sa voix à Mickey dans un des rares dialogues de l'œuvre. Il s'associe par ce biais à la fois à l'apprenti et au magicien, figurant les deux facettes de l'artiste, de l'émerveillement sans limite à la plus stricte rigueur.
Le succès relatif de Fantasia suivi en 1941 par la première grève des studios marque le début d'une période difficile pour les studios Disney. L'entrée en guerre des Etats-Unis le 7 décembre 1941 éclipse pour quelques années Mickey Mouse au profit de son combatif compagnon Donald Duck, plus à même de rayonner dans une période de crise. L'immense ambition de Fantasia se heurte ainsi aux réalités historiques de la Seconde Guerre Mondiale. Le film rencontre cependant un plus franc succès au cours de ses ressorties, bénéficiant notamment dans les années 1950 du format Superscope.
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