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La chambre de Van Gogh à Arles, le rêve d'un atelier provençal


Monde instable derrière des volets fermés, la Chambre de Van Gogh à Arles est à l'image de celui qui l'habite. Spontanés, presque fébriles, ses coups de pinceaux courts retracent ce lieu qui lui est cher. Il y associe ses espoirs, sa vision, ses rêves. Au travers des trois versions de l'œuvre, c'est la même ambivalence qui jaillit. Apaisante et effrénée, structurée et déroutante : la Chambre, c'est lui.


Van Gogh découvre les estampes japonaises à Anvers, en 1885, et se met à les collectionner. Il est fasciné par la lisibilité des compositions et par le travail de la peinture en aplats. L'artiste, qui privilégiait alors les teintes sombres, s'essaie peu à peu à la couleur. En mars de l'année suivante, il se rend à Paris, où il visite la huitième et dernière exposition impressionniste et fait la connaissance de pléthore de peintres visionnaires, observant de près les nouveautés esthétiques du moment. Ses œuvres évoluent et son ambition grandit. Il nourrit un nouveau projet : se rendre en Provence pour peindre sous le soleil. Lorsque Vincent arrive à Arles en février 1888, fort de l'observation des avant-gardes parisiennes, il déborde d'espoir. Il voit le Sud comme un nouveau laboratoire d'expériences picturales et rêve de fonder un atelier rassemblant plusieurs artistes. Vivant toujours aux frais de son frère Théo, marchand d'art à Paris, il loue quatre pièces d'une maison place Lamartine, dans le quartier de la Cavalerie.

Vincent Van Gogh, La Chambre de Van Gogh à Arles, octobre 1888, Musée Van Gogh, Amsterdam
Autoportrait à la pipe et au chapeau de paille, 1887, Arles

"Dans cette maison il y a un escalier ; Dans cet escalier il y a une chambre", dirait Eluard. Alors qu'il se repose depuis quelques jours dans la pièce qu'il s'était dédié, Vincent a l'idée de représenter ce lieu de vie, cette "maison jaune", de l'intérieur. La première version de la Chambre de Van Gogh à Arles fut réalisée en octobre 1888, alors que l'artiste attendait Paul Gauguin, censé le rejoindre à la fin du mois. Il peint cette chambre simple, proche des idéaux de dépouillement qu'il attribue aux peintres japonais. Avec pour tout mobilier deux chaises, une table et un immense lit, la pièce est cependant constellée d'œuvres aux murs : un paysage, deux dessins et deux portraits. Derrière la tête de lit, un chapeau de paille rappelle une œuvre antérieure, témoin de l'époque où le peintre, encore à Paris, se visualisait déjà sous le soleil de Provence : Autoportrait à la pipe et au chapeau de paille. Activement à la recherche d'un renouveau pictural, l'artiste s'attarde sur la composition et les couleurs afin de proposer une œuvre qui se rapproche, par le biais de larges surfaces colorées aux contours noirs, des estampes japonaises. Il réfléchit en amont aux teintes qu'il désire, et dépeint dans ses lettres à Théo, le tableau qu'il imagine. Il décrit des murs d'un violet pâle et un sol à carreaux rouges qui ne sont pourtant plus visibles dans l'état actuel de la Chambre de Van Gogh à Arles, la lumière et le temps ayant altéré les couleurs d'origine.

détail de la Chambre de Van Gogh à Arles

Les portraits situés en haut à droite de l'œuvre renvoient à deux tableaux réalisés par l'artiste plus tôt dans l'année. Celui de gauche, portrait d'Eugène Boch, ou le Poète, représente le peintre belge que Van Gogh rencontre dans l'atelier du peintre Fernand Cormon, à Paris. Reconnaissable à la confrontation vivace entre le bleu et le orange, l'œuvre originale est aujourd'hui conservée au Musée d'Orsay. A sa droite se trouve le portrait de Paul Eugène Milliet, ou l'Amant, que Van Gogh rencontre à Arles en lui donnant des cours de dessin. Ainsi mis en relation, la sensibilité d'Eugène Boch s'oppose à la rugosité du zouave.

Alors que Vincent est hospitalisé, une crue du Rhône abîme la Chambre. Le peintre s'attache alors à en réaliser deux copies en septembre 1889 à l'asile de Saint-Rémy-de-Provence.

Van Gogh, la Chambre, 1889, Art Institute of Chicago

La première de ces deux reproductions, actuellement conservée à Chicago, atteste d'une perspective déroutante, commune aux trois versions de l'œuvre. Loin d'être une maladresse, c'est l'évocation de l'architecture particulière de la chambre, dont le mur du fond est en biseau. L'artiste cultive cependant un certain chaos en multipliant les points de fuite. Si les couleurs demeurent harmonieuses, les lignes introduisent un glissement discret et provoquent un sentiment diffus de déséquilibre. La couleur est vive, la peinture atteste de plus de reliefs que la version d'Amsterdam et l'artiste n'hésite pas à laisser apparentes les traces de ses outils. Les portraits d'Eugène Boch et Paul-Eugène Milliet sont remplacés par un autoportrait de l'artiste et un portrait de femme.

Vincent Van Gogh, la Chambre de Van Gogh à Arles, 1889, Musée d'Orsay
Van Gogh, Portrait de l'artiste sans barbe, collection privée

La troisième et dernière version se trouve au musée d'Orsay. Le tableau, légèrement plus petit que les précédents, est offert par Van Gogh à sa sœur. Comme c'est le cas pour la Chambre de Chicago, seules quelques différences permettent de distinguer ce tableau des deux autres. Sur le mur du fond, le paysage a changé et semble représenter un arbre tordu se détachant sur un crépuscule. Les deux portraits sont également remplacés. Si l'artiste dispose encore une fois un autoportrait à gauche et un portrait de femme à droite, il apparaît cependant que les deux œuvres sont différentes : Van Gogh est ici imberbe et l'inconnue a les cheveux bruns. Vincent semble citer le Portrait de l'artiste sans barbe, réalisé en 1889, la même année que cette version de la Chambre. Son rêve d'ouvrir un atelier dans le Sud s'évanouit peu à peu à mesure que sa santé mentale se détériore, et ces trois tableaux témoignent de l'ambition de ce projet inabouti. A la mort de l'artiste en 1890, répond la destruction de la maison jaune par un bombardement en 1944, laissant à la Chambre le soin de porter le souvenir à la fois d'un regard et d'un lieu.


Regardées avec attention par les artistes fauves, les œuvres tardives de Vincent Van Gogh témoignent d'une urgence sous-jacente. Synthèse d'un séjour arlésien exalté par les projets du peintre, contenant l'impatience et l'apaisement qu'il ressent, la Chambre de Van Gogh à Arles est un fragment : celui d'un potentiel atelier derrière des volets verts.

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