La Fondation Louis Vuitton accueille, du 20 février au 17 juin 2019, une des plus importantes collections de peintres impressionnistes au monde : La Collection Courtauld. Rassemblée majoritairement entre 1923 et 1929 par Samuel Courtauld, industriel anglais, fondateur du Courtauld Institute of Art, elle concentre des tableaux de grands maîtres de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, dont quelques 110 pièces sont en ce moment exposées à la Fondation. Coupe-File vous emmène au cœur de cette anthologie impressionniste, témoin du goût d'un des plus grands mécènes du XXème siècle.
L'exposition s'ouvre sur un face à face frappant avec la jeune Suzon, figure centrale du tableau Un bar aux Folies-Bergère, réalisé par Édouard Manet en 1882. La petite serveuse à l'allure pensive capte immédiatement l'attention du visiteur qui se retrouve happé dans l'univers frénétique des music-halls. En observant le miroir, le spectateur comprend vite qu'il voit au travers des yeux du client de Suzon, venu acheter une fille ou de la boisson. Les jambes d'un acrobate dépassent en haut à gauche du tableau, soulignant l'agitation de la pièce qui fait presque écho au brouhaha des multiples visiteurs qu'attire chaque jour l'exposition. La première salle est presque exclusivement consacrée à Manet, et on y retrouve notamment une esquisse du tableau Le Déjeuner sur l'herbe, conservé au Musée d'Orsay. Néanmoins, un détail frappe : la femme qui regarde vers le spectateur est rousse, alors que brune dans le tableau définitif. Manet n'est cependant pas le seul à être à l'honneur. Quelques œuvres du peintre Honoré Daumier, caricaturiste de génie, sont également présentées, notamment Don Quichotte et Sancho Panza, réalisé vers 1870, qui ne va pas sans rappeler Don Quichotte et la mule morte, du même peintre, conservé au musée d'Orsay.
La Deuxième salle rassemble Monet, Renoir, Pissaro, Boudin, Sisley et Degas. Les lecteurs de La Bête Humaine reconnaitraient dans La Gare Saint-Lazare, de Monet, la description très impressionniste que Zola en fait dans l'incipit de son roman. Cependant, Courtauld semblait avoir une tendresse particulière pour Renoir. En effet, il avait dédié un poème aux tableaux Le Printemps, Chatou et à La Loge. Ce dernier, réalisé en 1874, est particulièrement audacieux. En effet, les modèles Nini Lopez et Edmond Renoir se trouvent dans une loge de théâtre. Or le chevalet du peintre se retrouve alors théoriquement dans le vide. En réalité, cette loge est artificielle et fut reproduite en atelier. Courtauld avait une inclinaison naturelle pour les paysages impressionnistes, qui lui "ont enseigné à voir la nature dans les tableaux, et les tableaux dans la nature, avec un plaisir infini."
La troisième salle est exclusivement consacrée à George Seurat, créateur du pointillisme. Il est, avec Cézanne et Turner, le seul artiste bénéficiant d'une pièce dédiée. Et pour cause, Courtauld possédait la plus grande collection de tableaux de Seurat du Royaume-Uni. Il s'y cache le seul autoportrait connu du peintre. Inutile de chercher, vous ne le verrez pas. Il se trouve dans l’œuvre Jeune Femme se poudrant, peint entre 1888 et 1890, dans le cadre en haut à gauche de la scène. Pour désamorcer le potentiel comique de pareille représentation, Seurat l'a recouvert d'un pot de fleur. On trouve également en face de l’œuvre une collection de petits formats dont la plupart sont des esquisses à des tableaux de plus grandes dimensions. A quelques exceptions près : La Plage des Gravelines, réalisé en 1890, est une œuvre à part entière, et les quelques grains de sables pris dans la peinture témoignent de sa réalisation in situ.
La quatrième salle met à l'honneur deux tableaux de Toulouse-Lautrec, et la pénombre qui y règne fait écho à la vie du peintre des nuits parisiennes. La figure élancée de l'un de ses modèles favoris, une célèbre danseuse de cabaret, est représentée dans l’œuvre Jane Avril à l'entrée du Moulin-Rouge, peinte vers 1892. La grande sensibilité avec laquelle le peintre dépeint son allure réservée contraste avec les représentations habituelles des danseuses et trahit la complicité entre le modèle et l'artiste. La sobriété de Jane Avril dénote par rapport à la protagoniste du tableau présenté à côté, En cabinet particulier (Au Rat mort), où le rouge et le vert se mêlent grâce à la touche saccadée du peintre, donnant à la scène un aspect onirique et éthylique. Sont également présentées dans cette pièce de nombreuses œuvres sur papier, réalisées par Picasso, Matisse, Seurat, Toulouse-Lautrec, Degas, Van Gogh et Cézanne. Au centre se trouve un ensemble de neuf lettres rédigées par Cézanne et adressées à Émile Bernard, dans lesquelles l'artiste détaille ses conceptions artistiques. Un petit bronze d'Auguste Rodin, le Masque d'Hanako, réalisé en 1908, est également exposé et fait partie des trois sculptures de l'exposition.
La cinquième salle présente Cézanne, et les deux premières œuvres à portée de regard sont intimement liées. En effet, Courtauld possédait l'un des cinq tableaux Les Joueurs de cartes, réalisé entre 1892 et 1896. On y retrouve l'affection particulière que Cézanne portait aux visages sculpturaux et abîmés. Les deux protagonistes du tableau sont des ouvriers qui travaillaient pour lui. Celui de gauche est également représenté par l'artiste dans un portrait : L'Homme à la pipe. Cézanne fut d'autre part le peintre de nombreux paysages, comme le montre le tableau La Montage Sainte-Victoire au grand pin, réalisé vers 1887, qui témoigne de sa grande maîtrise de la perspective atmosphérique. En effet, selon lui, la couleur construit la forme. L'ensemble des Cézanne rassemblé par Courtauld est le plus important du Royaume-Uni et le collectionneur a joué également un grand rôle dans la reconnaissance du peintre.
Dans la sixième salle se côtoient Gauguin, Modigliani, Van Gogh, Vuillard, Bonnard et le Douanier Rousseau. Cependant, le fantôme d'une friction plane au dessus d'une œuvre : Autoportrait à l'oreille bandée, peinte en 1889 par Vincent Van Gogh. En effet, elle rappelle la célèbre dispute qui opposait les conceptions de la peinture de ce dernier et celles de Paul Gauguin, qui aboutit à l'automutilation de l'oreille gauche de l'artiste et à la brouille définitive entre les deux peintres. Cependant, Van Gogh n'hésite pas à présenter son bandage et à réaffirmer sa volonté de peindre en privilégiant l'observation directe. Loin de ces désaccords violents, le Nu féminin de Modigliani, réalisé vers 1916, met en avant une toute autre opposition. Le traitement du nu, plutôt conventionnel, contraste fortement avec celui du visage qui trahit les inspirations africaines et océaniennes de l'artiste. Cette œuvre a été qualifiée d'obscène lorsqu'elle fut présentée en 1917.
La septième salle se focalise sur la vie du philanthrope Samuel Courtauld. Issu d'une longue lignée d'industriels, il reprend la société de textiles familiale qui connaît sous sa direction sa période la plus prospère. Sa femme, Elizabeth Courtauld, était également mécène dans le domaine de la musique. Le couple Courtauld évoluait donc au cœur d'une émulation artistique constante, qui aboutit à la fondation de l'Institut Courtauld en 1932, premier établissement du Royaume-Uni à considérer l'histoire de l'art comme une discipline universitaire à part entière.
La dernière salle de l'exposition se focalise sur une des plus importante collections d’œuvres de William Turner du Royaume-Uni. Rassemblée par Stephen Courtauld, elle est constituée d'une dizaine d'aquarelles déclinant la perpétuelle recherche de restitution des phénomènes atmosphériques au travers des jeux de couleurs de Turner. Vibrante illustration de cette volonté, l’œuvre Dawn after the Wreck transforme ce paysage côtier éclairé par la lune en écrin désolé destiné à accueillir l'hymne à la mort d'un chien errant. Ode à la nature et à sa mélancolie, le tableau témoigne de la maîtrise chromatique de l'artiste.
Même si la foule qui se presse chaque jour à l'exposition peut gêner la découverte des œuvres, Coupe-File invite ses lecteurs à se rendre à la Fondation Louis Vuitton pour voir une des collections les plus importantes du XXème siècle.
"For Samuel Courtauld, art was an essential antidote to the materialism of modern life, and he believed that it could bind people and nations together. He always intended the collection to be shared as widely as possible." Ernst Vegelin van Claerbergen, directeur de la Courtauld Gallery
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