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La jeunesse du Caravage

Cet été, nous avons décidé de revenir sur la carrière d'un artiste majeur de l'art occidental : Le Caravage. En moins de 40 ans, ce peintre lombard longtemps délaissé par l'histoire de l'art, a véritablement révolutionné l'art italien puis européen, donnant naissance à un courant artistique qui porte son nom. Rubens, Rembrandt, Gentileschi, Courbet, Manet... La liste des artistes que son oeuvre influença au cours du temps est impressionnante. Il était donc temps que Coupe-File lui rende un hommage bien mérité.

 

Quelques années après son arrivée à Rome, le peintre français Nicolas Poussin prononça un jugement sévère et désormais célèbre concernant l’œuvre d’un homme ayant vécu à cheval entre le XVIème et le XVIIème siècle. Ce peintre se nommait Michelange Merisi, dit le Caravage, et Poussin dit de lui qu’il « était venu pour détruire la peinture ». Aujourd’hui, avec le recul historique et grâce aux travaux d’historiens du XXème siècle, à l’image de Roberto Longhi, qui ont permis la réhabilitation de l’artiste, nous pouvons dire que si Caravage est bien venu pour détruire la peinture, c’est en fait pour mieux la réinventer.


Simone Peterzano, Angélique et Médor, 1560-1596, huile sur toile, collection privée

Né en 1571 à Milan et non à Caravage comme son surnom le suggère pourtant, Michelange Merisi est le fils du « magister » (architecte) du duc de Milan Ludovic 1er Sforza, Fermi Merisi. Très tôt orphelin de père, le jeune Michelange rentre à l’âge de 14 ans dans l’atelier d’un artiste se revendiquant élève de Titien, Simone Peterzano. Petit peintre maniériste de la fin du XVIe siècle, ce dernier fait partie de ceux qui, à défaut d’inventer, reprenaient avec un certain talent ce que d’autres avaient créé avant eux.


Vincenzo Campi, Marchande de fruits et de légumes, 1580, pinacothèque di Brera
Vincenzo Campi, Marchande de fruits et de légumes, 1580, pinacothèque di Brera

Fort heureusement pour l'Histoire, le jeune Michelange ne suit pas les pas de son maître et ouvre son regard vers un ailleurs, celui de la peinture réaliste lombarde. Celle-ci, qui compte parmi ses plus grands représentants les frères Campi, fait la part belle aux effets lumineux et aux rendus détaillés des éléments qui composent les œuvres. Michelange Merisi voyage. Il se rend sans doute à Bergame où il se familiarise avec l’œuvre de Lotto puis explore peut-être Venise. Là-bas, il peut approfondir ses connaissances sur la peinture et les effets lumineux d’artistes comme Savoldo, Titien et surtout Giorgione.


De la jeunesse à Milan du Caravage, aucune œuvre n’a malheureusement survécu au passage du temps. Il faut donc attendre 1592 et l’arrivée à Rome du jeune homme pour que son art commence à s'offrir à nous. En effet, si Milan était à l’époque une terre propice à l’épanouissement d’un jeune artiste, elle ne pouvait sans doute pas suffire à l’ambition démesurée d’un peintre sûr de son talent. Caravage rejoint ainsi la capitale artistique italienne, et par extension d’Occident, à l’aube de ses vingt ans. A son arrivée, il découvre une ville en pleine effervescence. Le pape Clément VII vient d’être élu, la coupole de la basilique Saint-Pierre vient d’être posée et de nouvelles voies plus fonctionnelles sont creusées… Répondant à l’appel du pape Sixte Quint, les artistes affluent dans la ville depuis quelques années déjà. Les mécènes, et donc les commandes, ne manquent pas pour des artistes se revendiquant tous de l’influence de Raphaël ou de Michel-Ange. C’est en effet le maniérisme qui, comme à Milan, triomphe alors. Cependant, là où les peintres alors en vue privilégient l’imitation de l’art de la Haute-Renaissance, Caravage base sa différence sur son regard et son imitation, sur le modèle lombard, de la nature. Il va ainsi donner naissance à une véritable révolution artistique.


Cavalier d’Arpin, Diane et Actéon, vers 1600, Musée du Louvre

Néanmoins, la reconnaissance n’arrive pas à l'instant où Caravage foule le sol romain. Les débuts sont rudes. Il est ainsi sans doute réduit à voler afin de vivoter. Cependant, il arrive assez rapidement à se faire remarquer par un ecclésiastique, monseigneur Pucci, qui l’héberge et le nourrit en échange de copies d’œuvres religieuses (toutes sont aujourd'hui perdues). L’homme est proche de ses bourses, et se voit vite surnommé « Monseigneur salade » par son écurie de jeunes artistes en référence au contenu des repas qui leur sont servis. Caravage ne peut se contenter de cela et quitte sans doute assez rapidement son poste. Il rejoint alors l’atelier de l'artiste numéro 1 à Rome, le cavalier d’Arpin. Ce dernier est le peintre du pape, celui à qui sont confiées les grandes commandes officielles. Lui aussi, naturellement, appartient au courant maniériste mais on peut trouver, dans son art, plus de grâce que dans celui de Peterzano par exemple. Cela se voit dans une de ses plus belles œuvres, sa Diane et Actéon conservée au musée du Louvre. Si l’influence de Raphaël et de Michel-Ange y est évidente, le Cavalier (titre décerné par le pape lui-même) arrive à créer une force du mouvement chez la déesse et ses suivantes, ainsi qu'un vrai élan dramatique en la figure d’Actéon sur le point de se faire dévorer par ses chiens.


Dans l’atelier du maître, organisé à la manière de celui de Raphaël presque un siècle plus tôt, chaque artiste à un rôle. Caravage, dont le talent de peintre de nature morte avait sans doute tapé dans l’œil du cavalier d’Arpin, est en charge de peindre fleurs et fruits. Nous sommes presque, ici, face à une industrialisation de l’art où l’invention est niée. Si cela peut convenir à certains, Caravage est d’une autre trempe. Sur son temps libre, il peint au sein de l’atelier des œuvres qu’il destine à la vente. Ce ne sont donc pas des œuvres sur commande comme l’habitude était à l’époque mais des œuvres destinées à un marché de l’art avant la lettre. La technique de Caravage lui permet une rapidité d’exécution assez impressionnante. En effet, le peintre compose à même la toile sans passer par la phase alors traditionnelle du dessin.


Garçon pelant un fruit, d'après Caravage, 1592 ?, Fondation Roberto Longhi, Florence

Ce sont dans ces œuvres hors de toute commande que Caravage peut laisser libre cours à ses idée, à sa maniera. Il met alors en place les éléments qui feront son succès et qui créeront une vraie effervescence autour de son art. La première œuvre de cette phase que lui attribuent les biographes contemporains n’est aujourd’hui connue que par des copies. Il s’agit du Garçon pelant un fruit. Parmi les meilleurs versions, il faut citer celle de Tokyo et celle de la fondation Roberto Longhi de Florence. Avec cette œuvre, nous pouvons déjà admirer un certain nombre des caractéristiques de l’art du Caravage. Tout d’abord, ce qui est sans doute le plus évident lorsque que l’on parle du peintre lombard, c’est le clair-obscur. Ici l’enfant est présenté sur un fond indéterminé, il est seulement mis en valeur par la lumière qui l’éclaire par la gauche. Dans l’art de Caravage, la lumière est véritablement créatrice. Certains lisent cela à l'ombre du prisme religieux, ce qui peut s’entendre car Dieu est lié à la lumière comme son étymologie basé sur dei- (ce qui brille) le prouve. A travers son clair-obscur, Caravage chercherait donc à rappeler que toute chose est visible et existe grâce à Dieu. Bien-sûr, cela n’est pas la seule explication au célèbre clair-obscur Caravagesque, puisqu’on peut lui opposer ou lui adjoindre l’origine lombarde et vénitienne de cet effet qu’on retrouve par exemple dans l’autoportrait de Giorgione conservé au Herzog Anton Ulrich Museum.


Giorgione, Autoportrait en David, 1510, Herzog Anton Ulrich Museum

Les autres éléments typiques du style du Caravage qui apparaissent dans ce Garçon pelant un fruit sont le goût pour la nature morte et le mélange des genres. En effet, au-delà du clair-obscur, les deux éléments centraux de la « révolution Caravage » sont sans doute cette capacité à rendre avec une grande fidélité la nature et le fait de parvenir à mélanger les genres artistiques. Cette œuvre peut ainsi être lue comme une nature morte, une scène de genre voire même un portrait. Rappelons en effet que Caravage peignait sur le vif des modèles qu’il faisait poser au sein de son atelier. Il faut ainsi nier l’idée reçue du maître sortant chevalet à la main à l’image d’un Monet pour peindre à même la rue. Il y a un vrai sens du théâtre et de la composition dans l’art du Caravage.

Enfin le dernier élément qui peut être extrait de cette œuvre est ce que Michael Fried, le célèbre historien de l’art américain, définit comme l’absorbement c’est-à-dire le fait que les figures semblent littéralement absorbée par l’action qu’elles effectuent, ici peler un fruit.


Tous ces éléments qui font l’art même du Caravage se développeront dans le reste de son corpus et ce, aussi bien dans ses tableaux de collections que dans ses œuvres plus monumentales.


Dans le prochain article de cette série consacrée à l'artiste lombard, nous nous intéresserons aux œuvres peintes entre 1492 et 1495.


Antoine Lavastre

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