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La mort du général Moulin, 8 février 1794.

Le tableau est d'une violence sans nom : des dizaines de cadavres jonchent le sol d'une rue dont les maisons sont vandalisées, on tue de toutes parts. De la fumée au loin prolonge l'impression de chaos total, de laquelle on semble ne pas pouvoir s'échapper. Difficile de se dire que l'on se trouve devant l'interprétation d'un épisode réel de l'histoire de France, et pourtant. Jules Benoit-Levy (1866-1952) signe ici une peinture s'inscrivant dans le récit des guerres de Vendée, épisode de la Révolution méconnu du public et volontairement délaissé par l'Histoire.


© Musée d'Art et d'Histoire de Cholet

Pour comprendre cette oeuvre, il faut donc en connaitre l'inspiration. Cette scène prend place pendant cette période sanglante, dérive de la Révolution, que l'on nomme la Terreur. A cette époque, la Première République est installée mais encore fragile, et on a peur de tout ce qui pourrait l'endommager. Ainsi, plus aucune place n'est attribuée à la tolérance : c'est la République, c'est la Convention, sinon la guillotine. Un peuple en particulier va pourtant défier cette nouvelle "dictature" : les Vendéens. De nombreuses raisons peuvent expliquer ce soulèvement, notamment une hausse des taxes significative et un rejet des nouvelles institutions qui ne répondent pas aux attentes du peuple. En effet, pourquoi soutenir la Révolution si elle ne présente que des inconvénients ? Les paysans en colère s'arment de leurs outils, élisent des leaders, constituent ce que l'on appellera l'Armée catholique et royale ou Grande Armée, et partent en guerre contre ceux qu'ils nomment  les "Bleus" - les Républicains.


A l'époque précise du tableau, en février 1794, cela fait déjà plus d'un an que l'insurrection a éclaté. Le Comité de Salut public, dont Robespierre est à la tête, a envoyé le général Turreau pour réprimer les révoltes, et ce dernier se prête au massacre systématique de tous les "brigands" et "traitres" (comprendre les Vendéens, hommes, femmes et enfants), épisode que certains historiens, comme Reynald Secher, osent aujourd'hui qualifier de génocide - notion délicate que d'autres remettent néanmoins en cause. La Grande Armée, qui se décime de jours en jours, tente cependant encore de reconquérir son territoire perdu aux mains des Bleus. Ici, c'est la reprise de la ville de Cholet, en Maine-et-Loire actuelle, qui est illustrée par Benoit-Levy.






Au moment de la scène représentée, la bataille a déjà commencé depuis un bon moment. Les morts affluent sur le sol terreux de la ville en proie au chaos et à la violence ; on pourrait presque entendre le tir des fusils qui, à l'arrière plan, fauchent encore les soldats. La grande majorité des cadavres et des mourants est vêtue de l'uniforme républicain ; ceux-ci sont en train de perdre et ce sont leurs derniers efforts, leur dernier espoir qui se jouent ici.










A gauche, l'armée vendéenne, menée par le général Stofflet, lance l'une de ses dernières offensives. Galvanisés par l'approche de la victoire, ils s'élancent sans peur vers les derniers Bleus à éliminer. Pour eux, pas d'uniforme ; ils sont vêtus des habits du peuple et, tandis que certains possèdent des fusils, d'autres se sont emparés de leurs outils de travail comme les fourches et les faux. L'image donnée est donc celle d'une masse paysanne déterminée à reprendre ce qui est à elle, avide de vengeance.





Cette foule converge vers l'évènement réel qui a donné son titre au tableau : le général de brigade Jean-Baptiste Moulin, comprenant qu'il est perdu et voyant ses ennemis s'élancer vers lui afin de lui faire subir le même sort que ses camarades ou pire, afin de le faire prisonnier, décide de mettre lui-même fin à ses jours. Tout dans la composition montre le parti qu'a pris Jules Benoit-Levy dans cette bataille : le pauvre homme blessé, seul au milieu de ses morts et asséné de partout, choisit de se tuer pour la République plutôt que de se rendre aux traitres vendéens. Pas étonnant, quand on sait que le peintre réalise cette œuvre durant la Troisième République.



Cette peinture témoigne donc de la partialité qui a longtemps obscurci cet épisode tragique de notre histoire. Néanmoins, Benoit-Levy réalise une œuvre intense à l'ambiance et aux détails frappants, qui le place dans la lignée des grands peintres d'histoire, parvenant à happer le spectateur au cœur de la Révolution.



Raphaëlle Agimont



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