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La Porte Saint-Denis, témoin de l'histoire de l'urbanisme parisien

Saviez-vous que le tracé des Grands Boulevards parisiens épouse celui des anciennes enceintes défensives de la capitale ? Le phénomène n’a rien d’endémique et s’applique volontiers aux autres cités fortifiées du pays. Régulièrement agrandis au cours de l’Histoire afin de protéger les nouveaux foyers de population apparus depuis l’édification des précédents, les derniers remparts parisiens disparaissent en 1919 avec la destruction de l’enceinte de Thiers érigée en 1844. Dès le XVIIIe siècle, les anciennes fortifications laissent alors place à de larges artères propices à la promenade et sur lesquelles fleurissent les théâtres : les boulevards. Un siècle plus tard, retour sur l’évolution de ces lieux chargés d’histoire à travers l’étude d’un des plus anciens points de passage de la ville, à savoir la porte Saint-Denis.


La Porte Saint-Denis en contre-plongée. ©CoupeFileArt

Les historiens s’accordent pour attester l’édification successive de sept remparts pour défendre Paris. Les recherches de Jean de la Tynna, dont il publie les conclusions dans son Dictionnaire topographique, étymologique et historique des rues en 1816, permettent notamment d’affirmer qu’une porte existait déjà au Xe siècle à l’emplacement de l’actuel arc de triomphe, au sein de la première enceinte dite carolingienne. La porte garde l’accès de la route menant à la basilique Saint-Denis - nécropole des rois francs puis de leurs successeurs - on comprend donc aisément l’importance qu’elle revêt aux yeux du pouvoir régalien. L’érection de cette première ligne de défense contre les agressions extérieures aurait été motivée par le siège de la ville par les Vikings en 885. La porte était alors précisément située à hauteur du n°39 de l’actuelle rue Saint-Denis, avant le croisement avec les actuelles rues de la Ferronerie et de la Reynie. C’est celle-là même qui fut reconstruite par François Blondel sous Louis XIV pour donner naissance au monument que nous connaissons aujourd’hui.

En 1190, Philippe-Auguste entreprend la construction d’une nouvelle enceinte avant de partir en croisade à Jérusalem afin de garantir la sécurité de la cité en son absence. Plus ambitieuse que la précédente, elle voit la porte Saint-Denis se déplacer au nord de la jonction entre la rue Saint-Denis et la rue Etienne-Marcel. Le chemin de ronde extérieur de la porte étant situé impasse des Peintres, le nouveau point de passage se nomme alors “porte aux Peintres”.

Sous le règne de Charles V, le développement hors-les-murs du faubourg Saint-Honoré concomitant à la plongée de la France dans la guerre de Cent Ans impose alors au souverain la nécessité d’agrandir les infrastructures déjà existantes. En 1383, la nouvelle “bastide Saint-Denis” se situe soixante mètres au sud de l’ouvrage contemporain, aux numéros 285 à 246-248 de la rue Saint-Denis. Les remparts ont une vocation défensive contre un redouté siège anglais, et ne sont plus percés que par six portes, contre dix-sept dans la simple muraille de Philippe-Auguste. Un fossé de 12 mètres de large par 4 de profondeur défend également l’accès aux quartiers de la ville.

En 1630, la France s’apprêtant à s’engager dans la Guerre de Trente Ans, le cardinal Richelieu entreprend de consolider les bastions ainsi que six portes. La bastide Saint-Denis n’est toutefois pas concernée par ces aménagements.


Le premier projet imaginé par François Blondel. ©Ministère de la Culture (France), Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP

1672. Louis XIV impose sa vision absolutiste du pouvoir. À l'instar de son père Louis XIII qui avait renforcé les défenses de la ville sur les conseils de Richelieu, son choix d'abattre certains de ces mêmes remparts lui est dicté par son Premier Ministre, Jean-Baptiste Colbert. Devenues inutiles à la sécurité de la ville, les portes sont abattues. Quatre d'entre elles, dont la porte Saint-Denis, renaissent toutefois sous la forme d'arcs triomphaux et se dotent d'une double fonction nouvelle.

Le Roi-Soleil charge en effet François Blondel, premier directeur de la toute nouvelle Académie royale d'architecture créée en 1671, et le sculpteur Michel Anguier de célébrer ses victoires militaires sur le Rhin et en Franche-Comté au travers d'un arc de triomphe. Inspiré par ses antiques prédécesseurs, le monument est donc érigé à la gloire du roi de France conquérant. Les portes Saint-Antoine, Saint-Bernard et Saint-Martin sont également transformées de la sorte. La porte Saint-Denis retrouve quant à elle l'emplacement qu'elle occupait dans l'enceinte de Charles V.


Vue face est de l’arc de Titus au Forum de Rome. ©Cassius Ahenobarbus

Le modèle de la porte Saint-Denis est directement calqué sur celui de l'arc de Titus, érigé en 81 par l'empereur Domitien pour inscrire dans le marbre les conquêtes en Judée de son frère disparu Titus. Culminant à 25 mètres de haut, l'arc est large de 24.65 mètres et épais de 5. La clé de l'arcade se situe à 15.35 mètres au-dessus du sol, possède une ouverture de 8 mètres. Enfin, les petites portes ouvertes dans les piédestaux mesurent 3.30 mètres sur 1.70. Percée d'un grand arc en son centre, la porte Saint-Denis détient des proportions, comme le rappelle Augsute Choisy dans son Histoire de l'architecture, basées sur "la division par deux et par trois d'un carré."

Au Sud, face à la ville de Paris, des obélisques ornés de trophées s'élèvent dans la surface des piédroits jouxtant les piédestaux jusqu'à la hauteur de l'entablement. Deux figures assises représentant les Provinces-Unies - comprenez la Hollande - y sont sculptées à leur pied, d'après des esquisses de Charles Lebrun, directeur de l'Académie royale de peinture et de sculpture, futur décorateur de la galerie des Glaces au château de Versailles. On retrouve au-dessus de l'arc, entre l'archivolte et l'entablement, les bas-reliefs de Michel Anguier. Toujours au sud, Le passage du Rhin à Tholus s'offre à la vue des passants. Deux pyramides triomphales couvertes de trophées d’armes, allégories représentent respectivement à gauche et à droite, la Hollande sous la figure d’une femme consternée, et l’autre le Rhin vaincu. Quant à l'inscription latine "QUOD DIEBUS VIX SEXAGINTA RHENUM WAHALIM MOSAM ISALAM SUPERAVIT SVBEGIT PROVINCIAS TRES CEPIT URBES MUNITAS QUADRAGINTA", elle indique qu'en moins de soixante jours, Louis XIV dit "Le Grand" a franchi le Rhin, le Waal, la Meuse et l’IJssel, qu’il a conquis pas moins de trois provinces et conquis quarante places fortes.

Au Nord, face à la route menant à la basilique Saint-Denis, les voyageurs admirent Louis XIV met au pas la ville de Maastricht. Une seconde inscription latine « QUOD TRAIECTUM AD MOSAM XIII DIEBUS CEPIT » indique que le Roi-Soleil s’empara de Maastricht en seulement treize jours. Des deux côtés de l'arc, la date de construction, 1672, est rappelée, toujours en latin, en les termes « PREFECTUS ET AEDILES PONI CC ANNO DOMINI M D C LXXII ». Notez également les détails sculptés de l'intrados à caissons de l'arc. Enfin, extrêmement visible dans la frise de l'entablement, est gravé en lettres de bronze la dédicace au commanditaire "LUDOVICO MAGNO", "à Louis le Grand".


Un autre point de vue de la porte. ©CoupeFileArt

Le message est limpide. Dans la lignée des grands généraux romains, Louis XIV, affranchi de la régence de sa mère Anne d'Autriche depuis 1651, s'illustre avec panache par ses conquêtes militaires. En étendant les limites du royaume de France, le souverain s'inscrit dans la logique impériale de la Rome antique. En érigeant un arc de triomphe à sa gloire, il raffermit l'emprise du pouvoir royal au cœur même du territoire français. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Louis XIV fait financer le monument par la ville de Paris. Ayant dû fuir la capitale enfant lors de la Fronde, il demeure méfiant quant à la loyauté de sa capitale. Dix ans après la construction de la porte, Louis XIV achève notamment de déplacer le pouvoir de Paris au château de Versailles.

En outre, la porte Saint-Denis s'adresse à un destinataire bien spécifique : les marchands. Comme précisé préalablement, les portes perdent leur position stratégique défensive. Elles deviennent en revanche de véritables péages pour les marchandises entrant dans la capitale. Le boulevard nouvellement créé et le mur qui l'entoure constituent un filet de protection financière, dans un contexte de développement du commerce et de la fiscalité sous l'impulsion de Colbert.


Chef d'œuvre de l'art classique inscrit à l'inventaire des monuments historiques en 1862, rénovée en 1988, la porte Saint-Denis est une merveille d'architecture monumentale. Témoin des évolutions urbaines de la capitale, elle est aujourd'hui située sur le boulevard Saint-Denis, au cœur du quartier des Grands Boulevards. Ce quartier est devenu au XVIIIe siècle l'épicentre de la vie culturelle parisienne, donnant naissance au genre populaire du "théâtre de boulevard", puis au cinéma au XIXe siècle. Aujourd'hui encore, les planches du Théâtre Libre le Comédia, du Métropole, du Gymnase Marie Bell ou encore du Splendid perpétuent cet art de vivre à la française né sur les remparts d'antan.


Antoine Bouchet



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