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Le joueur de Luth du Caravage

Si comme le dit Poussin, Caravage était venu « pour détruire la peinture », c’était à l'évidence pour mieux la réinventer. Michelangelo Merisi da Caravaggio décide, à une époque où les peintres se référaient à ce qui était déjà peint, de baser son art sur l’observation de la nature et amène ainsi un souffle nouveau. Son influence sera telle qu'il donnera son nom à un courant artistique: le caravagisme.

Le joueur de luth, Caravage, 1595-1596, Musée de l’Ermitage, Saint Petersburg

Arrivé à Rome sans un sou en poche à seulement 20 ans, Caravage s’imposa rapidement comme l’un des plus grands peintres vivants. Né en 1571 à Milan, il fut formé par Simone Peterzano, un peintre lombard élève de Titien. Rongé par l’ambition, le jeune artiste ne put rester longtemps à Milan. Il partit donc pour Rome qui était alors la ville de tous les possibles pour un artiste. Vivant au début dans des conditions miséreuses, Caravage fut assez rapidement repéré pour ses talents. C’est en 1595-96 qu’il entre sous le patronage du cardinal del Monte. Cet homme, commanditaire du Joueur de Luth, est l’archétype du prélat éclairé. Passionné aussi bien par les sciences que par les arts, le cardinal aime s’entourer d’artistes. Avec lui, Caravage atteindra rapidement les sommets.

Jeune homme avec une corbeille de fruits, Caravage, 1593, Galerie Borghèse

Le Joueur de Luth est sans doute l'une des premières commandes qu’effectua le cardinal del Monte à son nouveau protégé. Ce tableau s’inscrit dans l’héritage des œuvres peintes lors des premières années de la carrière romaine du Caravage. A l’instar du Bacchus (1596, Galerie des Offices) ou du Jeune homme avec une corbeille de fruits (1593, Galerie Borghèse), l’artiste aimait alors peindre des jeunes hommes sur un fond neutre à proximité d’une nature morte. Ces tableaux, mélangeant les genres, entre portrait et nature morte, étaient destinés à la vente. Ils sont des objets de désir pour leur commanditaire. Ces œuvres, qui mettent en avant la sensualité du modèle et rendent accessible la divinité, dans le cas des Bacchus, font fureur. Cependant derrière leur aspect innocent, ces peintures sont en fait des vanités, rappelant avec leur nature morte que tout est éphémère, même la beauté de la jeunesse.

Caravage, Bacchus, 1596, Galerie des Offices

C’est donc dans ce contexte que s’inscrit Le Joueur de Luth. Caravage peint un jeune homme, luth à la main, le regard porté vers l’espace du spectateur (confrontation typique de l’art du Caravage). Devant lui sur une table sont posés un violon, une partition, des fruits et un bouquet de fleurs. Notons tout d’abord la minutie avec laquelle sont traités tous les éléments de la nature morte. Chaque fleur, chaque fruit est rendu avec un grand soin porté aux détails. C’est en voyant cela qu’il faut se rappeler la doctrine de Caravage : peindre d’après la nature. Ensuite, intéressons-nous à la partition. Celle-ci est peinte avec une grande précision et présente un madrigal du compositeur flamand Jacquet de Berchem. Cette précision dans la représentation de la partition, au-delà du fait qu’elle contribue à une représentation quasi-photographique typique du Caravage, illustre bien la relation forte qu’entretenait le peintre avec la musique. Ce dernier, qui a peint plusieurs tableaux musicaux, possédait « une guitare, un violon » comme le montre l’inventaire de sa demeure daté de 1605. Caravage aimait sans doute jouer lors des nombreuses soirées qu’il passait dans les tavernes romaines. C’est d’ailleurs peut-être lors d’une de celles-ci qu’il fit la rencontre de Mario Minniti, l'homme prêtant son apparence au Joueur de luth. Très grand ami de Caravage, ce garçon est l’un des plus grands modèles du peintre. Nous pouvons en effet le retrouver dans le Bacchus des Offices ou dans La diseuse de bonne aventure du Louvre. Caravage avait l’habitude de trouver ses modèles dans la rue, pour être au plus prêt de la réalité. En cela il s’éloignait des peintres de son temps qui cherchaient la beauté dans les modèles classiques. Une célèbre anecdote illustre bien cette opposition. On raconte qu’un jour on déterra à Rome une Vénus antique et qu’on l’amena à Caravage pour qu’il la prenne comme modèle, or ce dernier refusa et partit à la recherche d'un modèle dans les rues de Rome.


La diseuse de bonne aventure, Caravage, vers 1596, Musée du Louvre

Le Joueur de Luth présente donc de nombreuses caractéristiques de la « révolution Caravage ». Tout d’abord le mélange des genres au point qu’on ne puisse plus dire si le sujet est le jeune homme ou la nature morte vu la telle précision avec laquelle celle-ci est traitée. Ensuite la volonté de représenter les émotions du modèle. Celui-ci semble en plein mouvement, la bouche entrouverte, s’apprêtant à chanter. Par la maîtrise du clair-obscur, Caravage jette la lumière sur l’instant qu’il a choisit de représenter. A l’image des sculpteurs du style sévère grec, le peintre lombard s’intéresse au moment de tension dans ses représentations, ici le moment où la première note quitte la bouche du chanteur. De tout ce mouvement, de cette vie, se dégage l’impression de pouvoir discerner des émotions sur la figure du modèle, entre mélancolie et amour. Ce ressentiment peut être appuyé par le texte sur la partition « Voi sapete ch’io v’amo » (Vous savez que je vous aime…). Enfin comme dernière caractéristique nous pouvons citer la volonté de peindre d’après la nature. Cela s’exprime par le traitement minutieux de chaque détail de la composition et par le choix du modèle, un homme réel, un homme de la rue.


Ce tableau sera à l’origine de la création d’une véritable mouvance dans le milieu artistique romain. En effet, de nombreux artistes, se basant sur le succès du Joueur de Luth, reprendront son iconographie. Les tableaux représentants de jeunes chanteurs dans une attitude plus ou moins mélancolique se multiplient dans les années 1600. Le meilleur exemple de ce phénomène est sans doute La Douleur d’Aminte, tableau peint par Bartolomeo Cavarozzi vers 1605-1610. En dehors du thème, nous y retrouvons de nombreux codes repris au Caravage comme le mélange des genres entre portrait, nature morte et scène de genre. Le joueur de Luth ainsi que La douleur d’Aminte sont exceptionnellement présentés ensemble dans le cadre de l’exposition Caravage à Rome : Amis et Ennemis au Musée Jacquemart-André jusqu’au 28 janvier 2019.


La Douleur d’Aminte, Bartolomeo Cavarozzi, vers 1605-1610, collection particulière

Antoine Lavastre


 

Informations pratiques :

Caravage à Rome, amis et ennemis du 21 septembre 2018 au 28 janvier 2019

Musée Jacquemart-André 158 boulevard Haussmann, 75008 Paris


Horaires : Ouvert tous les jours de 10h à 18h. Nocturne le lundi jusqu’à 20h30 en période d’exposition.

Tarifs: Plein tarif: 16 € Tarif senior : 15 € (+ de 65 ans – sur présentation d’un justificatif). Tarif réduit : 13 € (étudiants, porteurs du Pass Education et demandeurs d’emploi – sur présentation d’un justificatif de moins de 6 mois). Tarif jeune : 9,5 € (7-25 ans) Tarif famille : 45 € (pour 2 adultes et 2 enfants de 7 à 25 ans)


Bibliographie/sitographie :

G. Lambert, Caravage, Taschen, 2000, Cologne

M. Jover, Etude d'une oeuvre : Le joueur de Luth de Caravage, https://www.connaissancedesarts.com/peinture-et-sculpture/etude-dune-oeuvre-le-joueur-de-luth-de-caravage-11105764/


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