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Le Livre de Kells, chef-d'œuvre de l'art insulaire


Le Livre de Kells, aussi connu sous le nom de Grand Evangéliaire de saint Colomba, compte parmi les plus spectaculaires manuscrits enluminés du haut Moyen Âge anglo-saxon. Le contexte de sa création, son histoire romanesque et la richesse de ses ornements en font un des symboles les plus immédiatement reconnaissables de la production du christianisme gaël.


La trajectoire tumultueuse du manuscrit se dessine en harmonie avec l'histoire des îles britanniques. Probablement réalisé vers l'an 800 sur l'île d'Iona, dans un monastère au large de l'Ecosse fondé par saint Colomba, le Livre de Kells atteste d'un style insulaire. En effet, à partir du retrait romain et de l'évangélisation de l'Irlande par saint Patrick au début du Ve siècle, l'art celte se mêle au vocabulaire chrétien, formant dans l'archipel britannique un syncrétisme plastique. La frontalité des personnages, la surreprésentation des entrelacs et l'ornement qui l'emporte sur la lisibilité sont autant de signes distinctifs de ce foyer artistique.

Folio 114r, L'arrestation du Christ, Livre de Kells, vers 800, ©The Board of Trinity College Dublin

Bien qu'aucune source ne permette de connaître précisément le contexte de la création du Livre de Kells, il existe à ce sujet quelques hypothèses. Ainsi, s'il est probable que le manuscrit ait été réalisé dans le monastère d'Iona, l'instabilité politique et les fréquents raids menés par les Vikings - qui ont incendié l'édifice en 802 et en 806 - ont poussé les moines à se déplacer jusqu'à une abbaye plus abritée, dans le comté de Meath, en Irlande : le monastère de Kells. C'est ce dernier qui donne son nom à l'ouvrage. La présence du livre à Kells serait mentionnée dès le XIème siècle. En effet, les annales d'Ulster font mention du vol d'un évangéliaire dans le monastère en l'an 1006. L'ouvrage est retrouvé quelques mois plus tard, délesté de sa précieuse reliure. Ce larcin et le brutal arrachement de sa couverture pourraient expliquer les pages manquantes au début et à la fin de l'ouvrage.


l'Irlande se soulève quelques siècles plus tard, en 1641, alors que Charles Ier se heurte de plus en plus frontalement au parlement anglais favorable au puritanisme, ce qui constitue les prémices de la première guerre civile anglaise. Mais cette révolte est sévèrement réprimée par un des plus fervents défenseurs du parti parlementaire : Oliver Cromwell. Il reconquiert l'Irlande au fil d'une répression violente, ponctuée de pillages et de massacres. Afin d'être préservé de l'instabilité politique, le Livre de Kells est envoyé en 1654 à Dublin, avant d'entrer en 1661 au Trinity College. L'ouvrage est encore aujourd'hui conservé dans la bibliothèque de la prestigieuse université dublinoise.

Folio 34r, Livre de Kells, vers 800, ©The Board of Trinity College Dublin

Le Livre de Kells rassemble les quatre évangiles en latin. Richement illustré, il bénéficie d'une polychromie exceptionnelle. La variété et la richesse des pigments, sans doute importés de toute l'Europe, ajoute encore au prestige de l'ouvrage. Un immense soin a également été accordé aux détails de l'œuvre, dont certaines pages deviennent de véritables morceaux de bravoure. Le livre a parfois été attribué à tort au missionnaire irlandais Colomba d'Iona - sans doute pour lui donner un caractère encore plus exceptionnel - mais contrairement aux évangiles de Lindisfarne, qui auraient été réalisés par une seule et même personne, trois artistes distincts ont à ce jour été identifiés en ce qui concerne le Livre de Kells. Ci-contre se trouve le feuillet 34r de l'ouvrage, sur lequel ont été tracées les deux premières lettres grecques du mot Christ : Chi et Rhô. La profusion des entrelacs et la virtuosité des ornements donnent à cet ensemble un aspect textile, qui vaut à ce type de composition le nom de "page tapis". Cela ne facilite certes pas la lecture, mais cette composition renferme cependant de multiples figures humaines et animales dissimulées dans les méandres des motifs. Ce folio constitue l'incipit de l'évangile de saint Matthieu, qui est le plus souvent introduit par une représentation humaine. En effet, les quatre évangélistes sont assimilés aux différentes figures du tétramorphe d'Ezéchiel. Etant donné que son texte s'ouvre sur la généalogie du Christ, Matthieu est représenté par l'homme, tandis que le lion est associé à Marc, le taureau à Luc et l'aigle à Jean. Dans le Livre de Kells se trouvent plusieurs représentations de ce quatuor polymorphe.

Détail du Folio 72v, Livre de Kells, vers 800, ©The Board of Trinity College Dublin

Si les évangiles sont augmentés de quelques écrits liminaires, de nombreuses erreurs de transcription subsistent dans l'ouvrage, qui n'était pas pensé pour être lu en dehors d'un contexte cérémoniel. Support liturgique, le Livre de Kells est avant tout un objet réfléchi sur le plan esthétique. A ce titre, la quasi-totalité des pages sert de support à des ornements élaborés. En plus des incipit et des grandes miniatures, le moindre espace dans le texte accueille des motifs raffinés, souvent des personnages anthropomorphes ou zoomorphes, tandis que les nombreuses lettrines de l'œuvre rivalisent de raffinement.

Détail du Folio 26r, Livre de Kells, vers 800, ©The Board of Trinity College Dublin

Véritable symbole de l'art irlandais, le Livre de Kells est le théâtre d'une recherche esthétique sans cesse renouvelée, affirmant la primauté de l'ornement sur le texte. La virtuosité de ses décors en font l'un des représentants les plus importants du style insulaire. A ce titre, le manuscrit en vélin de grande dimension fait partie du programme "Mémoire du monde" de l'UNESCO depuis 2011. Le réalisateur et scénariste irlandais Tomm Moore s'en est par ailleurs librement inspiré pour son film d'animation Brendan et le Secret de Kells, sorti en 2009.

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