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Le monolithe aztèque de Coyolxauhqui


Le 21 février 1978 est une date charnière dans l’histoire de l’archéologie méso-américaine. Alors que s’organise l’installation de câbles électriques dans la ville de Mexico, les travailleurs tombent sur ce qui semble être une pierre ronde, plate et sculptée. Les archéologues appelés sur place la mettent au jour et découvrent un décor stupéfiant : une femme pratiquement nue, arborant des bijoux serpentiformes et une ceinture ornée d’un crâne humain, semble gésir sur la pierre ou arrêtée brutalement dans sa course, décapitée et démembrée. Il est alors découvert qu’il s’agit d’une pierre sacrificielle qui, avec l'excavation de l’un des sites les plus importants de l’histoire précolombienne du Mexique, sera un jalon majeur pour la compréhension des mythes et des pratiques de l'empire aztèque.



Une découverte exceptionnelle

Avant d’être rebaptisée Mexico, la ville s’appelait Tenochtitlán et était la capitale de l’un des peuples les plus importants que l'Amérique précolombienne ait connue : les Aztèques. D’après les récits, ceux-ci auraient fondé la ville en 1325 lors d’une éclipse, à 10h54 du matin, au milieu du lac Texcoco, alors qu'un aigle triomphait d'un serpent sur un cactus. S'il n'y a nul doute sur le fait qu'il s'agisse d'un mythe, il est aujourd’hui encore difficile d'en trouver les preuves, les colons ayant rasé et recouvert la ville de leurs propres bâtiments lors de leur victoire écrasante et définitive sur l'empire en 1521, rendant presque impossible toute fouille archéologique.

Incroyable découverte alors que celle de 1978, qui mit au jour un site de plus de 3500 m², s'avérant être un haut lieu de culte, avec en son sein les vestiges d’un temple érigé en sept étapes, de la fondation de la ville à la chute du dernier huey tlatoani (empereur) : le Templo Mayor.

Maquette des étapes de construction du Templo Mayor ©Steven Zucker

Grâce au travail de reconstitution, son apparence initiale nous est bien connue : s'inscrivant dans la tradition méso-américaine des temples pyramidaux, il était constitué de plusieurs plateformes superposées, avec deux gigantesques volées d’une centaine de marches, qui menaient chacune à l’un des deux temples se situant au sommet, à 45 mètres de hauteur. L’un était dédié à Tlaloc, dieu de l’eau et de la pluie, et l’autre à Huitzilopochtli, dieu guerrier du soleil et divinité tutélaire des Aztèques. Le monolithe de plus de 3 mètres de diamètre, qui fut découvert à son emplacement d’origine, était en fait placé en bas des escaliers du temple de cette dernière divinité, comme observable sur la maquette ci-dessus, et cela pour une raison bien précise.


Le mythe funeste de Coyolxauhqui

Le thème du décor sculpté de la pierre est en fait intimement lié au temple de Huitzilopochtli, illustrant le mythe de sa sœur, Coyolxauhqui, divinité lunaire. C’est elle qui est représentée sur le monolithe.

Le codex de Florence, écrit entre 1558 et 1577 par Sahagún, nous livre cette histoire : la mère de Coyolxauhqui, Coatlicue, a fait vœu de chasteté après avoir accouché de 400 étoiles et de la lune. Hors, alors qu’elle fait pénitence sur le mont Coatepec, elle ramasse une boule de plumes qui la féconde et tombe enceinte du futur Huitzilopochtli. Cela rend ses enfants furieux ; menés par Coyolxauhqui, leur sœur aînée, celle-ci décrète que leur mère doit être mise à mort. Cependant, le dieu Huitzilopochtli à naître a vent de la funeste entreprise de ses frères et sœurs ; Coatlicue accouche alors de la divinité, déjà en arme et prête à agir. Le dieu guerrier s’élance aussitôt à la poursuite de sa sœur et la décapite, la démembre et jette son corps en bas de la montagne.

C’est donc cette dernière scène qui est illustrée sur cette pierre, faisant ainsi écho à sa fonction première: recueillir le corps des sacrifiés, jetés du haut du Templo Mayor après s’être fait arracher le cœur de la poitrine en haut des marches par un prêtre. Morts, ceux-ci atterrissaient sur le corps démembré de la déesse, qui avait dans le mythe subi le même sort.

Feuillet 70 du codex Magliabechiano, milieu du XVIe siècle, collection Loubat


La vie donnée par la mort : la pratique du sacrifice humain

Ce rite du sacrifice humain, largement répandu chez les Aztèques, découlait de leur croyance en un équilibre divin extrêmement fragile. Dans leur mythologie, les dieux avaient, pour déclencher la course du soleil après avoir créé le monde, donné leur cœur et leur sang. Les Hommes se devaient donc de perpétuer ces offrandes afin de maintenir ce monde et ce soleil en place, et ainsi éviter leur destruction, qui avait déjà eu lieu quatre fois. Si Huitzilopochtli, dieu du soleil, ne recevait pas assez de sang, il ne pourrait pas revenir le lendemain matin.

Toutes sortes de personnes pouvaient être sacrifiées : des prisonniers de guerre aux enfants, en passant par les personnes les plus nobles et les esclaves, et pour des occasions très variées, comme les cérémonies liturgiques, les consécrations et reconsécrations du temple, etc.

Ces pratiques ne manquèrent pas d’horrifier les conquistadors, tel Bernal Diaz del Castillo qui n'hésita pas dans ses écrits à les traiter de bouchers. Le sacrifice humain était pourtant vu comme un sort des plus honorables chez les Aztèques, à l’instar de la mort au combat. Participer au maintien de l’équilibre cosmique, c’était se rendre digne de l’au-delà, et parfois un moyen d’être soi-même divinisé.


Le mythe de Coyolxauhqui servait donc à légitimer cette pratique aux yeux des Aztèques, mais aussi, à travers la victoire de leur divinité tutélaire, à assoir leur suprématie par rapport aux autres cités et peuples de l’Amérique précolombienne. Cette pierre sacrificielle permit donc aux archéologues de mieux appréhender la mythologie et les rituels de cette civilisation qui, comme tant d’autres, fut incomprise et décimée par l’arrivée des colons sur le sol du Nouveau Monde.


Raphaëlle Agimont

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