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Le portrait d’Élisabeth 1ere , dit de l’Armada



Ou l'art d'informer le monde de sa puissance


huile sur toile

vers 1588

105cm x 133cm

Woburn Abbey



Parfois, avant de parler art, il faut parler histoire. Il n’est pas question ici de l’histoire d’un artiste, les experts remettant aujourd'hui en cause son attribution à George Gower. Non, ici, nous replongeons dans l’une des périodes les plus fastueuses que l’Europe ait connue : l’Angleterre des Tudors et l’ère élisabéthaine.


Le règne d’Élisabeth 1ere dura 44 ans, et est encore aujourd’hui considéré comme un âge d’or pour la monarchie anglaise. On en connait l’image d’une femme forte et sûre de son pouvoir, qui tint son pays d’une main ferme. Pourtant, nombreux furent les obstacles qui se dressèrent sur son chemin.

Fille d’Henri VIII, sa mère Anne Boleyn est exécutée par son père 3 ans après sa naissance. Elle perd alors son titre de princesse royale. Plus tard emprisonnée par sa demi-sœur, Marie 1ere d’Angleterre, car trop proche des protestants, elle monte cependant sur le trône à la mort de celle-ci, en 1558. Femme et ancienne bâtarde de surcroît, elle devient rapidement la cible de nombreux complots visant à la destituer. Ce règne déjà fragile est également ébranlé par la fameuse querelle avec Marie Stuart, reine d’Écosse catholique, qui amène à la perte du soutien de Rome et à son excommunication en 1570. Dans une Europe dominée par les grandes puissances, dans une société dans laquelle il est difficile pour une femme de se faire une place, il lui faut absolument affirmer son pouvoir et celui de son pays. C’est précisément l'ambition de ce portrait.



La souveraine, signifiée par la couronne monarchique à sa droite, domine la composition du tableau, dans une attitude noble et hiératique. Élisabeth, qui a alors 56 ans, apparait avec un teint pâle et lisse, fardé de blanc comme elle en avait l'usage. Elle porte une perruque, ainsi qu'une robe somptueuse aux manches bouffantes et au vertugadin (dessous qui permet de donner l'ampleur à la jupe) extrêmement large,  le tout agrémenté de pierres précieuses, de rubans et de fils d'or. Sa tête, suivant la mode de l'époque, est mise en valeur par cette énorme fraise ornée de dentelle. Aucune ombre ne vient déranger sa silhouette ; le réalisme n'est ici pas de mise, tout est idéalisé. Ces parures de perles, par exemple, que l'on retrouve sur beaucoup des portraits de la reine, ont une signification bien particulière : ils soulignent sa pureté en tant que Reine Vierge mais, venant des fonds marins et associées à la sirène du siège à sa gauche, contribuent aussi à l'élever au rang de "reine des mers".



C'est ce titre même qui est mis en exergue dans cette peinture. En effet, 1588 est pour l'Angleterre une date charnière : l'Invincible Armada de Philippe II, roi du puissant royaume d'Espagne, est vaincue. Les scènes visibles par delà les deux fenêtres de l'arrière-plan nous en donnent à voir les deux épisodes clés. Celle de droite présente le moment où la flotte espagnole, réputée imbattable, arrive près des côtes anglo-saxonnes dans le but d'envahir et de catholiciser le territoire. Les anglais, dont on reconnait les vaisseaux à leurs drapeaux présentant une croix de Saint-George, ont alors une idée fabuleuse ; ils font délibérément dériver quelque-uns de leurs bateaux en feu vers l'Armada, ce qui a pour effet de rompre la formation militaire de cette dernière ainsi que d'en causer la fuite. Nous sommes alors le 29 juillet.


S'en suit quelques jours plus tard une cuisante défaite à Gravelines, où la flotte anglaise se montre supérieure ; ils ne perdent que 60 hommes, contre 600 pour les espagnols. Démoralisés, ceux-ci prennent le chemin du retour en contournant L'Angleterre, l’Écosse et l'Irlande. Mauvaise décision, car nombreux sont les navires à sombrer où à s'échouer à cause de la non-connaissance de ces eaux. C'est ce désastre que l'on observe à travers la deuxième fenêtre, à laquelle la reine tourne le dos.



Désastre pour Philippe II, mais pas pour Élisabeth, qui voit dès lors son pouvoir se décupler. En effet, le XVIe siècle est une époque où le contrôle des mers est fondamental ; tous les grands souverains veulent s'approprier les richesses des nouveaux mondes. La reine, forte de cette victoire au retentissement international, indique sa prétention à cette hégémonie en posant sa main droite sur une mappemonde.




A travers un portrait à la forte symbolique, Élisabeth 1ere se crée donc une image presque divinisée de souveraine toute-puissante. Cheffe de son pays, cheffe de son église, elle se fait modèle pour tout un peuple, balayant son passé et sa condition difficultueuses.


Raphaëlle Agimont

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