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Le Printemps, Botticelli

La Renaissance se caractérise entre autres choses par un retour aux sources et modèles antiques. Ce goût se manifeste dès le XIVème siècle dans la poésie florentine, à l’image d’un Dante qui s’accompagne du poète romain Virgile pour sa descente en Enfer. L’émergence d’une nouvelle classe bourgeoise favorise également ce développement, à l’image de la famille Médicis qui met l’Antique à la mode. Côme l’Ancien, le premier, se mettra à collectionner les œuvres et les textes anciens. Des cercles de lettrés se forment et renouent avec la littérature platonicienne. Toujours à Florence, Laurent le Magnifique, petit fils de Côme, s’entoure de brillants intellectuels à l’image d’Ange Politien ou de Pic de la Mirandole.


Le Printemps, Botticelli, Galerie des Offices, Florence, 1478

C’est dans ce contexte que les thèmes mythologiques font leur retour dans la production artistique. Les œuvres exploitant ces thèmes sont exposées dans les villas à l’antique que se font construire dans la campagne les riches citadins. Même si, au départ, seul le mobilier se trouve orné d’une iconographie antique, assez rapidement la peinture s’empare du phénomène. Parmi les peintres qui se mettent à peindre des sujets inspirés des mythes gréco-romains, un est resté plus que les autres dans la postérité; il se nomme Sandro Botticelli.


Adoration des Mages, Sandro Botticelli, 1476, Galerie des Offices

Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli, est né en 1445 à Florence. Orfèvre de formation, il va suivre les enseignements de Filippo Lippi puis d’Andrea del Verrocchio, le maître de Léonard. Si aujourd’hui on a plus tendance à retenir de lui ses tableaux à sujets païens comme La naissance de Vénus ou Le Printemps, il faut rappeler que Botticelli a peint en majorité des sujets religieux. Parmi ces tableaux on peut citer L’Adoration des Mages, conservée à la Galerie des Offices.


Le Printemps constitue une étape importante du développement de la peinture mythologique. L’œuvre, sans doute commandée par Laurent le Magnifique, aurait été un cadeau pour Laurent et Giovanni de Médicis, des cousins dont il était le tuteur. A l’origine le tableau devait orner un lit de jour (un lit de repos) dans la villa de Laurent di Pierfrancesco de Médicis. On le retrouve ensuite dans le palais Médicis à Florence. Le tableau va voyager de la campagne au palais et vice-versa en fonction des troubles politiques qui agitent la ville de Florence.


L’iconographie du tableau fait la synthèse de plusieurs mythes. De gauche à droite nous avons Mercure, les trois Grâces, Vénus, Cupidon, Chlorys/Flore et enfin Zéphire. Aucun mythe ne fait intervenir tous ces personnages en même temps. Cela se reflète par la quasi absence de liens entre les différents personnages. Cependant si nous prenons les personnages indépendamment chacun s’inscrit dans une représentation explicable.









Mercure est représenté selon l’iconographie commune avec son caducée, son casque et ses chaussures ailées. Botticelli le peint en contrapposto, c’est-à-dire dans un mouvement libérant une jambe où la position des hanches et la position des épaules s’opposent. Ceci est un héritage antique. Il semble être en train d’essayer de dissiper les nuages qui tentent de faire leur entrée dans le jardin. De ces nuages tombent quelques petites graines. Ces graines peuvent s’expliquer par le fait que dans le calendrier agraire antique Mercure soit associé à la fécondité des terres.
























Les trois Grâces se tiennent par la main et semblent danser en formant une ronde. Elles sont la personnification de l’Amour, de la Chasteté et de la Beauté. Botticelli les peints à la manière de nymphes. Le motif de la nymphe se développe à la Renaissance et fait référence à une figure féminine, ou masculine, habillées de drapés légers et en mouvements. Ce thème décoratif est très à la mode à l'époque car il permet de dynamiser des scènes.















Vénus est au centre de la composition et est donc le personnage principal. Elle domine l’ensemble de la scène d’une bonne tête. De la main droite elle effectue un geste de bienvenue. Elle semble s’adresser aux trois Grâces mais s’adresse sans doute aussi au spectateur. Elle regarde vers l’espace du spectateur. Elle représente l’idéal de la beauté de l’époque.












Cupidon est lui aussi représenté selon tous les codes habituels (bébé potelé, yeux bandés, arc). Il est le fils de Vénus ce qui explique sa présence dans le tableau.






Enfin les trois derniers personnages, Flore, Zéphire et Chlorys forment un groupe. C’est la transformation de la nymphe Chlorys en Flore à la suite de son viol par le vent, Zéphire. Nous passons d’une nature monochrome et sauvage avec Chlorys à la nature fleurie et à la beauté accomplie de Flore. Chlorys est fécondée par son union forcée à Zéphire et commence à donner naissance à des fleurs. Flore est couverte de fleurs qu’elles semblent éparpiller sur le sol.





Le sujet de ce tableau peint en 1476 porte encore aujourd’hui à débats. L’interprétation la plus commune consiste à rapprocher l’œuvre de la pensée néoplatonicienne alors en cours dans les cercles de Laurent le Magnifique. Cette pensée à pour but de fusionner la pensée de Platon avec la doctrine chrétienne. Au centre de la pensée néoplatonicienne il y a l’amour. Marcil Ficin, un des théoriciens du courant, dit que l’amour est le moteur qui incite Dieu à dispenser son essence dans l’univers. L’amour est aussi la chose qui incite les créatures de Dieu à s’unir à lui. L’amour va de l’Univers à Dieu et de Dieu à l’Univers. La beauté est répandue à travers l’univers par deux Vénus, la Venus Terrestre et la Vénus Céleste. C’est à travers le prisme de cette pensée qu’il faut interpréter le tableau de Botticelli qui représenterait le royaume de Vénus. Le tableau fonctionne par groupe dans lesquels on observe des circulations. Nous pouvons y voir des oppositions qui créent un troisième concept. On a Zéphire et Chlorys qui donnent Flore. On a aussi le groupe des trois grâces avec Amour et Chasteté qui donne la Beauté. Les trois Grâces montrent aussi qu’elles donnent, reçoivent et rendent. Le tableau donne à voir un programme éducatif néo-platonicien sur l’amour qui s’opère aussi sur la beauté. Par la vision de la beauté on s’élève vers l’amour du divin, nous sommes presque ici dans la notion de transitus, idée chrétienne qui veut que le fidèle s’élève vers Dieu. Le programme du tableau aurait été réalisé par Ange Politien, un des plus brillants néoplatoniciens.


Une autre théorie veut que le tableau soit un portrait tout en métaphores de la femme aimée. Le tableau de Botticelli est censé susciter l’amour par l’observation de la beauté visuelle. C’est pour cela qu’on a la représentation de très jolies jeunes femmes. Elles nous regardent comme Flore par exemple. Cette dernière fait allusion à la femme mariée et heureuse. L’amour a transformé Chlorys en femme. La beauté parfaite serait, elle, figurée par Vénus. Elle doit inciter l’homme à développer ses vertus les plus nobles. Vénus fait savoir au spectateur qu’elle l’accepte dans son royaume.


Le Printemps est donc un tableau agissant. Il a comme volonté de rendre amoureux et heureux en amour. Pour Botticelli, Vénus est la figure à aimer. Le printemps est une métaphore de l’amour dans la littérature toscane. En effet depuis l’antiquité le lieu où se retrouve les amoureux subit un printemps éternel. L’amour suscite un printemps affectif. C’est donc un tableau complexe, riche, élaboré dans le contexte néoplatonicien. Il est une synthèse idéale de l’antiquité, du passé récent, et du présent de Botticelli. Il réunit une Rome archaïque et la Toscane du peintre. Il réunit la poésie antique, celle du Quattrocento et celle de Laurent la Magnifique et de son entourage. Le tableau fait aussi référence au motto (devise) de Laurent le magnifique « Le temps revient »


Antoine Lavastre

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