Le purisme à l’épreuve du bâti : Le Corbusier et la maison Ozenfant
- Solene FEIX
- 4 juin
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Dernière mise à jour : 9 juin
Par Solène Feix
Nichée au cœur du XIVᵉ arrondissement de Paris, à proximité du parc Montsouris, la maison-atelier Ozenfant constitue une œuvre architecturale singulière conçue par Le Corbusier entre 1922 et 1924. Située avenue Reille, cette résidence a été imaginée par l'architecte pour son ami, le peintre Amédée Ozenfant. Lieu de création de l'artiste, l'appartement se situe à mi-chemin entre un atelier et un espace d’habitation.
En 1922, tous deux ne sont pas seulement liés par ce projet architectural mais également par le désir commun d'écrire. En effet, Le Corbusier et Ozenfant théorisent le purisme et fondent la revue L’Esprit Nouveau. La maison Ozenfant s’inscrit d’ailleurs dans ce cadre car elle est considérée comme une des premières maisons puristes de Le Corbusier.
La maison Ozenfant : genèse, forme et matérialité
Édifiée sur une parcelle exiguë située à l’angle de l’avenue Reille et du square de Montsouris, la maison Ozenfant est soumise à d’importantes contraintes de mitoyenneté. Cette configuration du tissu urbain conduit Le Corbusier à adopter une volumétrie verticale, élancée, dont l’expression formelle découle d’une recherche d’équilibre géométrique rigoureuse. Le bâtiment, de plan rectangulaire, s’inscrit dans une composition fondée sur le nombre d’or, alternant vides et pleins, blanc des enduits et noir des menuiseries. La notion de composition constitue l’un des principes fondamentaux des réalisations corbuséennes, et trouve un écho dans l’œuvre d’Amédée Ozenfant et de Charles-Édouard Jeanneret. Dans Sur la plastique (p. 42), ils affirment que la composition est « basée sur des nombres, des canons. Il n’est pas possible d’associer plastiquement des formes sans canon, c’est-à-dire sans lien régulateur, qu’on le fasse intuitivement ou sciemment. »
Ce souci de composition se prolonge dans les choix structurels et techniques adoptés par Le Corbusier, En effet, la structure de la maison repose sur un système de dalles de plancher en béton armé soutenues par des poteaux porteurs, libérant les façades de toute contrainte structurelle et permettant l’intégration de larges baies vitrées ainsi que de fenêtres en longueur, des caractéristiques emblématiques de l’architecture de Le Corbusier.
Le traitement de la façade révèle également une préoccupation expérimentale. Depuis 1920, l’architecte explore différents types d’enduits ; à base de chaux, de gypse ou de ciment blanc dans le but d’obtenir une surface lisse, homogène, capable de résister aux intempéries sans nécessiter de revêtement supplémentaire. Cette recherche trouve une application concrète dans les premières villas puristes, dont la maison Ozenfant constitue un exemple majeur, aux côtés de la villa Besnus à Vaucresson et des hôtels particuliers La Roche et Jeanneret à Auteuil.
Fonction, usage et organisation spatiale

La maison Ozenfant est conçue comme un espace hybride, articulant lieu d’habitation et de création artistique. Elle répond à une hiérarchie fonctionnelle claire : l’entrée, accessible par un escalier extérieur en spirale, mène au premier étage, qui regroupe les espaces de vie ; chambre, salle de bain, salle à manger, salle d’exposition et réserve.
Un second escalier en colimaçon permet d’accéder à l’étage supérieur, entièrement dédié à l’atelier du peintre. Ce vaste volume en plan libre, éclairé par une verrière d’angle monumentale, constitue le cœur de la maison. Son orientation au nord répond aux exigences des artistes souhaitant bénéficier d’une lumière constante, stable et indirecte. Deux grandes ouvertures, encadrées par des pans de mur aveugles, limitent l’entrée de lumière latérale, afin de contrôler au mieux les conditions d’éclairage. L’atelier est en effet le point central souhaité comme un lieu libre et vaste avec la proportion doublée de la hauteur des plafonds par rapport aux autres étages.

De plus, cet atelier se trouve à un lieu stratégique au dernier étage, offrant ainsi un espace privé ne donnant pas directement sur les rues aux alentours. Ainsi, il répond également à la volonté naissante au XIXe siècle des peintres souhaitant orienter leurs fenêtres en façade nord pour réduire la variation de la luminosité, étant préférable pour leur travail. Le Corbusier intègre cette exigence dans la conception de l’atelier, orientant ainsi deux grandes ouvertures vers le nord et limitant celles-ci par deux larges portions de mur de chaque côté limitant l’apport en lumière venant de l’est et de l’ouest. Le volume intérieur, réduit à une palette de gris et de blanc, s’ouvre donc sur l’extérieur par une monumentale verrière d’angle. Ce dispositif témoigne des prémices du style moderne de Le Corbusier. L’intention d’une grande verrière comme celle-ci pointant le nord illustre le désir de mettre en valeur l’arrête du coin de la pièce centrale, apportant ainsi une lumière optimale du lieu de travail de l’artiste peintre.
Enfin, l’étage de l’atelier est doté de mezzanines, accessibles par des échelles de meunier en acier, qui complètent cet espace en offrant des zones secondaires sans interrompre la continuité du volume principal. Le traitement intérieur, dominé par une palette de tons sobres (blancs et gris), renforce la pureté formelle et la lisibilité spatiale, dans un esprit fidèle aux principes puristes.
Postérité, transformation et réception patrimoniale
Amédée Ozenfant occupe et utilise la maison jusqu’en 1938, date de son exil aux États-Unis, où il fonde la Ozenfant School of Fine Arts à New York. À son retour en France en 1955, il ne réintègre pas la maison, qui est vendue entre-temps. Plusieurs transformations affectent alors l’édifice : suppression de la porte de garage, puis en 1946 remplacement des sheds vitrés en partie haute par un toit-terrasse, modification des ouvertures au rez-de-chaussée et adaptation des volumes intérieurs à un usage domestique plus classique.

Malgré ces altérations, la maison Ozenfant conserve une valeur patrimoniale reconnue par son inscription à l’inventaire des Monuments Historiques le 15 janvier 1975, attestant de son importance dans l’œuvre de Le Corbusier et dans l’histoire de l’architecture moderne. Aujourd’hui le lieu continue de nourrir un dialogue avec la création artistique contemporaine, notamment à travers l’organisation d’expositions temporaires, telles que Béatrice Wood, Irène Zurkinden - Dépasser, accueillie par la Fitzpatrick Gallery.
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