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« Les Images réfléchies » de Bertrand Gadenne au château de Trévarez

Par Joséphine Journel


Dans les écuries du château de Trévarez, deux grands yeux jaunes surgissent de l’obscurité. Ils fixent avec une calme curiosité l’amateur de monuments historiques venu découvrir les lieux.


Entre le Hibou de Bertrand Gadenne et le visiteur, on peut se demander — le temps du récit invoqué par l’image — lequel est le plus surpris des deux. Dans la fiction de cet échange de regards se reflète une même question, répercutée à l’infini : celle de l’altérité humaine et de l’altérité animale, comme prises dans un jeu de miroirs...







Pour la douzième édition des résidences « Regard d’Artiste » du domaine de Trévarez, carte blanche a été donnée à Bertrand Gadenne, photographe, vidéaste et figure importante de l’installation contemporaine. Son exposition « Les Images réfléchies » met en lumière la connivence entre ses recherches personnelles et un monument historique reconnu et labellisé « Patrimoine du XXe siècle ». Depuis près de douze ans, la résidence « Regard d’Artiste » programmée par les Chemins du Patrimoine en Finistère a accueilli des artistes contemporains d’horizons variés, parmi lesquels Patrick Dougherty (2011), Felice Varini (2015), Robert Schad (2016) ou encore Eva Jospin (2018).


La rencontre est audacieuse entre Bertrand Gadenne, connu pour ses projections lumineuses d’animaux sauvages au sein de l’espace public, et le rêve architectural de James de Kerjégu achevé en 1908. Homme politique né à Trévarez, il acquiert le domaine pour sa fille à la fin du XIXe siècle et confie la construction du château à l’architecte Walter-André Destailleur, qui l’édifie au moyen de structures métalliques d’après un système présenté à l’exposition Universelle de Saint-Louis (1904). Rien n’est trop beau pour cette demeure de plaisance qui permet à la famille de se délasser de la vie parisienne : architecture style néogothique, vastes écuries pour les parties de chasse et les balades à cheval, fontaines et bassins néo-renaissance, de nombreux appartements, mobilier Art Nouveau à la pointe de la modernité, salles de bain dans l’esprit des stations thermales, électricité, chauffage central et ascenseur.


Pour embrasser ce domaine, l’artiste a dû parcourir ses 85 hectares ; examiner sous toutes les coutures son château considéré comme un fleuron de la Belle Époque ; interroger la collection botanique du parc labellisée « Jardin d’exception » depuis 2016 ; ressentir le pouls de la vie humaine et animale qui continue d’habiter cet environnement. A travers cette exposition, Bertrand Gadenne contribue donc à resserrer les liens, déjà inextricables, entre l’histoire du château de Trévarez, son parc et l’écosystème de la vallée de l’Aulne.


En parallèle de son exposition permanente « Bâtir un rêve », les espaces du château ont donc été réinterprétés par l’artiste dans une scénographie qui aménage, salle après salle, de nouvelles fictions : les écuries accueillent un bestiaire fantasmagorique, les animaux marins répondent aux grotesques du décor néo-renaissant, les proies telles que cerfs et renards pénètrent dans l’architecture cynégétique aux cotés des chevaux, leurs ennemis héréditaires de la chasse à courre. Elaborée en bonne intelligence avec le lieu, la visite propose une fable poétique dans laquelle sont exposées œuvres anciennes et plus récentes de l’artiste.


Cette résidence permet également à Bertrand Gadenne d’intégrer un élément alors inédit dans son travail : le végétal. Il puise cette nouvelle iconographie au sein du domaine, que l’artiste a parcouru et dans lequel il a prélevé mousses, branches, fruits et lichens. Dans le château, les décors mettent aussi à l’honneur la forme végétale, et célèbrent son pouvoir d’ornementation. C’est dans cet esprit que Bertrand Gadenne a composé la série Arborescence : neuf photographies, comme autant de compositions botaniques, qui permettent d'inviter symboliquement le parc à l'intérieur du château. Ces natures mortes en boites noires présentent des compositions de branches, de fruits et de lichens agencés de manière graphique. Le procédé — et sa répétition — semblent citer de nombreux aspect qui infusent l’architecture des années 1900 : les décors peints de grotesques présents dans le Grand Salon, les planches de botanique et l’observation scientifique du végétal qui marque le contexte scientifique et ornemental de la fin du XIXe siècle, ainsi que la collection exceptionnelle de camélias, de rhododendrons et d’hortensias de Trévarez. Ces images composent une véritable ode à la diversité des formes, des couleurs et des textures du rêve architectural et paysager imaginé par James de Kerjégu.


Certaines photographies de la série adoptent la forme de lettres et composent un abécédaire végétal : elles peuvent rappeler l’art du livre, les marges et typographies fleuries du Moyen Âge, dans un esprit de citation semblable à la démarche historiciste qui marque les arts européens au début du XXe siècle. Avec ses Arborescences, Bertrand Gadenne contemporanéise également un genre ancien de l’histoire de l’art : celui de la Vanité. Pour cela, il met en scène une nature flamboyante — mais prête à dépérir — de mousses, de lichens, de fruits et de fleurs. Les images de ce pourrissement font le constat écologique de la fragilité des territoires et de la rapide disparition du vivant dans les habitats naturels.


Avec les œuvres de Bertrand Gadenne, le château se transforme, le temps d’une exposition, en cabinet de curiosité surréaliste. L’artiste y tourne la nature en dérision, la présente sous son jour le plus bizarre, articule savamment le réel et sa fiction pour inviter les visiteurs à se prendre au jeu de leur imaginaire. Car dans le monde de Bertrand Gadenne, les plantes poussent naturellement en suivant des formes géométriques ; l'Homme et le Cerf s’échappent des fables de La Fontaine ; le goupil quitte la nuit de sa forêt pour nous conter le Roman de Renard...



Venu du milieu du cinéma expérimental, Bertrand Gadenne est diplômé de l'Ecole Nationale supérieure des Beaux-Arts de Nancy. Il expose en France et à l'étranger des créations relevant de la photographie, de la vidéo et de l'installation. Depuis, ses œuvres ont rejoint les collections publiques (Fond national d'art contemporain, Maison européenne de la photographie, FRAC Occitanie...).

En 2015, Bertrand Gadenne est décoré Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres et devient lauréat, deux ans plus tard, de la Résidence Ackerman-Fontevaud la Scène.


 

Photographies

  1. Le Hibou, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Philippe Robin

  2. La Branche d'arbre, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Philippe Robin

  3. Allée du Domaine de Trevarez © Benard GaleronLe Grand Salon, Les images réfléchies. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Philippe Robin

  4. La Branche d'arbre, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Bertrand Gadenne

  5. La Branche d'arbre, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Bertrand Gadenne

  6. Le Renard, 2023. Bertrand Gadenne. Domaine de Trevarez © Bertrand Gadenne


 

Exposition « Images réfléchies »

Bertrand Gadenne

Du 23 avril au 8 Octobre 2023

Commissariat de l'exposition : Noélie Blanc-Garin, chargée d'exposition au Domaine de Trévarez

Direction du site : Yann le Boulanger, directeur du Domaine de Trévarez


Le domaine de Trévarez est une étape des Chemins du Patrimoine en Finistère






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