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Madeleine Vionnet (1876-1975), l'architecte de la couture



Quelque peu oubliée aujourd’hui, Madeleine Vionnet fut pourtant l’une des figures les plus admirées de la haute couture parisienne durant l’entre-deux-guerres. Travailleuse acharnée, personnalité énigmatique gardant jalousement les secrets de sa coupe en biais et experte dans l’art du drapé, celle qui fut en son temps surnommée « l’architecte de la couture » ou encore « la grande patronne » a laissé à la postérité une œuvre singulière et audacieuse. Perméables au classicisme épuré des silhouettes antiques et à la rigueur du style Art déco, ses créations dénotent une conception architecturale du vêtement féminin.


« Mme Madeleine Vionnet au travail dans son studio de l’Avenue Montaigne », couverture de la revue mensuelle illustrée des Arts décoratifs appliqués à la femme : Les Modes, n°369, Février 1935, Paris, Bibliothèque nationale de France.


D’origine jurassienne, Madeleine Vionnet naît cependant dans le Loiret, à Chilleurs-aux-Bois, le 22 juin 1876. Ses parents ayant divorcé, elle grandit en région parisienne auprès de son père receveur d’octroi. La couture s’impose très tôt à elle. Dotée de facilités à l’école, elle se destine tout d’abord au métier d’institutrice mais décide finalement de quitter le cursus académique pour recevoir ses premières leçons de couture. À 18 ans seulement et affirmant son caractère solitaire, la jeune femme quitte son mari, et, sous prétexte d’apprendre l’anglais, s’installe en terre d’Albion pour se consacrer à l’apprentissage de la couture. D’abord lingère, puis après quelques années passées dans la maison de couture londonienne Kate Reily, Madeleine Vionnet rentre à Paris où elle perfectionne sa technique dans les maisons prestigieuses des sœurs Callot, en tant que première d’atelier, puis de Jacques Doucet. L’incompatibilité de son approche novatrice de la mode, souple et épurée, avec la surenchère ornementale des dentelles et autres rubans de la maison Doucet, conduit Madeleine Vionnet à se lancer seule. En 1912, elle ouvre pour une brève période sa propre maison de couture, au 222, rue de Rivoli, la Première Guerre mondiale l’obligeant à fermer. En 1918, dès la réouverture, la silhouette visuellement allégée de ses robes, rompant avec celle d’une certaine Belle Époque corsetée, séduit la clientèle féminine. La maison connaît un succès grandissant et emploie, au milieu des années 1920, plus d’un millier de personnes. Pionnière dans la gestion philanthropique de son entreprise et fidèle à ses origines modestes, la couturière fait preuve d’un esprit social novateur. Soucieuse du bien-être de ses petites mains, elle instaure diverses mesures relatives aux congés payés, maladie et maternité.


Dès l’ouverture de sa maison, la couturière s’entoure des meilleurs complices. De nombreux talents y font leurs gammes avant de fonder eux-mêmes leur propre maison à partir de 1939. Parmi eux, les trop oubliés Charles Montaigne (de son vrai nom Martin Meuwese, d'origine hollandaise), Jacques Griffe, qui en hommage à Vionnet apposera aussi son empreinte digitale sur ses étiquettes, ou encore Marcelle Chaumont, couturière de génie et mère de l’écrivain Madeleine Chapsal, dont Madeleine Vionnet était la marraine.




En 1919, Madeleine Vionnet confie le dessin de son logo à l’artiste italien Thayaht, né Ernesto Michahelles, notamment illustrateur pour la célèbre Gazette du Bon Ton. Inscrite dans un cercle, une figure stylisée se dresse au sommet d’une colonne cannelée d’ordre ionique. Le dessin est révélateur de l’art de Vionnet et de sa passion pour les civilisations anciennes. Reprenant la liberté de mouvement de la statuaire grecque, ses robes en biais moulent le corps féminin avec souplesse et l’enroulent de drapés flottants, tandis que les coutures et les systèmes d’attaches limités rappellent la construction des vêtements antiques.



Madeleine Vionnet. Première saison 1924, in La renaissance de l'art français et des industries de luxe. Logo dessiné en 1919 par Thayaht (Ernesto Michahelles). © Paris Musées / Musée Carnavalet – Histoire de Paris


Madeleine Vionnet, Robe blanche, drapé grec, en odalisque, collection hiver 1912, dessin à l’encre, aquarelle et gouache, Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

Madeleine Vionnet, Robe du soir, 1936, Crêpe Rosalba, ceinture en cuir doré, Paris, MAD. Don Madeleine Vionnet, UFAC, 1952 ©Photo, MAD, Paris /Patrick Gries

Madeleine Vionnet (d’après), Muguette Buhler (dessinateur), Modèle de robe drapée à l'antique, 1938-1939, crayon, Paris, MAD. Don Madeleine Vionnet, UFAC, 1964.


Pour obtenir ses fameux drapés, la couturière explore les possibilités infinies offertes par la coupe en biais. Sans croquis préparatoire, elle positionne des morceaux d’étoffes carrés ou rectangulaires sur un mannequin de bois miniature. Ainsi pensés directement en trois dimensions, les modèles déploient des volumes inédits, tandis que la technique du biais leur confère une grande élasticité.


Madeleine Vionnet, Robe du soir « Quatre mouchoirs », 1920, Crêpe romain, Paris, MAD. Don Madeleine Vionnet, UFAC, 1952 ©Photo, MAD, Paris /Patrick Gries


Cette création célèbre de Madeleine Vionnet, dite « robe mouchoir », est réalisée à partir de quatre losanges découpés et cousus ensemble.


Les motifs décoratifs et les couleurs se font rares, le noir et le blanc étant privilégiés pour souligner davantage la structure du vêtement. Les pans de tissu noués, drapés ou laissés libres de façon asymétrique suffisent à créer d’élégants jeux graphiques. Cette simplification extrême n’est pas sans rappeler la stylisation des formes du style Art déco, alors en vogue.

Madeleine Vionnet, Robe du soir, 1929, Mousseline de soie, broderie de perles de verre, Paris, MAD. Don Madeleine Vionnet, UFAC, 1952. ©Photo, MAD, Paris /Patrick Gries

Madeleine Vionnet, Robe, 1925, crêpe romain, motif placé broché aux tonneaux de filé or, Paris, MAD. ©Photo, MAD, Paris /Patrick Gries


L’esthétique Art déco séduit les créateurs de mode dont le mobilier, aux lignes géométriques et aux essences de bois précieux, signé René Herbst, Pierre Chareau ou Jean Dunand, orne les appartements. Comme Jacques Doucet et Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet fait appel aux grands architectes d’intérieur et décorateurs. En 1923, le décor de ses nouveaux salons dans l’hôtel particulier du 50, avenue Montaigne est confié à Georges de Feure et René Lalique. Le premier réalise des fresques peuplées de silhouettes féminines à l’antique. Le second illumine les locaux d'un plafonnier rayonnant aux précieuses verreries et de vitraux exécutés d'après des dessins de de Feure. « Mme Madeleine Vionnet, que nous admirons depuis longtemps pour l’harmonieuse façon qu’elle a de draper le corps de la femme, a voulu donner à ses créations d’avant-garde un cadre en corrélation avec elles. Avec un sens perspicace des homologies esthétiques, elle a confié la réalisation à un architecte de haute valeur, M. Chanut, et à un artiste décorateur notoire, M. Georges de Feure. » peut-on lire dans le Comœdia du samedi 7 juillet 1923 .Le salon principal, accessible par quatre baies en plein cintre enrichies de courbes concentriques, fait cohabiter la souplesse des arcades avec la rigueur moderniste du mobilier dans un mélange des plus raffinés.


Salon de la maison Vionnet décoré par Georges de Feure au 50, rue avenue Montaigne dans les années 20, photographies parues dans Art et décoration : revue mensuelle d'art moderne, janvier 1924, Paris, Bibliothèque nationale de France.


La mode est le véhicule le plus rapide des idées nouvelles et ceux qui la dirigent sont naturellement enclins à les soutenir et à les propager. L’art décoratif contemporain à trouvé une large application dans la toilette féminine et ses accessoires, avant que le grand public lui fasse accueil dans l’aménagement mobilier.

« Mme Madeleine Vionnet demande à l’Art moderne un cadre pour ses belles créations », article paru dans le Comœdia du samedi 7 juillet 1923, Paris, Bibliothèque nationale de France.


À la veille du deuxième conflit mondial, une série d’événements précipite la fermeture de la maison Vionnet mais son influence demeure encore fondamentale pour nombre de ses homologues.

La couturière s’éteint, presque centenaire, le 2 mars 1975 à Paris. Femme discrète, peu encline aux mondanités offertes par sa profession, Madeleine Vionnet aura pourtant su s’entourer des plus grands talents de son époque. En 1952, consciente de la valeur patrimoniale de ses créations pour l’histoire de l’art et de la mode, elle fait don d’un ensemble conséquent de robes, patrons, albums photographiques et ouvrages, à l’Union Française des Arts du Costume (UFAC), créée en 1948 sous l’impulsion de François Boucher et désormais rattachée aux collections du musée des arts décoratifs de Paris.

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