A quoi pense-t-elle ? C'est une pièce aux murs austères, dans laquelle trois bergères et un canapé d'un bleu vif sont dispersés dans un agréable désordre. Affalée sans souci de mondanité, une petite fille épuisée par le jeu ou accablée par l'ennui semble presque déplacée dans cet univers adulte. Non loin d'elle, un chiot dort, réaffirmant la torpeur ambiante. Réalisé par Mary Cassatt en 1878, Petite Fille dans un fauteuil bleu synthétise l'affinité grandissante de l'artiste américaine avec le mouvement impressionniste.

Mary Cassatt, née en Pennsylvanie, voyage en Europe dès l'enfance aux côtés de sa famille. Elle s'inscrit en 1860 à l'Académie des Beaux-Arts de son état natal, mais l'enseignement qui y est dispensé ne lui convient pas : elle quitte l'établissement au bout de deux ans. Elle décide dès lors de retourner à Paris en 1865 pour étudier auprès de Jean Léon Gérôme et Thomas Couture. Elle se perfectionne à leurs côtés et est acceptée au Salon pour la première fois en 1868, mais se lasse du goût traditionnaliste qui y prévaut. Mary Cassatt entrevoit une nouvelle façon de faire lorsqu'elle découvre les œuvres d'Edgar Degas en 1875, puis rencontre le peintre. Entre eux se noue une relation d'amitié teintée d'admiration mutuelle. Et pour cause : la mère de l'artiste, Célestine Musson, étant originaire de la Nouvelle-Orléans, les deux peintres partagent des origines américaines. Ils peignent ensemble au Louvre, se rendent régulièrement visite, et Edgar Degas réalise plusieurs tableaux dont Mary Cassatt est le modèle.

Or ce renouveau dans la peinture de cette dernière n'est pas vu d'un bon œil par toute la critique. Son œuvre Petite Fille dans un fauteuil bleu est refusée par le pavillon américain de l'exposition universelle de 1878. Ce verdict contribue à la rupture de Mary Cassatt avec les institutions officielles. Edgar Degas l'invite alors à exposer aux côtés de l'avant-garde : son tableau est présenté parmi onze de ses œuvres au cours de la quatrième exposition impressionniste de 1879. L'exposition est un succès, notamment grâce aux efforts de son organisateur Gustave Caillebotte, et ce malgré l'absence de certains des plus anciens membres, comme Manet ou Renoir. Les portraits de Mary Cassatt trouvent aisément leur place au milieu des paysages impressionnistes. L'artiste se reconnaît dans le goût de la couleur vive et se lie à d'autres personnalités influentes du mouvement, notamment Berthe Morisot. Ses influences impressionnistes ne se limitent pas à Edgar Degas : sa Femme dans une loge renvoie aux scènes de théâtre particulièrement prisées par Pierre-Auguste Renoir.

Si l’enfance en tant que sujet s’impose dès le XVIIIe siècle sous le pinceau d'artistes comme Jean-Siméon Chardin et Jean Baptiste Greuze, elle trouve avec Mary Cassatt une forme renouvelée par un souci de vérité. L'artiste traite avec une grande justesse des scènes peu populaires dans les Salons. En effet, loin de concevoir des compositions artificielles, la peintre s’attache à capturer des moments issus du quotidien bourgeois de ses modèles. Des femmes qui lisent, interagissent avec leurs filles ou leurs fils, des enfants qui jouent, autant de scènes que la plupart des peintres masculins ne connaissent à l'époque que de loin. La peinture de Mary Cassatt se fait alors le vecteur de l’expérience de ses modèles, souvent des membres de sa famille ou des connaissances. En ce qui concerne la Petite Fille dans un fauteuil bleu, il s'agirait de l'enfant d’un ami d'Edgar Degas. Quant au chiot, c'est probablement Baptiste, le griffon bruxellois de Mary Cassatt.
Le traitement du décor constitue un des aspects singuliers de l'œuvre : la vie émane des étoffes, et renforce par contraste la somnolence rêveuse de la protagoniste. Les motifs colorés des tissus sont réalisés à l'aide d'épais traits de peinture, qui font écho au traitement très vif du vêtement du modèle. Dans une lettre envoyée en 1905 à Ambroise Vollard, Mary Cassatt explique qu’Edgar Degas a contribué au fond de l’œuvre. De plus, la posture naturelle de la protagoniste et le décentrement du cadrage, sans doute inspiré par l'avènement de la photographie, permettent d'établir des parallèles entre cette œuvre et la manière d'Edgar Degas.
Les liens qu'entretient Mary Cassatt avec les impressionnistes s'intensifient à la suite de la quatrième exposition impressionniste, lorsqu'elle commence à vendre des toiles à Paul Durand-Ruel dans les années 1880. L'artiste contribue par la suite à la diffusion du mouvement aux Etats-Unis. C'est principalement grâce à ses conseils que Louisine Waldron Elder Havemeyer et Henry Osborne Havemeyer rassemblent pléthore d'œuvres impressionnistes, qui font aujourd'hui partie des collections du Metropolitan Museum of Art.
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