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Naufrage au nord du Cercle polaire



Le XIXe siècle connaît un engouement particulier pour l’exploration des zones nordiques. Jules Verne publie les Aventures du capitaine Hatteras en 1866, inspirées par la disparition, alors mystérieuse, de l’expédition de Franklin lors d’une tentative pour trouver le passage du Nord-Ouest (permettant de relier les océans Atlantique et Pacifique par le nord du Canada et non par le mythique Cap-Horn). Le peintre François-Auguste Biard (1799-1882), féru d’aventures lointaines participe à une expédition scientifique avec sa compagne, Louise, au Spitzberg en 1839. A leur retour, ils sont attendus, lui, pour ses toiles dont les parisiens espèrent bien tirer quelques sensations, grâce au talent du peintre pour transmettre l’ambiance glacée du Grand Nord, elle, pour le récit du voyage. Louise D’Aunet, avec qui l’artiste s’est finalement marié en 1840, avait accompagné son mari contre l’avis unanime de ses proches, poussée par la curiosité et l’envie d’être la première femme européenne à participer à une expédition septentrionale aussi lointaine. Sa correspondance de l’expédition, publiée dans la Revue de Paris sera très appréciée… Y compris par Victor Hugo avec lequel elle sera surprise en plein délit d’adultère en 1845 ce qui mettra fin à son union avec Biard.



Magdalena Bay. Vue prise de la presqu'île des Tombeaux, au nord du Spitzberg. Effet d'aurore boréale, est le titre donné par l’artiste à ce tableau (1,30m x 1,60m) réalisé en 1840. De toutes les œuvres peintes après cette expédition, celle-ci est la plus marquante.

François-Auguste, bien que formé aux Beaux-Arts de Lyon, sa ville natale, a toujours été assez autonome et est souvent présenté comme un autodidacte. Les œuvres de son voyage étaient attendues par les esthètes parisiens qui connaissaient ce peintre de cour voyageur, qui tenait des Beaux-Arts de Lyon sa grande minutie et son sens du détail. Et tenait de son sens des relations, un rôle important en tant qu’artiste proche du pouvoir. Mais l’accueil par la critique fût, justement, plutôt frais. On reproche à l’artiste la platitude de ses toiles, leur monotonie, à quelques exceptions près, dont ce tableau présenté aujourd’hui au Louvre.

L’effet grandiose et dynamique rendu par l’artiste ici a su conquérir le cœur des visiteurs. D’abord l’artiste n’a pas hésité à peindre une aurore boréale, éphémère donc par définition impossible à saisir sur le vif. Pour les Français du XIXe, cette toile est littéralement fantastique. L’aurore point derrière de sombres et froids escarpements et dans un vent puissant et mordant dévoile les restes d’une embarcation brisée dans la nuit par les glaces ainsi que quelques membres d’équipages. Pauvres hères perdus sur la banquise, dont les corps sont déjà ensevelis par la neige balayée par le vent.

Qu’a voulu l’artiste pour sujet principal de son tableau ? Cette composition éthérée représente un lieu dont le nom évoque ce que l’on voit : une île des Tombeaux. C’est la puissance de la nature, exacerbée dans des contrées aussi extrêmes, face au courage et à la fébrilité humaine qui semble mise en relief. L’effet sur le spectateur est efficace, la solitude du dernier survivant, l’aspect glaçant des montagnes et effrayant du ciel sur trois plans successifs renforce l’impuissance du spectateur face à la scène qui se déroule là.

Une lueur d’espoir dans ces traces de pas qui sortent du cadre en bas à droite… Difficile de dire si c’est un homme parti chercher du secours ou si ce sont les traces de l’homme encapuchonné qui a rejoint les morts pour ne pas mourir seul dans cet enfer blanc.


Paul Palayer


Photos de l'auteur.

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