En Asie centrale, situé entre le Kirghizistan, la Chine, l'Afghanistan et l'Ouzbékistan, le Tadjikistan fait figure de laissé-pour-compte dans le paysage culturel mondial. Indépendant depuis l’éclatement de l’URSS en 1991 - ses frontières remontant à la création de la République socialiste soviétique du Tadjikistan en 1929 au sein de l'Union soviétique - ce territoire est néanmoins porteur d’une histoire millénaire que le musée Guimet, par le biais de la première exposition d’envergure dédiée à ce pays dans un grand musée européen, valorise avec succès jusqu’au 10 janvier 2021.
Comme en témoigne le double haut patronage (celui du président de la République française Emmanuel Macron et celui du président du Tadjikistan Emomali Rahmon) sous lequel elle prend place, cette exposition porte, au-delà de son intérêt artistique, un enjeu diplomatique et politico-culturel fort. La France qui fut l’un des premiers pays à reconnaître l’indépendance du Tadjikistan, dès 1992, est fortement implantée sur le plan culturel dans le territoire tadjik. Des archéologues français fouillent ainsi le site de Sarazm tout en effectuant des formations destinées aux professionnels locaux. Récemment classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce site constitue aussi bien le point de départ de l’exposition que de l’histoire archéologique du Tadjikistan. Témoin de l’occupation humaine du territoire au Chalcolithique, un certain nombre de pièces d’orfèvrerie d’une grande qualité y ont été retrouvées. Le fleuron de ces découvertes est sans doute constitué par la tombe dite de la "princesse de Sarazm" dont sont issues des œuvres de l'exposition. D'un bâtiment cultuel situé à proximité provient également une rosette d’or d’environ 5,5 cm de diamètre présentée dans l’exposition et dont une turquoise constitue le pistil.
La suite du parcours de l’exposition est organisée selon un ordre chronologique propice à l’évocation du riche passé d’un territoire montagneux dont les frontières, de création moderne, n’épousent qu’assez peu l’histoire de la région. Celle-ci fut pourtant le témoin de la grande histoire du monde par sa position stratégique entre Orient et Occident. Elle fit ainsi partie pendant un temps du grand empire perse achéménide comme en témoigne le trésor de l’Oxus dont l’exposition a été permise par un prêt exceptionnel du British Museum. Avec celui-ci, c’est également l’héritage scythe de la région qui est mis en avant par la présence dans ces nombreux objets d’art d’un riche vocabulaire constitué d’animaux -cerfs, lions, chameaux…- stylisés par des jeux de volutes.
En 330 avant J.-C., le roi Darius III, acculé par les offensives d’Alexandre, est assassiné par ses satrapes. Cet évènement qui marque la fin de l’empire perse voit ainsi la région de l’actuel Tadjikistan, alors en partie connue sous le nom de Bactriane, se retrouver sous domination macédonienne. A la mort du conquérant, la région passe sous l’égide des Séleucides et l’art se voit ainsi profondément influencé par le goût grec amené par les nombreux colons s’étant installés dans la région. Une pièce exceptionnelle témoigne de cette domination grecque. Il s’agit du fameux Eukratideion, l’une des œuvres maîtresses de l’exposition, puisqu’il s’agit de la plus lourde pièce antique jamais découverte. Celle-ci, conservée au département des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France, constitue sans doute une gratification exceptionnelle destinée à de hauts dignitaires civils ou militaires. Il est cependant à noter que cette pièce n’a pas été mise au jour au Tadjikistan mais en en actuel Ouzbékistan (en 1837) qui faisait également parti royaume Gréco-bactrien.
Après l’effondrement de ce royaume sous les assauts répétés des nomades des steppes, il faut attendre l’avènement de l’Empire Kouchan (vers 100-375) pour que la région connaisse une stabilité renouvelée. Celui-ci s’effondre à son tour face aux expéditions des rois sassanides qui s’emparent de la région. Ces derniers sont à leur tour remplacés par les conquérants musulmans. De nombreuses dynasties islamiques se succèdent avant que les Samanides (875-999) s’installent durablement dans la région. La fin du règne samanide est également le point final des bornes chronologiques de l’exposition. Nous regretterons d’ailleurs que celles-ci ne soient pas indiquées dans le titre de l’exposition, cela pouvant porter à confusion. Tous ces changements rapides de domination sur le territoire tadjik se répercutent logiquement sur le plan religieux puisque la région voit cohabiter plus ou moins pacifiquement un certain nombre de croyances dont témoignent les objets présentés dans l’exposition. Sont ainsi présentées aussi bien une tête de Bouddha daté du VIIe siècle qu’une pierre tombale anthropomorphe -qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer les monolithes du Rouergue – témoignant des croyances des nomades turcs. Parmi toutes ces pièces religieuses qui occupent une grande partie des dernières salles du parcours, il faut mentionner une représentation exceptionnelle du dieu Mithra en bois dont le corps nous apparaissant aujourd'hui nu était régulièrement habillé lors de cérémonies.
Avec Tadjikistan, au pays des fleuves d’or, exposition co-construite avec des conservateurs tadjiks, le musée Guimet s’inscrit dans les échanges bilatéraux culturels entre la France et ses alliés. Ce qui n’aurait pu être qu’une opération de communication destinée à mettre en avant notre politique culturelle s’est transformé en un véritable tour de force par la présentation d’œuvres exceptionnelles provenant des musées du Tadjikistan mais également d’autres musées de par le monde, contribuant ainsi à la richesse de l’exposition. Néanmoins quelques bémols sont à souligner. Tout d’abord, malgré de nombreux chef-d ’œuvres présentés, toutes ne sont pas d’une qualité majeure, la quantité primant parfois. De plus, le parcours, s’il est très clair au début, tend à se complexifier sur la fin, ce qui peut amener le visiteur à un certain décrochage vis-à-vis des nombreuses cultures et objets présentés. Ce qui peut s’expliquer par une complexification même de l’histoire de la région aurait peut-être nécessité la présence de documents visuels plus nombreux afin de comprendre la géopolitique ancienne. Cela dit, Tadjikistan, au pays des fleuves d’or reste une découverte agréable d’une culture multiple aujourd’hui largement méconnue.
Antoine Lavastre
Tadjikistan, au pays des fleuves d’or
14 octobre 2021 - 10 janvier 2022
Musée national des arts asiatiques – Guimet 6, place d’Iéna 75116 Paris
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