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Un panneau avignonnais du cercle de Nicolas Froment aux enchères

Par Camille Larraz et Nicolas Bousser


Le 28 novembre prochain, la maison Aguttes présentera un très intéressant panneau réalisé vers 1470 dans le secteur avignonnais, par un artiste sans doute proche de Nicolas Froment (1435-1486). Cette œuvre constitue une véritable découverte et nous souhaitons en livrer quelques clés de compréhension.

Cercle de Nicolas Froment, Saint Pierre, vers 1470. Huile sur panneau, 27 x 33 cm. Vente Aguttes du 28 novembre 2023
Un panneau dans le contexte avignonnais

Découverte, c’est le mot. Ce panneau (27 x 33 cm) n’avait jusqu’à présent jamais été publié. Passé dans une vente publique à Bruges en février 2023, il avait été présenté comme un saint Marc réalisé par une main italienne du Quattrocento « à la manière de l’École Siennoise ». Il met en réalité en scène la figure de saint Pierre sur un fond d’or, poinçonné à hauteur de son auréole. Le patriarche, tourné de trois-quarts vers la droite, apparaît vieillissant, une barbe et des cheveux blancs ouvrant sur une tonsure. Son vêtement invoque plusieurs tonalités de rouge. La pilosité est travaillée de manière très précise tout comme les rides du visage, renvoyant directement aux modèles picards et flamands ici synthétisés et adoucis dans une manière typique de la production provençale.


Les foyers artistiques avignonnais et aixois du XVe siècle se caractérisent en effet en grande partie par la présence de peintres venus de Picardie et des Flandres. Enguerrand Quarton, Barthélémy d’Eyck puis Nicolas Froment travaillent pour des commanditaires prestigieux, dont le roi René d’Anjou et sa cour ainsi que la légation papale. La leçon des primitifs flamands s’adapte à la lumière de Provence : les compositions, souvent monumentales, bénéficient d’une grande clarté et les figures d’un illusionnisme sculptural, conjugué à des carnations et des textures rendues avec une minutie extrême. On privilégie dans cette seconde moitié du siècle les triptyques à volets mobiles comprenant les portraits des commanditaires, à l’instar du Buisson Ardent réalisé par Nicolas Froment entre 1475 et 1476, ou les panneaux d’un seul tenant comme le retable des Pérussis (New York, Metropolitan Museum of Art).


Cercle de Nicolas Froment - Maître des Pérussis, Retable des Pérussis, 1480. Huile et or sur panneau, 138.4 x 58.4 cm. New York, Metropolitan Museum
Trois fragments d’un même retable

Frédéric Elsig, professeur ordinaire en histoire de l’art médiéval à l’Université de Genève, a habilement reconnu que ce saint Pierre en buste présenté par Aguttes correspond à la partie supérieure d’un fragment (43 x 35 cm) publié en 1990 par Charles Sterling, que ce dernier rapproche de l’art de Nicolas Froment autour de 1470 [1]. Le panneau, acquis par Sam Fogg à Londres en 2011 [2], représente un donateur en prière et le reste du corps du saint, vêtu du même drapé rouge et portant une croix hampée tenant trois clés. En 2019, au sein du volume Peindre à Avignon aux XVe-XVIe siècles, Camille Larraz a pu relier le fragment londonien à un second portrait (30 x 25 cm) découpé au sein d’un ensemble plus grand, ainsi qu’en atteste le vêtement d’un saint non identifiable mais placé dans un dispositif identique au saint Pierre [3]. Ce portrait faussement autonome, publié pour la première fois lors de l’exposition des primitifs français de 1904 [4], avait d’abord été rattaché à la Touraine par Michel Laclotte, avant qu’il ne le restitue en Provence autour du retable des Pérussis [5], une célèbre famille florentine établie à Avignon vers 1445.

La saint Pierre de la maison Aguttes constitue la partie supérieure du panneau acheté par Sam Fogg en 2011 (43 x 35 cm). Un autre fragment en collection privée (30 x 25 cm) s'insère dans le même ensemble. Reconstitution ©Coupe-File Art

Frédéric Elsig avait proposé en 2019 de reconnaître dans les deux fragments la main de l’auteur du retable des Pérussis. La réapparition de ce saint Pierre le conduit à nuancer ce rapprochement, dans la mesure où il note à présent « un modelé moins tranchant que dans le retable new-yorkais » [6]. Il préfère ainsi une attribution au cercle avignonnais de Nicolas Froment et envisage une composition semblable au panneau des Pérussis, qui justifierait le fond d’or du saint Pierre interrompant la représentation du paysage visible dans le fragment londonien. Peintre en titre de René d’Anjou, Nicolas Froment est relativement bien connu à travers divers documents extraits de minutes notariales ainsi que de comptes municipaux et royaux. En revanche, si l’on connaît les noms de quelques collaborateurs, comme Thomas Grabuset, que l’on a parfois voulu reconnaître comme le peintre du retable Pérussis [7], on ignore ceux des apprentis qu’il a sûrement dû accueillir dans son atelier prolifique.


Une main à identifier

La richesse archivistique de la région d'Avignon – terre de droit romain et donc plus encline à passer chez le notaire – rend compte de l’effervescence de l’activité non seulement des peintres et des enlumineurs, mais aussi des sculpteurs et des verriers. Grâce aux œuvres conservées, on peut suivre l’évolution de l’art provençal sur l’ensemble du XVe siècle, jusqu’à la figure de Nicolas Dipre avec lequel s’achèvent les belles heures de l’ars nova avignonnais. C’est dans ce milieu en plein essor qu’est actif le peintre responsable des trois fragments réunis. Le goût d’une clientèle aisée pour cette culture venue du Nord, qu’il s’agisse de notables, de la noblesse, de la couronne ou des nombreuses institutions religieuses, cohabite avec les artistes venus d’Italie. Le Comtat Venaissin demeure propriété du pape : si Avignon est redevable politiquement envers la Péninsule, elle l’est aussi d’un point de vue artistique. On songe ainsi au sculpteur Francesco Laurana, dont un Portement de croix est toujours conservé dans l’église Saint-Didier d’Avignon.


Qui est donc le peintre de ce saint Pierre ? Dans l'attente d'une identification, il est estampillé « cercle de Nicolas Froment » dans le catalogue de la vente. Nul doute qu'il saura susciter l'intérêt, peut-être d'un musée, lors de son passage sous le feu des enchères.

 

Notes /


[1] Ch. Sterling, « Tableaux français inédits : Provence », L'Oeil, 425, 1990, p. 51-53. [2] Late Medieval Panel. Materials, Methods, Meanings, éd. S. Nash, Londres (Sam Fogg), 2011, p. 216-225, no 16 (notice de E. Capron). [3] C. Larraz, « Nicolas Froment : de la Picardie à la Provence », dans Peindre à Avignon aux XVe-XVIe siècles, éd. F. Elsig, Cinisello Balsamo, 2019, p. 113. [4] H. Bouchot, L’Exposition des primitifs français, Paris, 1904, suppl. no 352. [5] M. Laclotte et D. Thiébaut, L'Ecole d'Avignon, Paris, 1983, p. 249, no 74. [6] Notice de vente [7] Th. Rousseau Jr. "The Pérussis Altarpiece", Metropolitan Museum of Art Bulletin 15, juin 1957, pp. 222–27.

 

Aguttes - Vente Maîtres Anciens du 28 novembre 2023

164 bis Av. Charles de Gaulle, 92200 Neuilly-sur-Seine

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