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Dans l'atelier de Franck Sadock

Par Nicolas Bousser et Antoine Lavastre

Photographies de Nicolas Bousser



Il y a quelques semaines, nous avons visité l'atelier-gypsothèque parisien de l'artiste Franck Sadock, ancien résident de la Villa Médicis à Rome, à la découverte d'un travail mêlant haut-relief et gravure, blancheur du plâtre et couleur, et dans lequel les moindres mouvements de l'expression humaine sont scrutés et retranscrits. De notre longue discussion avec le plasticien, nous avons tiré l'entretien qui suit ces quelques lignes.



Antoine Lavastre et Nicolas Bousser : Comment est née votre vocation en tant qu’artiste ?

J’ai commencé à peindre très jeune mais je me suis d’abord orienté vers l'École des arts appliqués en architecture d’intérieur. J’ai fait quelques chantiers comme architecte d’intérieur mais très vite, je me suis rendu compte que j’étais plus artiste qu’architecte. J’ai donc passé le concours des Beaux-Arts où j’ai eu une révélation pour l’art contemporain. Cela m’a complètement retourné par rapport à ce que je connaissais, qui était plus « classique ». C’est une autre approche de l’art où il faut faire table rase pour trouver des concepts, imaginer des choses nouvelles et personnelles. Cela m’a plu car j’ai toujours pensé qu’il fallait que je me démarque. Aux Beaux-arts, j’ai passé un diplôme de photographie et de dessin. J’ai notamment réalisé tout un projet pour ce diplôme au café de Flore. Je montais au premier étage et je regardais les gens écrire, travailler. Je venais tous les jours et on me laissait tranquille.

On me laissait dessiner, faire des photographies. Les personnes qui étaient là m’inspiraient du fait qu’elles étaient souvent là pour travailler. Elles lisaient des documents, préparaient des discours. J’observais vraiment l’effort intellectuel, ce qui créait de très belles attitudes, de très beaux moments. Je suis assez obsédé par le langage, que cela soit le langage parlé ou le langage du corps et il y a une vraie beauté qui se dégage de ces personnes, qui pour la plupart ont une belle éducation, une vraie intelligence. C’est vraiment les gens qui pensent qui m’ont intéressé. Ces photos, je les ai intégrées dans des carreaux de plâtre. Je creusais un cadre à l’intérieur et je plaçais mes photos en noir et blanc tout en laissant une ligne verticale du négatif avec le numéro pour montrer une idée de continuité, que cela ne s’arrêtait jamais. Cette idée m’a été inspirée par un artiste dont le travail m’a touché aux Beaux-Arts, Barnett Newman. Il travaillait particulièrement sur l’idée de l’infini, du renversement, de la remise en question.


AL et NB : Cette idée d’observer les gens qui pensent, c’est quelque chose que l’on retrouve dans votre travail actuel en lien avec l’Assemblée Nationale. Quelle est votre démarche par rapport à cela ?

Oui, c’est cela. Je cherche, à l’Assemblée, à trouver des attitudes réflexives, celles des gens qui pensent. D’un point de vue pratique, je travaille à partir de captures d’écran des séances parce que pendant longtemps il était très difficile voire impossible, pour les artistes, de pouvoir se rendre directement à l’Assemblée. Aujourd’hui, j’y vais de temps en temps mais je conserve encore pour le moment cette habitude. En plus, cela me permet de faire des gros plans, des recadrages, ce qui convient bien à mon travail. En fait, c’est même plus dur pour moi de travailler dans l’hémicycle. Néanmoins, il me paraît tout de même important d’assister aux séances et c’est quelque chose dont je ne bénéficie que depuis un an grâce à la nouvelle présidente qui a décidé d’ouvrir plus l’Assemblée. Maintenant, les mardis, les sessions sont ouvertes aux artistes. Il y a une vraie ouverture qui est notable.



AL et NB : Comment opérez-vous le choix de ce que vous allez retranscrire dans le plâtre ?

Je cherche une belle attitude, un rapport à l’autre, une promiscuité. Parfois, les députés sont seuls mais quand ils sont deux ou trois, les visages se confondent grâce aux gradins. La photographie tend à supprimer le relief, ce qui crée des corps qui se touchent. Tout à coup pour moi, c’est une chaleur, une intimité qui apparaît. C’est ce que j’essaie de retranscrire. Après pour les députés que je choisis de représenter, je fais attention à choisir des gens dont le langage est posé, qui ont une certaine éloquence. Je recherche un discours de vérité. C’est compliqué à l’Assemblée mais j’essaie de trouver comme une sorte de poésie. C’est peut-être par l’intermédiaire du silence que j’impose quand je travaille que quelque chose, d’un coup, se révèle. Pour revenir aux attitudes, sans porter de jugement, je trouve que le mouvement porté par Emmanuel Macron a amené quelque chose à l’Assemblée, notamment beaucoup plus de jeunes et beaucoup plus de femmes. Cela a vraiment changé les codes, apporté un vent de fraîcheur avec des attitudes au départ très naturelles. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé sur un ancien ministre, Julien Denormandie, et je suis même allé jusqu’à mêler son visage avec celui d’Arthur Rimbaud. J’étudie également les mouvements, notamment ce qu’il se passe avec les mains car dans mon travail le corps entier n’apparait pas. Les mains qui viennent se poser sur le visage par exemple sont importantes pour moi.


AL et NB : Pour revenir sur votre choix initial de travailler sur la représentation des hommes et des femmes politiques, peut-on y voir la volonté de trouver une force particulière pour vous en tant qu’artiste ?

C’est vrai qu’en sortant des Beaux-Arts, on est un peu livré à nous même. Tout le monde le dit, mais c’est vraiment la réalité. Les hommes politiques sont dans le combat, dans l’adversité, et c’est quelque chose qui me manquait. En tant qu’artiste, j’avais l’impression que c’était quelque chose d’important de savoir lutter par le langage pour arriver à émerger. Cela crée ainsi un rapport assez personnel dans mon travail.



AL et NB : Pourquoi le choix du plâtre ?

Parce que c’est blanc, comme une feuille. D’ailleurs je commence mon travail par graver dessus comme sur une feuille. Par rapport à cela, j’ai entendu un jour, je ne sais plus vraiment où, que Picasso aurait dit que s’il avait pu, il aurait fait du plâtre toute sa vie. Cela m’a conforté dans mon choix. Ensuite, sur la plaque de plâtre j’ajoute aussi de la matière, des couches superposées. L’idée vraiment sous-jacente est de créer comme un morceau de mur, une œuvre ouverte sur l’idée développée par beaucoup d’artistes contemporains américains. L’œuvre s’évade, elle sort du carreau, comme si le corps sortait du mur. J’aime aussi l’idée que le regardeur vient compléter avec son esprit en prolongeant mentalement les traits. Cela me fait penser à un poème de Rilke, Le torse archaïque d’Apollon, où il explique qu’un fragment amène l’imagination et anime les sculptures. C’est sans doute quelque chose qui m’a heurté quand j’étais plus jeune et que je regardais les sculptures antiques.



AL et NB : Vous avez réalisé une grande série de ces portraits de députés, aviez-vous la volonté d’une présentation en hémicycle ?

Oui, c’est vraiment l’idée. Lors d’une exposition à Saint-Germain-des-Prés, je l’avais d’ailleurs fait en créant un hémicycle de gradins de plâtre. Cela vient même assez naturellement car dès qu’on me propose une exposition, tout de suite la scénographie évoquée est celle d’un grand mur. Néanmoins, les œuvres peuvent aussi se prendre de manière autonome et singulière.


AL et NB : Vous venez d’exposer votre travail à la mairie du IXe arrondissement, comment ce projet a-t-il vu le jour ?

J’habite l’arrondissement depuis près de vingt ans et récemment, je me suis dit qu’il était important que je fasse connaître mon travail localement. J’ai pu rencontrer l’attaché culturel et cela a tout de suite pris. Mon travail et mon discours autour de l’idée de démocratie leur a plu et ils m’ont proposé très rapidement une exposition. D’ailleurs, eux-aussi m’ont demandé de créer un mur avec mes portraits. Ils m’ont également demandé de présenter une autre partie de mon travail, les dessins.



AL et NB : Cette production occupe une place importante dans votre travail ?

Oui et de plus en plus. Je dessine d’ailleurs sur mes carreaux de plâtre avant de les graver. Je pense même que je vais faire des sculptures avec plus de dessins. Pour ce qui est du dessin sur papier, je travaille autour de thèmes précis, notamment la musique classique. Je dessine des violonistes, des violoncellistes. L’instrument près du visage me plaît car cela crée un vrai rapport entre l’objet et le musicien. Je ne délaisse pas pour autant la sculpture. Je pense que j’ai encore des choses à trouver dans le dessin mais aussi dans la sculpture.



AL et NB : Quand vous créez à partir de photographies, laissez-vous une part d’improvisation ?

Je sais ce que je vais faire par rapport au dessin sur le plâtre et je sais aussi ce que va rendre le relief parce que j’ai maintenant une certaine expérience. Après, ce que je vais arriver à faire en plus, ce qui touche au domaine de la poésie, cela vient en travaillant, en modifiant. Des choses nouvelles apparaissent pendant les trois mois de travail que représente un plâtre. Au départ, j’en produisais plusieurs à la fois, dans une sorte d’obsession mais maintenant j’ai calmé le rythme.


AL et NB : Au-delà de votre vie artistique, vous donnez également des cours ?

Oui, aux apprentis d’Auteuil. Ce sont des élèves aux parcours compliqués, des décrocheurs souvent, qui viennent de milieux familiaux très durs. J’enseigne trois jours par semaine. Je suis soumis à un certain programme mais je les fais travailler sur le design, le dessin. L’idée est de les aider.


AL et NB : Pour revenir à vos débuts, vous nous avez dit avoir passé un diplôme de photographie, qu’est-ce qui vous a fait passer à la sculpture ?

J’ai voulu tout remettre à plat en sortant des Beaux-Arts, délaisser mes maîtres. Je me suis fait un œil, l’œil du photographe. Je m’en sers encore, notamment lorsque je fais mes captures d’écran à l’Assemblée. Je ne me sentais cependant pas photographe. Des aspects me plaisent encore dans la photographie. Si je pouvais photographier à l’Assemblée, cela serait formidable mais c’est interdit. Le côté errant du photographe ne me convient cependant plus.


AL et NB : Lorsqu’on s’est rencontrés, il y a quelques semaines, vous avez utilisé lors d’une discussion le mot solennité. Est-ce un concept important pour vous ?

Oui. Je n’aime pas trop l’ironie et cela me plaît à l’Assemblée qu’il y ait ce côté si sérieux. C’est par le sérieux que je trouve la beauté. J’essaie de chercher ce qui est vivant dans ce sérieux. Cela correspond bien à qui je suis également. Parfois, à l’Assemblée, il y a une minute de silence qui débute la séance. Cette minute, je la respecte souvent, c’est quelque chose qui me touche.


AL et NB : Au-delà de vos dessins de musiciens et de vos œuvres en lien avec l’Assemblée nationale, quelles sont vos autres productions ?

Je fais aussi des nus. Je prends des œuvres de photographes des années 1940-1950 que j’adapte dans le plâtre. Parfois, je découpe mes carreaux, parfois je grave juste un corps, sans relief. Je m’inspire du travail de Dominique Issermann par exemple. Elle travaille beaucoup sur le tissu, le drapé.



AL et NB : Vous avez eu une éducation à l’art dit classique. En gardez-vous des choses aujourd’hui dans votre production ?

Oui et non. J’utilise par exemple de la peinture à l’huile pour colorer les visages et les corps. Néanmoins, je ne crois pas subir une véritable influence classique. Je prends toujours du plaisir à regarder les impressionnistes par exemple. J’aime découvrir des artistes plus anciens encore aujourd’hui, dans mes voyages notamment, mais je ne pense pas que cela influe ma production plus que cela.


AL et NB : Pour rebondir, sur cette idée de voyage vous avez séjourné à la villa Médicis à Rome en 2019, quel a été l’objet de votre résidence ?

J’ai créé un dossier sur la colonne Trajane. A la villa Médicis, il y a une gypsothèque où les reliefs en plâtre de cette colonne ressortent d’un mur bleu ciel. C’est assez magique. Ce projet a été accepté pour une résidence. Sur place, j’ai choisi de travailler sur le motif du bouclier. Il y a des boucliers ovales sur la colonne. J’ai ainsi découpé mes carreaux de manière ovale. J’ai fait beaucoup de recherches sur place pour retrouver tous les dessins de cette colonne. Après, j’ai trouvé un thème pour lier la politique à la colonne. C’est un objet véritablement politique qui retrace les victoires de l’empereur Trajan sur les Daces. Je lisais Rimbaud au même moment. Ce dernier était un homme de combat, de lutte. Il était contre son époque, etc. Cela me parlait et m’a fait penser à mes hommes politiques, qui sont aussi dans le combat. J’ai donc fait un mélange entre un jeune homme politique, Julien Denormandie, et le poète. Je les ai représentées sur ces boucliers que j’ai découpés. Là-bas, j’ai également pu rencontrer l’historienne de l’art Francesca Alberti. Elle m’a donné des pistes de travail, des livres à lire comme le bouclier d’Achille. Elle m’a parlé d’une boule, sur un tableau de Titien, qui représente l’harmonie conjugale (Titien, Allégorie Conjugale, Paris, musée du Louvre). J’ai donc placé cette boule au centre des boucliers. C’est d’ailleurs aussi l’emblème des Médicis, en lien donc avec la villa. C’est aussi l’idée de la boule de cristal du voyant. Rimbaud se disait d’ailleurs double voyant. Rimbaud est pour moi un symbole de victoire car il est encore lu, il a vaincu son temps. J’ai donc enfin rajouté des ailes, les ailes de Niké, de la victoire, que l’on retrouve sur la colonne trajane.


AL et NB : Pour conclure, le grand projet du moment ne pourrait-il pas être d’exposer vos œuvres à l’Assemblée nationale ?

Si, c’est un objectif. Après, je ne peux pas trop en parler pour le moment mais ils me connaissent désormais et j’espère que cela pourrait un jour se mettre en place.


 

Pour découvrir le travail de l'artiste : franck-sadock.fr

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