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Jurassic Park. Origine et postérité d'une paléontologie glamour

  • Photo du rédacteur: Célia De Saint Riquier
    Célia De Saint Riquier
  • 3 juil.
  • 11 min de lecture

Se détachant en négatif d’un fond rouge, cette silhouette de T-Rex est aujourd’hui non seulement connue de tous, mais associée à tout un univers qui compte plus de 30 jeux vidéo, des comics, des attractions, mais surtout sept films en comptant la sortie prochaine de Jurassic World : Renaissance le 6 juillet 2025. La sortie de ce dernier opus est donc l’occasion de revenir sur l’origine de ce film-évènement ….


Affiche française du film, 1993.
Affiche française du film, 1993.

« Now, eventually you do plan to have dinosaurs on your, on your dinosaur tour, right ? »

Les dinos au ciné, une relation préhistorique 

 

L’histoire « on camera » de ces énormes mammifères remonte bien avant les années 1990. Dès les débuts du cinéma, et aux origines de l’animation, se trouve déjà un dinosaure au long cou, quoique bien plus sympathique que ceux de Spielberg : Gertie. Gertie The Dinosaur est un court métrage d’une quinzaine de minutes réalisé en 1914 par Winsor McCay, pionner de l’animation. L’intrigue est assez simple et servira sans doute de modèle à la série Out of the Inkwell (1918-1928) des frères Fleischer, qui font eux aussi dialoguer monde réel et animé. En effet, nous rencontrons d’abord Winsor McCay et ses collègues – filmés en prise de vues réelles –, visitant un musée d’histoire naturelle à la suite d’une panne de voiture. Impressionné par ces squelettes de dinosaures, Winsor se lance alors le défi d’en faire revivre un. Quelques temps plus tard, il présente sa réalisation et Gertie une gentille brontosaure s’anime donc à l’écran. Mais après quelques saluts et démonstrations, Gertie se montre moins coopérative et tente même d’attraper son créateur, qui la gronde. Pendant environ quatre minutes, la dinosaure évolue ainsi dans un paysage qui met en avant ses dimensions hors normes : elle mâchouille nonchalamment une citrouille, elle boit dans un lac qu’elle finit par assécher totalement... Personnage attendrissant malgré sa taille, le dinosaure marque les esprits (petits et grands).


Par unknown (Box Office Attraction Co.) — scanned from Winsor McCay: His Life and Art, John Canemaker, 2005 link, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=897194
Par unknown (Box Office Attraction Co.) — scanned from Winsor McCay: His Life and Art, John Canemaker, 2005 link, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=897194

Par First National Pictures — Source, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12690702
Par First National Pictures — Source, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=12690702

Quelques années plus tard, un nouveau film de dinosaures connaît un énorme retentissement : The Lost World, réalisé par Harry O. Hayt, en 1925. Adapté d’un roman de Sir Arthur Conan Doyle paru en 1912 (dont il dira d’ailleurs lui-même préférer son personnage phare, le professeur Challenger à Sherlock Holmes ou au docteur Watson), le film de Hayt est une prouesse exceptionnelle en termes techniques. Les dinosaures sont fabriqués pour bouger et même donner l’impression de respirer sur des modèles plus ou moins réduits. Willis O’Brien, chargé des effets spéciaux, emploie un système de stop motion pour proposer une diversité de mouvements des dinosaures, combiné à du cache/contre-cache, permettant de remettre à l’échelle macro les créatures face aux acteurs et actrices (la pellicule étant impressionnée deux fois en cachant à chaque exposition une partie de l’image avec un cache). 


Spielberg est donc loin d’être le premier à faire apparaître ces animaux gigantesques à l’écran. D’ailleurs, notons qu’en 1991 — soit deux ans avant la sortie de Jurassic Park — le film Gertie the Dinosaur est inscrit au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès, ce qui témoigne de sa reconnaissance à l’époque comme un jalon de l’histoire du cinéma mondial.


 « Yeah. "Ooh, ah," that's how it always starts. But then later there's running and screaming. »

Quelques rappels de l’intrigue


Le 11 juin 1993, le public américain découvre sur les écrans ce parc d’attractions pensé par John Hammond (Richard Attenborough) situé sur une île au large du Costa Rica. Parvenu grâce à sa compagnie InGen à donner vie à des dinosaures grâce à la génétique il décide de faire visiter le parc à un groupe d'experts dont les professeurs Alan Grant (Sam Neill), Ellie Sattler (Laura Dern) et Ian Malcolm (Jeff Goldblum) pour obtenir leur avis. Ils sont accompagnés par les petits-enfants de Hammond venus rendre visite à leur grand-père. Si les scientifiques ont dès leur arrivée un avis pour le moins mitigé, le déclenchement d’une tempête et les mauvaises intentions d’un informaticien de la compagnie qui éteint le système de sécurité laissant ainsi les dinosaures carnivores sortir de leur enclos transforment rapidement ce voyage en cauchemar. 


« I bring scientists, you bring a rockstar. »

Michael Crichton, machine à succès hollywoodien 


L’intrigue du film est une adaptation d’un best-seller de Michael Crichton, sorti en 1990. Il signe également le scénario avec David Koepp, et c’est le logo désigné pour la couverture du livre qui est finalement repris pour l’affiche du film et ses décors. Mais il est intéressant de noter qu’il ne s’agit pas de la première adaptation de l’univers de Crichton au cinéma, et qu’il ne s’agira pas de son dernier succès mis à l’écran. En effet, Crichton est une véritable machine à succès hollywoodien. Il est à l’origine de l’univers de Westworld, qui, avant son adaptation en série par HBO en 2016, avait déjà fait l’objet d’une première adaptation cinématographique en 1973. Le thème n’est d’ailleurs pas tant éloigné de celui de Jurassic Park, puisque les deux histoires tournent autour d’un parc d'attractions créé par un millionnaire désireux de ramener un monde perdu à la vie pour divertir un public et dont les créations finissent par se retourner contre leur créateur. En somme, il s'agit, dans les deux cas, d'une modernisation du mythe de Prométhée. Un an après Jurassic Park, Crichton se lance dans la production de la série Urgences (Emergency Room en version originale) dont le retentissement considérable est notamment à l’origine de la révélation de George Clooney  et reste pendant plus de quinze ans sur les écrans. 


« Spared no expense » 

Il faut un blockbuster


By GianAngelo Pistoia - Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=70474022 
By GianAngelo Pistoia - Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=70474022 

S’il serait tentant de faire un parallèle entre la machine à succès Crichton et Steven Spielberg, le prodige d’Hollywood, cela serait oublier le contexte dans lequel est créé Jurassic Park. En 1981, Spielberg est auréolé de succès avec Rencontres du troisième type (1977) et le premier Indiana Jones (1981) et crée sa société de production Amblin avec Katherine Kennedy (aujourd’hui à la tête de la firme Star Wars) et Frank Marshall. Amblin produit nombre de films célèbres à l’instar de Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985), les Goonies (Richard Donner, 1985), Qui veut la peau de Roger Rabbit (Zemeckis, 1988), ainsi que Le Petit Dinosaure (Don Bluth, 1988) - tiens, tiens ! -, créé à partir d’une idée de Spielberg et George Lucas. Mais pour Spielberg. Mais au tournant de la décennie connaît deux échecs commerciaux avec Always (1989) et Hook (1991). La société de production se retrouve donc dans une situation un peu délicate, et risque de ne pas se remettre si elle enchaîne un troisième échec. Spielberg souhaite alors tourner La Liste de Schindler (1993), mais on lui impose en conséquence de tourner Jurassic Park en premier, qui a plus de chances de succès au box-office. 


« Don’t you mean extinct ? »

Une production hors du commun


Commence alors la production du film, et notamment, l’étape cruciale du casting. Spielberg souhaite Harrison Ford pour Alan Grant qui refuse finalement le rôle. Jim Carrey passe plusieurs auditions pour celui de Ian Malcolm, mais c’est finalement Jeff Goldblum qui obtient le rôle. Quant à Laura Dern, elle est choisie sur l’insistance de Spielberg qui l’a vue jouer avec David Lynch, après bon nombre de castings de grandes actrices à l’instar de Sandra Bullock, Gwyneth Paltrow, Viviane Moore et même Juliette Binoche. 

Pour les dinosaures, Spielberg fait appel à l’un des plus grands paléontologues d’alors : Jack Horner, dont les travaux sont à l’origine du rapprochement entre les dinosaures et les oiseaux, bouleversant l’idée préconçue des créatures issues de la même lignée que les reptiles. 

Il est ainsi consulté pour les design des animaux et intervient par exemple pour changer les langues de raptors imaginées comme des langues de serpents dans les premières maquettes. Pour rendre vie aux dinosaures, Spielberg engage d’abord Phil Tippett pour la réalisation des créatures à animer en stop motion pour les plans d’ensemble et Stan Winston pour les animatroniques pour les plans avec des acteurs. Alors qu’il se montre assez insatisfait des rendus des scènes en stop motion, les deux animateurs Mark Dippé et Steve Williams lui montrent leur travail autour de la recréation par ordinateur d’une marche d’un tyrannosaure. Encouragés à poursuivre, ils proposent à Spielberg une scène où un t-rex chasse des gallimimus, qui déclare à Phil Tippett “You’re out of a job”. Ce dernier répond “Don’t you mean extinct ?”, échange qui sera intégré au scénario. 

Le tournage démarre en mêlant donc créatures animatroniques et images animées numériquement. Le directeur des effets spéciaux, Michael Lantieri confie ainsi que le plus dur à réaliser était les interactions des dinosaures avec les objets, à commencer par le verre d’eau dans la voiture qui bouge à mesure que le tyrannosaure se rapproche, qui fut finalement mis en scène en mettant une enceinte de son sous le verre d’eau pour la faire trembler. Cette première scène de l’attaque du t-rex fut d’ailleurs sans conteste la plus complexe à réaliser, puisque se déroulant sous la pluie et employant un animatronique électrique. La peau prenait l’eau obligeant les équipes à le sécher entre les prises, et leur créant quelques frayeurs lorsqu’à cause d’infiltrations, l’animal se mettait à bouger tout seul… 


Photogramme du film
Photogramme du film

« Life finds a way »

Le dinosaure passe dans la pop-culture 


Dès le premier weekend suivant la sortie du film le 11 juin 1993, les recettes atteignent 47 millions de dollars, et dépassent 80 millions de dollars au bout d’une semaine. Le film est à l’époque le plus gros succès financier jamais réalisé. Il faut dire qu’Universal a investi 65 millions de dollars dans la promotion du film, créant des jeux vidéos, un roman jeunesse ou encore des jouets. La bande annonce ne dévoile d'ailleurs habilement que très peu les dinosaures, attirant la curiosité du grand public. 

Dans son interview pour Rockyrama, Francis Duranthon (docteur en paléontologie des vertébrés et conservateur en chef et directeur du Muséum de Toulouse) témoigne de l’influence du film sur la fascination du grand public pour les dinosaures :

« [...] le film a réellement modifié l'image que le grand public avait des dinosaures. Les paléontologues avaient déjà un peu commencé à modifier cette image, avec certaines grandes découvertes, mais il faut tout de même se remettre dans le contexte de l'époque. [...] Dans les années quatre-vingt est apparue cette théorie de la météorite tueuse, qui a relancé une certaine fascination pour ces créatures. Jusque dans les années soixante-dix, nous avions une image assez datée des dinosaures. On les voyait comme de grosses créatures un peu lentes, presque des pachydermes. [...] De grosses vaches passives quoi. Quelques années avant la sortie du film, certains paléontologues ont recommencé à travailler sur le côté dynamique de ces animaux. Et les choix opérés dans le film reflètent cette évolution des connaissances et des mentalités. On est passé du laboratoire à l'écran. [...]  Les gens ne connaissaient pas le vélociraptor avant la sortie du film. Ce n'était pas un dinosaure populaire, comme le tricératops par exemple. Le film en fait des créatures mythiques. Quand j'intervenais en conférence, on ne me parlait que d'eux. » 


« Your scientists were so preoccupied with whether or not they could, they didn't stop to think if they should. »

De la fiction à la science : un renouveau pour la paléontologie


Cette fascination du grand public prend ensuite des proportions toutes autres. Comme l’explique Francis Duranthon dans le paragraphe ci-dessus, le film intervient dans un véritable tournant de l’histoire de la paléontologie. Les dinosaures, longtemps délaissés par la communauté scientifique, intéressent des nouvelles générations qui aboutissent rapidement à des théories révolutionnaires.  Jack Horner, qui travaille donc comme conseiller scientifique, raconte en effet que lorsqu’il confia à ses professeurs sa résolution d’étudier les dinosaures, ceux-ci s’étaient moqué de lui en jugeant le sujet peu important. Avant la sortie du film et de l’ouvrage de Crichton, il était complexe de trouver des ouvrages accessibles sur les dinosaures. Puis à partir de 1993, sortent des documentaires, des livres, et les musées d’histoire naturelle constatent une hausse exponentielle des fréquentations de leurs expositions sur le sujet. La communauté scientifique profite de ce renouveau et l’encourage, en réaménageant leurs salles muséales ou en proposant des conférences accompagnées de projections du film.

« Une des meilleures choses qu'ait faites Jurassic Park pour la discipline, ça a été d'instiller, ou d'alimenter cette curiosité intrinsèque qu'éveillent en nous les dinosaures », explique Mary Schweitzer, paléontologue à l'université d'État de Caroline du Nord de Raleigh interviewée dans l’article d’Eva Botkin-Kowacki dans le Courrier International. Et en plus de créer des nouvelles passions pour le monde préhistorique, le film propose également un modèle de carrière lié à cette passion : paléontologue. Comme le souligne Sarah Werning, professeur d’anatomie à l'université de Des Moines dans le même article : « Dans beaucoup de films, soit les scientifiques sont dangereux, soit ils sont dépourvus d'émotion, franchement stériles. Tandis que dans Jurassic Park les paléontologues sont des gens auxquels le public peut s'identifier. » 

Victoria Arbour, post-doctorante, au Musée royal de l'Ontario et à l'université de Toronto ajoute d’ailleurs : « C'était vraiment important que, dans le film, il y ait à la fois un et une paléontologues. [...] Il n'y a rien d'étrange à ce qu'elle [le Dr Sattler] soit une femme et une scientifique. Ils n'en font pas toute une affaire. Elle est simplement là, elle est brillante, et les gens la respectent. »


Petit à petit, ce cercle vertueux entamé par un renouveau dans la paléontologie et lancé véritablement par le film perdure. L’article d’Eva Botkin-Kowacki est un condensé de témoignages de paléontologues pour lesquels le film fut un véritable révélateur de vocation. 

Et qui dit plus de vocations, dit élargissement de la communauté scientifique et donc une avancée plus rapide qu’auparavant. En effet, de 1984 à 1994, on identifiait environ une quinzaine de nouvelles espèces de dinosaures par an. Ce chiffre est désormais plus près des 50 par an, et la tendance ne fait que se confirmer. On parle même d'un âge d'or de la discipline. « Il a fallu une révolution dans l'étude des dinosaures pour inspirer Jurassic Park, et le film en a déclenché une lui aussi », insiste Matthew Carrano, conservateur de Dinosauria, au Musée national d'histoire naturelle de la Smithsonian à Washington. 


La communauté scientifique ne manque pas de remercier le réalisateur. Ainsi, en 2013, la Société de paléontologie des vertébrés décerne une récompense au réalisateur Steven Spielberg en reconnaissance de l'impact de son film sur la discipline.


Photogramme du film représentant Mr DNA.
Photogramme du film représentant Mr DNA.

La filmographie de Steven Spielberg regorge de chefs-d'œuvre et de films événements. Pourtant, le retentissement de Jurassic Park dépasse les seules sphères du cinéma et de l’histoire sociale : il s’est infiltré jusqu’au cœur même de la science et de son historiographie. À l’image de la science-fiction, Spielberg a matérialisé à l’écran un rêve jusque-là impossible, tout en suscitant des vocations et en participant au renouveau d’une discipline alors peu médiatisée et peu glamour : la paléontologie.

Nous pourrions même aller plus loin : la science inspire le cinéma, qui à son tour inspire la science, dans une sorte de jeu de ping-pong créatif et incessant. Ainsi, le personnage de Ross Geller (incarné par David Schwimmer) dans la série Friends — diffusée pour la première fois le 22 septembre 1994 — illustre bien cette nouvelle popularité de la paléontologie auprès d’une jeune génération. L’origine de sa passion pour les dinosaures et la création d’un tel personnage n’est sans doute pas étrangère au succès planétaire du film de Spielberg, sorti un an plus tôt.



NB. Toutes les citations de début de chapitres proviennent du premier film à l’exception de « Yeah. "Ooh, ah," that's how it always starts. But then later there's running and screaming. » issue quant à elle, de The Lost World: Jurassic Park (1997). Elle est cependant prononcée par Ian Malcolm, présent dans les deux films. 


Bibliographie : 

Eva Botkin-Kowacki, « Sciences. "Jurassic Park", un blockbuster qui a révolutionné la paléontologie », Courrier international, 21 juin 2018, https://www.courrierinternational.com/article/sciences-jurassic-park-un-blockbuster-qui-revolutionne-la-paleontologie 

Nicolas Deneschau, Bienvenue à Jurassic Park. La science au cinéma, Toulouse : Third Editions, 2022. 

Don Shay, Jody Duncan, Jurassic Park, Paris : Hors collection, 1993.

Nico Prat, « Jurassic Park : du roman au grand écran », Rockyrama, sans date, http://rockyrama.com/super-stylo-article/jurassic-park-du-roman-au-grand-ecran

Nico Prat, Jurassic Park, Hors-série n°2 Rockyrama, Paris : Ynnis Editions, 2018. 


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