Joyau de l’art gothique méridional, la cathédrale d’Albi a reçu ces derniers jours la visite de la ministre de la culture Roselyne Bachelot. Au même titre que l’ensemble des cathédrales du pays, l’édifice fait l’objet de travaux de sécurisation incendie dans le cadre du plan France Relance, déclenché après le feu de Notre-Dame de Paris survenu en avril 2019. L’occasion de s’attarder sur la genèse et certaines caractéristiques emblématiques de celle qu’on surnomme la “Forteresse de Dieu”.
Sainte-Cécile est une vieille dame. Du haut de ses 740 ans, elle est la doyenne de la cité épiscopale d’Albi. Construite entre 1282 et le début du XVe siècle, la cathédrale a reçu le titre de basilique mineure des mains du Pape Pie XII en 1947. Elle figure à l’inventaire des monuments historiques depuis 1862 et a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2010. Bâtie sur une formation rocheuse qui surplombe le cours du Tarn, Sainte-Cécile étonne à première vue par le parfait dépouillement de son aspect extérieur. On ne peut pleinement saisir la simplicité austère de ses façades qu’à travers l’étude du contexte historique bouillonnant dans lequel elle voit le jour. En effet au début du XIIIe siècle, le Languedoc est en proie à une hérésie : le catharisme. Bien que son existence et ses principes soient remis en cause par l’historiographie contemporaine, le catharisme se définit surtout comme un ensemble de croyances dissidentes du dogme catholique incarné par l'Église romaine. En 1209, celle-ci proclame “la croisade contre les Albigeois”, alors que la région est déjà secouée par les affrontements entre les comtes de Toulouse et leurs vassaux, la dynastie des Trencavel. Au terme de vingt ans de conflit, la guerre s’achève par la signature du traité de Paris en 1229. Toutefois, la lutte contre l’hérésie cathare se poursuit jusqu’au milieu du XIIIe siècle.
Rattaché au domaine royal, le vicomté d’Albi connaît alors une reprise économique fulgurante. Le diocèse d’Albi est ainsi le 25e plus riche, sur un total de 119 autres. Bernard de Castanet, alors évêque du diocèse entré en fonction depuis 1277, ordonne la construction d’une nouvelle cathédrale. Une précédente cathédrale Sainte-Cécile existe pourtant déjà, et vient d’ailleurs tout juste d’être rénovée en 1260. L’édification d’une nouvelle église ne répond donc pas à un manque d’infrastructure, mais résulte bien d’une volonté politique.
Construire la “Forteresse de Dieu” revient donc à imposer le pouvoir de l’Eglise catholique au cœur de la cité épiscopale et du diocèse. L’utilisation de la brique permet non seulement d’avancer les travaux plus rapidement et à moindre coût qu’avec la pierre traditionnellement employée, mais aussi d’afficher un retour à la simplicité des premières pratiques chrétiennes, en accord avec les principes du catharisme encore vivaces dans la région. Longue de 113 mètres, Sainte-Cécile est l’église en briques la plus grande au monde. Plus de 25 millions de rectangles de terre cuite la constituent.
Le choix de l’architecte, Pons Descoyl, de former des contreforts semi cylindriques, conjugué à la verticalité absolue des murs extérieurs de 40 mètres de haut et 2.5 d’épaisseur donne son aspect abrupt à ce véritable vaisseau échoué au coeur de la “ville rouge”.
Pourtant, avec 18 500m2 de murs et de voûtes ornés, Sainte-Cécile est aussi la plus grande cathédrale peinte de tout le Vieux Continent. En effet, la pauvreté de son apparence extérieure n’a d’égal que la richesse de son décor intérieur. Voici une liste non exhaustive de quelques-unes des productions les plus remarquables qui habillent l’édifice.
Le plafond peint situé à 97 mètres du sol, n’a jamais été rénové depuis sa création au début du XVIe siècle en 1509 par des peintres italiens, qui importent alors le style de la Renaissance dans l’édifice. Pourtant, l’éclat du bleu des voûtes est intact, grâce à l’utilisation du carbonate de cuivre, qui supporte aisément le passage du temps, au lieu de l’indigo. Perchés à 30 mètres de hauteur, les artistes ont dû travailler rapidement afin que le “fresco”, l’enduit frais avec lequel ils œuvraient, ne sèche pas. De la feuille d’or a été choisie pour réaliser les parties dorées.
A l’entrée de l’édifice, sous le grand orgue, le visiteur découvre la peinture (ce n’est pas une fresque contrairement à ce qu’on peut lire sur le sujet) du Jugement dernier. Pas moins de 30 ans ont été nécessaires à la fin du XVe siècle afin d’achever les 270 m2 qui y étaient consacrés à l’origine. C’est la plus ancienne et la plus grande représentation de cette scène biblique. Tout comme l’aspect extérieur de la cathédrale, le message envoyé aux disciples du catharisme est limpide. Ceux-ci ne croyaient pas en l’existence de l’Enfer. La scène vise donc à leur rappeler la bonne conduite à adopter pendant leur vie et au-delà, afin qu’ils soient prêts au moment de voir leur âme jugée selon leurs actes et paroles. Des travaux réalisés au XVIIIe siècle afin d’ouvrir l’accès à une chapelle située sous le clocher et utilisée comme chœur ont depuis privé la fresque de sa partie centrale, mais ont permis de sauvegarder le jubé. Le Jugement dernier réalisé par Rogier Van der Weyden aux Hospices de Beaune permet de se figurer à quoi ressemblait l'œuvre dans son intégralité.
A l’instar du plafond peint et de la fresque du Jugement dernier, le jubé de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi est unique. Le jubé est une cloison, souvent en pierre, servant à séparer le chapitre des chanoines des autres fidèles venus assister à l’office. De style gothique flamboyant, la façade de celui d’Albi mesure 18 mètres de longueur pour 8.20 mètres de haut et 7.15 de profondeur sous tribune. Seule une dizaine d’autres a survécu aux destructions commises partout en France lors de la Révolution. La dentelle de pierre qui compose le jubé de la cathédrale est tout à fait remarquable. 87 statues y sont nichées dans sa façade externe. Les traces polychromes qui y persistent sont d’origine. Ce jubé fut pourtant menacé comme tant d’autres à l’heure de la Révolution Française donc. Le Directoire du département du Tarn souhaite l’abattre afin d’effacer toute référence à l’Ancien Régime. Pourtant, la lettre du 5 novembre de 1792 de Jean-François Mariès, ingénieur et architecte urbaniste d’Albi, au ministre de l’Intérieur Jean-Marie Roland de La Platière, sauve le monument.
Espérons désormais que le plan France Relance et ses 80 millions d’euros permette à cet édifice hors-normes de perdurer encore de nombreux siècles dans le temps.
Antoine Bouchet
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