Si, aujourd’hui, la renommée de la ville de Riom est en grande partie éclipsée par sa puissante voisine, Clermont-Ferrand, ceci n’est qu’histoire récente. Séparées par une quinzaine de kilomètres, les deux communes sont depuis de très longs siècles rivales sur le plan de l’hégémonie auvergnate. Quand, depuis la Révolution, Clermont règne sans partage aussi bien en terme de d’institutions, de démographie, et d’attractivité, Riom fut, pendant près de six siècles, la véritable capitale de l’Auvergne. Depuis 1212, et sa conquête par les armées du roi de France, la ville était ainsi l’épicentre du pouvoir politique dans la région, tandis que Clermont reposait dans les mains de l’évêque. En 1225, Alphonse, fils de Louis VIII et frère de saint Louis, reçoit l’Auvergne en apanage, faisant alors de Riom sa capitale, et ancrant ainsi, et pour le temps long, le lieu dans l’histoire. En 1360, lorsque Jean de Berry prend possession de la province, ce statut n’est que renforcé, avec comme point d’orgue la construction d’un vaste palais, nouveau siège du pouvoir ducal en Auvergne. De celui-ci, ne subsiste de nos jours qu’un élément, la Sainte-Chapelle, un véritable joyau architectural.
Le palais de Jean de Berry
Lorsque Jean de Berry reçoit en apanage l’Auvergne, il hérite à Riom d’un château déjà existant, celui du prince Alphonse. Adossé aux remparts qui cerclent la ville, celui-ci est alors constitué d’une vaste tour ronde, le donjon, accompagné de quelques bâtiments à l’aspect défensif prononcé, et d’une petite chapelle prenant place à l’emplacement de la Sainte-Chapelle actuelle. Alphonse n’avait cependant pas souvent résidé dans ce château qui jouait alors un rôle plus symbolique et défensif que véritablement résidentiel. Jean de Berry, lui, a dans l’idée de profondément modifier cet édifice pour en faire une résidence véritable, pourvue de toute la modernité nécessaire à une vie aisée.
Pour cela, il fait appel à l’architecte Guy de Dammartin – qui vient d’achever la restructuration du palais du Louvre pour le frère de Jean, le roi Charles V. Le donjon est conservé (utile notamment comme prison) tout comme quelques bâtiments dont la grande salle adjacent à la chapelle. Néanmoins, Dammartin opère de profondes modifications aux bâtiments existants en ouvrant de large fenêtres et en créant, entre autres, un nouveau corps de logis accueillant les appartements du duc et de son épouse. Dans celui-ci, il ouvre de vastes galeries pour créer des espaces de circulation agréables, et multiplie les cheminées et les ouvertures. Enfin, il couvre le tout par de vastes toits pentus recouverts de tuiles ou d’ardoise (pour la chapelle), dont l’allure est caractéristique des châteaux des Valois comme visibles dans les Très Riches heures du duc de Berry. L’endroit devait alors être un vaste chantier avec des artisans venus de loin. Des études dénombrent ainsi près de trente sculpteurs dont seulement deux sont Auvergnats (un de Volvic, un de Mozac, les autres venant notamment du Berry mais aussi de Bourgogne par exemple).
Enfin, pour l’emplacement de la chapelle d’Alphonse, Guy de Dammartin érige les plans d’un tout nouvel édifice, une sainte chapelle dont les travaux prennent vraisemblablement places entre 1394 (date de début des travaux des fondations) et 1403 (datation dendrochronologique de la charpente, c'est-à-dire à partir de l'âge des pièces de bois). Il en confie cependant la réalisation à son aide Hugues Foucher, qui va mener à bien les travaux.
Une sainte chapelle ?
La transformation de la chapelle d’Alphonse en sainte chapelle n’est pas qu’une question de terminologie. En effet, cette dénomination correspond à un édifice précis qui se distingue d’une simple chapelle selon divers critères, dont les trois plus importants sont les suivants :
L’accueil d’une relique de la Passion, ici un morceau de la Vraie Croix donné par Charles V à Jean de Berry.
La fondation par un descendant de Saint Louis, le commanditaire de la sainte chapelle originelle, celle de l’Île de la Cité à Paris.
Enfin, la reprise de la forme architecturelle de ce dernier édifice.
Selon ces critères, il existait en France une dizaine de saintes chapelles dont seulement sept subsistent. Parmi celles-ci, trois sont en Auvergne : Riom donc, Aigueperse fondée en 1475 par les Bourbon, et Vic-le-Comte fondée en 1505 par Anne d’Auvergne. À celles-ci, il faut ajouter, toujours pour l’Auvergne, celle détruite du château de Bourbon-l’Archambault édifiée en 1315 par Louis 1er de Bourbon.
L’architecture extérieure
De nos jours, la Sainte-Chapelle de Riom est donc l’unique témoignage du palais de Jean de Berry. Ce dernier fut en effet détruit dans les années 1820 pour faire place au palais de Justice, un édifice reprenant l’architecture du palais Farnèse. Lors de la construction de ce nouveau bâtiment, le niveau du sol fut largement abaissé et les fondations de la chapelle mises à jour. De nouvelles pierres de Volvic, à la couleur noire caractéristique, furent alors ajoutées en partie basse pour les renforcer.
Cela explique donc la différence de coloration entre la partie basse et le reste. Du point de vue extérieur, le bâtiment se caractérise par son orientation Nord/Sud et non Ouest/Est (sans doute due à une impossibilité technique liée à la présence de la tour ronde à l’Est) et par ses larges baies qui abondent de lumière l’intérieur. Celles-ci sont séparées par d’épais contreforts qui soutiennent l’édifice et qui sont couronnés de gargouilles de la fin du XIVe siècle figurant des animaux fantastiques. De l’extérieur, il est également possible de remarquer qu’un espace entre deux contreforts, au niveau de la première travée, est comblé. Cela correspond à l’oratoire du duc. De l’autre côté, un espace similaire est occupé par l’oratoire de la duchesse. Enfin, le clocheton qui domine l’édifice date du XIXe siècle. Celui d’origine, bien plus haut, visible sur l’armorial de Revel (moitié du XVe siècle, BNF) avec l’ensemble du château n’existe plus depuis le XVIIIe siècle.
Si aujourd’hui, l’entrée de l’édifice se situe dans le palais de Justice, originellement deux accès existaient. Le premier, utilisé par le duc, correspond géographiquement (à quelques mètres près) à l’entrée actuelle depuis le grand escalier. Le passage se faisait ainsi depuis la Grande salle, un bâtiment constitué d’une salle unique servant d’espace de réunion et de réception pour le duc. Il fallait alors gravir, comme aujourd’hui, quelques marches pour arriver au niveau de l’entrée de l’édifice. Une autre entrée existait aussi depuis l’extérieur (aujourd’hui en intérieur). Elle se situe à l’endroit de la première travée Est. Une lithographie du XIXe siècle figure d’ailleurs cette entrée utilisée par les prêtres pour célébrer l’office quotidiennement. De chaque côté de la porte étaient présentes deux statues (dont il ne reste plus que les niches). Une représentait sans doute saint Louis et l’autre saint Thomas, les deux saints à qui était dédiée la chapelle, en sus de la Vraie Croix.
L’intérieur
Comme à Paris, comme à Vincennes, comme à Aigueperse, et dans toutes les autres saintes chapelles, le plan est le suivant : quatre travées ouvrant sur un chœur en abside. Chaque travée est, comme à Paris, largement éclairée par de vastes baies qui courent sur presque l’entièreté du mur. Comme visible depuis l’extérieur, la dernière travée s’ouvre de chaque côté sur des petites salles, qui correspondent à l’oratoire du duc et de la duchesse, espaces chauffés permettant une certaine intimité aux princes et une très bonne vue sur le chœur. Au niveau de l’entrée, de la première travée Ouest, un petit escalier apparaît. Celui-ci dessert trois niveaux dont un second oratoire pour le duc et surtout la salle du trésor de la chapelle, où était donc placé, entre autres, le fragment de la Vraie Croix.
D’un point de vue stylistique, le style gothique flamboyant, dont l’édifice est l’un des tous premiers exemple, transparaît clairement à l’intérieur. Sa principale caractéristique est ici que les piliers filent d’un seul élan (sans chapiteaux donc) vers les voûtes, soulignant ainsi l’élan vertical de la construction. La jonction des liernes, qui séparent les travées, et la jonction des nervures des voutes sont décorées par des clés où on remarque des décors tels que les armes du duc ou encore une figure de Dieu de père. L’aspect flamboyant apparait également dans le dessin des baies où commence à apparaître un dessin plus fluide, qui évoque, de manière encore relative, la danse des flammes (d’où le nom de flamboyant).
Au XIXe siècle, lors de la construction du palais de justice, la chapelle est profondément modifiée. Un plancher est alors monté, ce qui la coupe en deux de manière verticale. En partie basse, prenait alors place une salle d’audience et en partie haute, la salle des archives. Cette séparation entraîna une conséquence funeste, celle de particulièrement abîmer les vitraux (déjà assez endommagés par le passage du temps, par des orages et les destructions révolutionnaires).
Les vitraux
Ceux-ci date du milieu du XVe siècle et sont le résultat d’une commande passée par Charles 1er de Bourbon, duc d’Auvergne et descendant direct de la fille de Jean de Berry. En 1842, à la suite du classement de l’édifice comme monument historique, un constat d’état est mené par le peintre-verrier Thévenot. S’il s’alarme sur l’état général des baies, il dresse aussi le programme iconographique de celles-ci. Chaque baie était couronnée, au niveau du tympan, d’épisodes de la vie d’un saint ou du Christ (par exemple saint Louis au niveau de l’oratoire du duc), tandis qu’elles accueillaient toutes en partie haute de grandes figures : les apôtres et les prophètes dans des architectures. Les apôtres tenaient des bannières figurant des passages du credo qui répondaient alors aux prophéties tenus par les prophètes dans un véritable dialogue.
La partie basse accueillait, elle, des angelots tenant les armes des Bourbons et de leurs alliés. Enfin, une étude plus récente tend à montrer qu’un autre registre devait existait entre les angelots et les personnages saints. Ce registre intermédiaire, détruit par l’établissement du plancher, figurait peut-être la famille de Bourbon. Enfin, dans le chœur étaient représentés Charles 1er et son épouse en adoration, sans doute de la Vierge. Le programme général était donc d’une grande richesse avec à la fois un sens typologique (c’est-à-dire faisant le lien entre l’Ancien testament et le Nouveau) et une volonté de glorification de la dynastie des Bourbons. Au niveau du style, si l’artiste à l’origine des cartons n’est pas connu, il est légitime de penser qu’il s’agit d’un artiste venu de Moulins ou de Bourges, et sans doute de formation nordique. Ainsi son style évoque les vitraux de la chapelle de Jacques Cœur dans la cathédrale de Bourges et la peintures des maîtres flamands d’alors tel que van der Weyden par le grand sens porté aux détails de la physionomie par exemple.
En 1850, la restauration de la chapelle est décidée, et en 1851 le niveau intermédiaire est supprimé tandis que la chapelle est rendue au culte. En 1853, les travaux de restauration commencent. Thevenot est logiquement choisi pour la restauration des vitraux et fait un choix surprenant, celui de réunir tous les personnages dans les baies du chœur à l’exception de ceux des deux oratoires. Pour parvenir à cela, il superpose donc les personnages sur deux niveaux et complète les architectures pour plus de cohérence. En opérant ainsi, il rompt cependant complétement le dialogue entre les apôtres et les prophètes. De même, il restaure abondamment les vitraux (largement endommagés rappelons-le) et ajoute même des éléments comme la Vierge et le duc en adoration à ses pieds.
Cette grande campagne de restauration s’accompagne également par un remeublement de l’édifice. On fait ainsi construire de vastes stalles néo-gothiques, évoquant le collège de chanoines fondé en 1491 par Pierre de Bourbon et on orne le chœur d’un maître autel en pierre de Volvic. Celui-ci date de 1856 et figure la Trinité au centre et de chaque côté Jean de Berry et son épouse avec leurs saints patrons. Il est l’œuvre pour la forme de l’architecte Mallay, celui qui restaure architecturalement l’édifice, et du peintre Anatole d’Auvergne pour la peinture. Ce dernier était très actif dans la région à la période et a notamment travaillé pour Viollet-le-Duc à la cathédrale de Clermont-Ferrand.
Aujourd’hui, la Sainte-Chapelle n’accueille plus, ou presque, de célébrations religieuses et est avant tout un site patrimonial appartenant au ministère de la Justice. Grâce à un accord avec le Pays d’art et d’Histoire de la communauté d’agglomération Riom Limagne et Volcans, elle se visite néanmoins de manière régulière. C’est ainsi l’occasion de pouvoir admirer l’un des plus beaux éléments du patrimoine auvergnat et l'un des derniers témoignages du riche mécénat de Jean de Berry. Immanquable donc.
Bibliographie :
Bréhier, Louis. Riom, Mozat, Volvic, Tournoel : par Louis Bréhier et G. Desdevises du Dezert. Paris: Henri Laurens, 1932.
Musée Francisque Mandet, Riom : d’après les documents figurés anciens : [exposition], Riom, 9 février-31 mars 1985... Musée Mandet. Riom: Musée Mandet, 1985.
Delmiot Franck et al. Riom : le Palais de Justice et la Sainte-Chapelle, Puy-de-Dôme. Clermont-Ferrand: Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, 1999.
Renaud Bénédicte et al. Riom, une ville à l’oeuvre : enquête sur un centre ancien, XIIIe-XXe siècle. Lyon: Lieux dits éd., 2007.
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