L'histoire de l'empire néo-assyrien s'écrit au Nord de la Mésopotamie, dans l'actuel Irak, de 934 à 610 avant J.-C.. Parmi les lieux les plus emblématiques du premier millénaire avant notre ère, aux côtés de Ninive et de Babylone, la cité exhumée de Khorsabad fait figure de rêve déchu figé dans le temps. Fruit de l'ambition du roi Sargon II, fondée pour devenir la nouvelle capitale de l'empire néo-assyrien, celle qui est aussi appelée Dur-Sharrukin est cependant abandonnée moins de deux ans après son inauguration.
Lorsque la France crée un consulat à Mossoul en 1842, elle établit sans le savoir les prémices de l'assyriologie moderne. Paul-Emile Botta, vice-consul de France à Mossoul, s'élance dès sa nomination à la recherche de la cité perdue de Ninive, dont la Bible atteste l'existence parmi d'autres textes antiques. S'il mène ses fouilles sans le savoir au bon endroit, sur le site du tell de Kuyunjik, il décide cependant en 1843 d'aller chercher ailleurs, laissant le champ libre aux équipes britanniques qui mettent à jour Ninive en 1855. Paul-Emile Botta fait alors une découverte fondamentale pour l'étude de la civilisation néo-assyrienne : celle du site de Khorsabad. Pensant de prime abord avoir trouvé Ninive, le consul fait documenter l'étonnante richesse de ses découvertes par le peintre orientaliste Eugène Flandin. Les fouilles se poursuivent jusqu'en 1844 et Paul-Emile Botta organise l'envoi de quelques œuvres à Paris, découpant les plus imposantes en cinq à six tronçons pour en faciliter le transport. Leur arrivée entraîne en 1847 l'inauguration par Louis Philippe d'Orléans du musée assyrien, proto-département des antiquités orientales du Louvre. Les avancées de l'assyriologie poussent le successeur de Paul-Emile Botta, Victor Place, nommé consul de Mossoul en 1851, à s'intéresser lui aussi à Khorsabad, dont il découvre de nombreuses salles et cours. Lui aussi organise des envois, mais décide de garder les œuvres en un seul bloc. Ses convois connaissent une histoire tragique : les bateaux sont coulés dans le Shatt el-Arab, emportant avec eux des pièces uniques. Au final, seule une infime partie de la cargaison arrive à bon port.
Premier de la dynastie des sargonides, Sargon II succède à Salmanazar V en 721 avant notre ère. S'il revendique sa filiation avec Téglath-Phalasar III, père et prédécesseur de Salmanazar V, son ascension contestée laisse cependant des doutes quant à la véracité de ces affirmations. Cela n'empêche pas Sargon II de régner avec discernement, étendant en peu de temps l'influence de l'empire par la force et la diplomatie. Peut-être pour affirmer la légitimité d'une dynastie naissante, Sargon II décide de créer une nouvelle capitale ex-nihilo à laquelle il donne son nom : Dur-Sharrukin. Les travaux débutent en 717 avant notre ère, à proximité du Khosr, un affluent du Tigre. Le roi les suit de près, tenant à faire respecter un calendrier rigoureux, puisant dans les richesses de l'empire pour financer l'immense chantier. En effet, si l'argile et la pierre s'y trouvent en abondance, les matières premières manquent dans le Nord de la Mésopotamie, entraînant l'établissement d'un dispositif complexe d'importation depuis les provinces. Le Louvre conserve quatre orthostates monumentaux qui décrivent l'acheminement du bois depuis les côtes du Liban. Des bateaux en bas-relief évoluent au sein d'un écosystème où le réalisme se mêle au fabuleux, les poissons et tortues côtoyant des lamassus et autres taureaux ailés. Lorsque Sargon II s'empare en 714 avant notre ère de la ville sainte de Musasir, couronnant de succès la campagne militaire de l'Urartu, il finance à l'aide des pillages une partie importante des travaux.
La ville est finalement inaugurée en 707 avant notre ère, mais une campagne militaire dans le royaume de Tabal entraîne la mort de Sargon II dans les monts Taurus en 705, laissant l'œuvre de sa vie définitivement inachevée. Son corps n'est jamais retrouvé, ne permettant pas d'organiser ses funérailles, ce qui est interprété comme une malédiction par son fils et successeur Sennacherib qui décide dès lors d'abandonner la ville de son père pour déplacer la capitale à Ninive.
Composée d'une immense enceinte de 1750 par 1650 mètres, Dur-Sharrukin possède le palais le plus fastueux de tout l'empire néo-assyrien. La citadelle, à cheval sur le rempart, est composée du palais principal bâti sur une terrasse jouxtée par quatre demeures plus petites dont la vocation était probablement de loger des dignitaires. L'une de ces résidences est en effet attribuée à Sinahusur, frère et grand vizir de Sargon II. L'importance de la vie de cour se retrouve dans les bas reliefs du palais. Provenant de la façade L et conservé au musée du Louvre, l'un de ces reliefs représente Sargon II, reconnaissable à sa coiffe tronconique, faisant face à un dignitaire, vraisemblablement son fils Sennachérib. Répondant à la tradition palatiale néo-assyrienne, le palais est séparé en deux parties : le secteur public ou babanu, comprenant les espaces officiels jusqu'à la salle du trône, à partir de laquelle se déploie le secteur privé ou bitanu, qui abrite les appartements royaux.
Le secteur des temples, accessible seulement depuis la cour principale, est desservi par une unique porte. Cette particularité a entraîné une méprise de la part de Victor Place, qui a assimilé cet espace à un harem. Les fouilles américaines menées par l'Art Institute of Chicago dans les années 1930 y ont identifié les temples de six dieux : Adad, Ea, Ningal, Ninurta, Shamash et Sin. Situé sur une plateforme au Sud de la terrasse palatiale, le plus grand temple de la citadelle est quant à lui dédié à Nabû, dieu de l'écriture particulièrement vénéré par les souverains néo-assyriens.
Parmi les trésors de la collection néo-assyrienne au Louvre, les lamassus font partie des pièces les plus monumentales. Hauts de quatre mètres, ces taureaux ailés androcéphales vont généralement par paires, de part et d'autre d'une voûte qu'ils contribuent à soutenir. Ils portent une coiffe tronconique surmontée de deux à trois rangées de cornes, signe du divin en Mésopotamie. Leurs cinq pattes leurs donnent des attitudes variables selon le point de vue du spectateur : s'ils sont immobiles de face, ils adoptent une fois regardés de côté une attitude dynamique de marche. Une variante du lamassu, attestée par un exemplaire retrouvé à Nimrud et conservé au MET Museum, remplace son corps de taureau par celui d'un lion, ce qui pourrait avoir inspiré à Ezéchiel les quatre figures de son tétramorphe. Gardiens, protecteurs, ils font partie de ces êtres surnaturels qui jalonnent les murs de Dur-Sharrukin. A leurs côtés, évoquant Gilgamesh, roi mythique d'Uruk et héros de l'épopée éponyme, un géant aux avants bras musculeux étrangle un lion, minuscule en comparaison, symbolisant par ce geste la victoire du héros civilisateur face à la nature chaotique. S'il est commun en Mésopotamie au premier millénaire avant notre ère, l'animal disparaît d'Irak au XIXe siècle. La maîtrise de la nature sauvage par la conception de jardins ou la chasse renvoient à de grands thèmes néo-assyriens, qui trouvent leur point culminant dans les parties de chasse organisées au sein de ces mêmes jardins.
Merveille éphémère, Dur Sharrukin est le résultat de l'un des plus grands chantiers du premier millénaire avant notre ère. Au sein du département des Antiquités orientales du musée du Louvre, les vestiges de Khorsabad remplissent une double fonction, à la fois fondation et fleuron des collections néo-assyriennes.
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