On peut écrire, presque sans exagérer, que son ombre fit trembler les souverains d’Europe au début du XIXe siècle. De la même manière, on peut écrire que sa silhouette est reconnaissable entre mille. Napoléon Ier (1769-1821) et son bicorne sont indissociables, mais pourquoi un homme si puissant a-t-il choisi un couvre-chef si sobre ?
Dès 1793, lors du siège de Toulon, le jeune capitaine Bonaparte prend l'habitude de porter son bicorne en bataille (parallèle aux épaules) et non en colonne (perpendiculaire aux épaules) comme le faisaient alors beaucoup d'officiers. Le fait-il pour se distinguer visuellement? Probablement pas car il est loin d'être le seul, mais les peintres du XIXe et du XXe, à l'instar d'Edouard Detaille, se plaisent à mettre en avant chez le Bonaparte des années 1793-1798 ce qui deviendra la silhouette mythique de Napoléon empereur.
Pour Napoléon tout est politique et raisonné, et en premier lieu, l’apparence.
En 1799, il gouverne la France après son coup d'Etat de Brumaire. Le Premier Consul, qui devient Empereur en 1804, ne cesse de porter un chapeau à l’apparence la plus simple et sobre qui soit. Ces bicornes, tous commandés chez Poupard, chapelier au Palais-Egalité (actuel Palais-Royal) sont en réalité de vraies pièces de luxe. Il faut compter une soixantaine de francs l’exemplaire à une époque où le salaire quotidien d’un ouvrier est compris entre 1 et 2 francs.
Si leur modèle évolue un peu entre le Consulat et l’Empire, les 150 chapeaux livrés par Poupard dans cette période restent cependant sensiblement identiques. Ils sont en feutre de la meilleure des qualités, fait de castor français, et l’intérieur est en satin. Napoléon le portait avec une simple cocarde glissée dans une ganse. Son valet de chambre Constant ayant un tour de tête identique au sien, l’empereur lui faisait porter ses chapeaux neufs pour les casser. Poupard se qualifie lui-même comme le « chapelier, costumier et passementier de l’Empereur et des princes ». La maison Poupard et Delaunay existe toujours aujourd'hui, tirant encore du prestige de son glorieux client.
Coiffé de son bicorne, revêtu de sa redingote, l’empereur a encore trouvé le moyen de se distinguer. Sa simplicité tranche avec la richesse des plumasseries de son état-major chamarré. Le personnage est immédiatement reconnaissable, dans toute l’Europe, même pour ceux ne l’ayant jamais vu. Et c’est bien sa volonté. Le tableau de Horace Vernet montre bien la dichotomie entre la richesse de la tenue de Murat, de dos à gauche, et la sobriété de celle de l'empereur.
Bien entendu, cette apparence ne manque pas d’être moquée. Par les Anglais en premier lieu. Leurs journaux s’en donnent à cœur joie pour exagérer l’accessoire volumineux et son propriétaire gringalet. Si les Anglais s’en moquent, c'est sans doute que Napoléon a réussi à en faire un symbole.
Ce chapeau est encore aujourd'hui l'objet de plus associé à l'empereur, il en reste 19 authentifiés, dont sept sont conservés au musée de l'Armée en l'hôtel des Invalides. En 2014, l'un d'eux a été acquis par un Sud-Coréen pour 1.880 millions d'euros, preuve que l'objet est bien plus qu'un simple couvre-chef : tout un symbole!
Paul Palayer
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