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"Le père du street-art", Gérard Zlotykamien à la galerie Mathgoth

Avec la mort de Miss.Tic le 22 mai dernier, c’est l’une des grandes figures de l’art urbain français qui s’en est allée. Active depuis les années 1980, elle fut une pionnière dans un genre alors naissant et largement dominé par les hommes. Son Œuvre profondément engagé, mettant le plus souvent en scène des femmes fatales déjouant les stéréotypes, a contribué à « poétiser nos rues » comme l’a écrit avec justesse Rima Abdul Malak, la nouvelle ministre de la culture. Bien que salué de toute part à sa mort, le travail de l’artiste parisienne n’a, néanmoins, jamais suffisamment été mis en valeur de son vivant, elle qui ne fut jamais décorée ni exposée de manière individuelle en musée. Comme le regrette son condisciple C215, l’art urbain a été, pendant une longue période, largement déconsidéré en France. Si les choses ont tendance à changer aujourd’hui (en témoigne l’entrée d’Ernest Pignon-Ernest à l’Académie des Beaux-Arts), le Centre Pompidou, tout comme le musée d’art moderne de la ville de Paris, ne conservent toujours aucune œuvre de ce genre artistique. La France est pourtant particulièrement bien représentée à l’échelle internationale avec des artistes majeurs comme J.R. ou Invader. Si la presse et le grand public suivent avec attention cette scène, le retard institutionnel reste ainsi particulièrement problématique. A Paris, seules la rue et l’initiative privée que constitue Fluctuart (article paru sur Coupe-File Art) permettent de voir de manière permanente de l’art urbain. Heureusement, les galeries se sont également emparées de ce courant, et cela depuis de nombreuses années, en organisant des expositions monographiques sur ces artistes délaissés. C’est notamment le cas de la galerie spécialisée Mathgoth dans le 13e arrondissement parisien qui consacre, depuis le 4 juin, et ce jusqu’au 9 juillet, une exposition à l’un des pères du genre, Gerard Zlotykamien.


Fresque Ronde Macabre exposée à la troisième Biennale de Paris, septembre 1963, © Galerie Mathgoth

Celui qui est surnommé affectueusement « Zloty » est né en avril 1940, ce qui, comme il l’indique dans sa biographie parue en début d'année, « n’est pas terrible pour un Juif ». Son enfance est en conséquence ponctuée d’incertitudes et de détentions successives. Après la guerre, il retrouve ses parents - qui ont miraculeusement survécu à l’internement -, mais, sans doute traumatisé par les événements passés, demeure un enfant puis un adolescent particulièrement turbulant. C’est finalement le judo, où il a comme professeur un certain Yves Klein, puis l’art, qui donnent un sens nouveau à sa vie. Employé le jour chez un marchand de meuble, il suit, le soir, les cours de Jean Prouvé au CNAM et fréquente l’atelier de l’argentin Carlos Cairoli. Ses premières œuvres, réalisées avant même ses dix-huit ans, sont exposées à la galerie Cimaise en 1958 et comparées par un critique aux œuvres de Monet et Boudin. S’il s’agit en effet de paysages, le rapport avec ces maîtres du passé est très léger, voire inexistant chez Zlotykamien. Il abandonne d’ailleurs très rapidement ce genre artistique et se met à utiliser un outil inédit : la poire à lavement. Avec celle-ci, il projette la peinture sur les feuilles de papier ou à même le sol. C’est ainsi que pour la Biennale de 1963, il réalise en plein cœur du musée d’art moderne de Paris une Ronde macabre, dans ce qui s’apparente à une performance inspirée de celles de son ancien professeur de judo. La toile est constituée d’un enchevêtrement de personnages aux visages ronds, désincarnés, faisant sans doute échos aux victimes d’une guerre encore dans toutes les mémoires. Achetée par l’Etat, l’œuvre est pourtant victime, de manière indirecte, de la censure. Faisant partie d’une plus vaste installation sur le thème de l’abattoir où étaient aussi exposés un portrait de Franco et un autre de Salazar aux côtés de ceux d’Hitler et de Mussolini -les deux premiers étant encore au pouvoir-, cela fit scandale dans cette exposition à volonté internationale. Zloty ne put se résoudre a accepter la censure et pris la décision drastique de quitter le monde institutionnel pour se consacrer à un terrain de liberté : la rue.


C’est ainsi que dès la fin des années 1960 l’artiste se met à orner les murs d’Argenteuil, où il réside avec son épouse, de ses Ephémères, ces personnages déjà présents dans la Ronde macabre qui deviennent son topos. Ceux-ci apparaissent ensuite à Paris, avenue de la Grande Armée, place de la Concorde, place Vendôme, etc. puis partout où l’artiste se rend. C’est parallèlement à son métier de vendeur aux galeries Lafayette que Gérard Zlotykamien peint, à la poire à lavement puis à la bombe, ses compositions près de dix années avant que Keith Haring ne réalise ses premiers Subway drawings à New York. Véritable pionnier, il signe celles-ci par son nom complet « Zlotykamien », les pseudonymes n’étaient alors pas courants pour les artistes. Régulièrement arrêtés pour ses actes, il profite de l’indulgence de la police avant que celle-ci ne se mette en guerre contre les graffeurs dans les décennies suivantes. En 1975 (ou 1976), il fait la rencontre du galeriste Charley Chevalier qui deviendra son représentant. Chez lui, il multiplie les expositions expérimentales dont Effacements en 1977 où l’artiste efface ses œuvres par une couche de peinture noire le jour du vernissage.


Ephémères, Johannesbourg, 1996, photographie de Christoph Maisenbacher, © Galerie Mathgoth

Les années 1980 marquent une période difficile pour l’artiste, avec notamment deux procès à son encontre pour des faits de « dégradation ». C’est toutefois pendant cette période, en 1981 précisément, qu’il réalise une des séries présentées dans l’exposition de la galerie Mathgoth. Dans le cadre de l’exposition Midi et Demi, l’artiste organise une performance (bien qu'il n'aime pas le mot) : réaliser 500 dessins en vingt-quatre heures. L’imaginaire constamment mis à contribution, le résultat est un ensemble où l’artiste marque en quelques coups de pinceaux et de bombes savamment disposés toute la force symbolique et esthétique de son travail. Jouant sur le mariage des couleurs et des techniques, Zloty rend chaque feuille unique et l'ensemble, bien que cohérent, ne cesse donc de se renouveler. C’est aussi la période où émerge une nouvelle génération d’artistes dont font partie Miss.Tic mais aussi Blek le Rat et Jef Aérosol et qui se place dans l’héritage de Zlotykamien sans que celui-ci en soit véritablement conscient.


Gérard Zlotykamien, Ephémère #361, 1981, © Galerie Mathgoth

La décennie suivante est une période de grand changement pour le monde avec notamment la chute de l’U.R.S.S. ou encore la fin de l’Apartheid. Ces évolutions, Zloty les accompagne avec ses Ephémères en créant, partout où il y a eu de la souffrance, mais aussi de la vie, de sortes de mémoriaux. C’est le cas en Allemagne après la destruction du mur de Berlin, et à Johannesburg en 1996. Dans le même temps, l’artiste s’installe en Ardèche où il continue à développer son art en marge du système et de la société. Il peint par exemple les objets jetés à la déchetterie de Barjac avec ses Ephémères.


Gérard Zlotykamien devant sa fresque à Argenteuil © Galerie Mathgoth

L’émergence dans les années 2000 de la deuxième génération d’artistes urbains, celle d’Invader ou de C215, est bénéfique à Zloty comme à l’ensemble de la communauté de ceux qu’on désigne dorénavant sous le nom de street-artistes. Ceux-ci sont valorisés et notre pionnier voit sa figure émerger de nouveau aux yeux du public. En 2009, il participe à l’exposition Né dans la rue – Graffiti à la Fondation Cartier et réalise deux fresques monumentales à la demande de ses galeristes (Mathilde et Gauthier Jourdain) qui sont venues marquer définitivement le paysage parisien et d'Île-de-France. La première prend place depuis 2019 rue du Dessous-des-Berges et la seconde orne naturellement un mur d’Argenteuil, sa ville.


J’ai toujours pensé que Gérard Zlotykamien était un artiste largement sous-estimé. Véritable précurseur en matière d’art urbain, il a commencé à peindre ses Éphémères dans l’espace public dès 1963, soit des années avant l’apparition des premiers graffitis aux États-Unis ou des interventions de Keith Haring ou SAMO. Les photos où on le voit peindre dans le Paris des années 1960 et 1970, costume trois-pièces et bombe à la main, sont fantastiques.
Invader (citation tirée de Stéphanie Lemoine (sous la dir. de Mathilde et Gautier Jourdain), Gérard Zlotykamien, Liénart, Paris, 2022. )

Trois toiles de 2022 par Gérard Zlotykamien © Galerie Mathgoth

A quatre-vingt-deux-ans, l’artiste n’a donc rien perdu de son inventivité et demeure toujours actif. L’autre série présentée dans l’exposition de la galerie Mathgoth en est le témoin par des toiles où l'artiste joue avec l'effacement, l'éphèmere, en occultant certaines parties à la peinture blanche ou en remplaçant la couleur par des incisions dans la préparation blanche. Néanmoins, ces oeuvres demeurent imprégnées de vie avec les figures des Ephémères qui côtoient des taches colorées - qui ne sont pas sans évoquer le travail de Joan Miro - créant de puissants contrastes esthétiques. Loin d’être immobile, l’art de Zlotykamien, témoin d’un passé, celui des pionniers, reste donc fondamentalement vivant, en perpétuelle évolution tout en restant fidèle à son idéal. Cela aboutit donc à une exposition à même de charmer les nouvelles générations d’amateurs comme les plus anciennes. A découvrir jusqu’au 9 juillet.


Pour compléter la visite, nous ne pouvons que recommander la lecture de la biographie parue en début d'année aux éditions Liénart et rédigée par Stéphanie Lemoine (sous la direction de Mathilde et Gautier Jourdain).

Antoine Lavastre


 

Gérard ZLOTYKAMIEN ⋅ Éphémères

Galerie Mathgoth

du 4 juin au 9 juillet 2022

Du mercredi au samedi de 14 à 19 heures

Entrée gratuite

34, rue Hélène Brion - Paris 13


Bibliographie :


"C215 : "Miss.Tic est partie sans une reconnaissance suffisante de son oeuvre"", France Culture, 23 mai 2022, consulté en ligne le 23 mai 2022 :


Stéphanie Lemoine (sous la dir. de Mathilde et Gautier Jourdain), Gérard Zlotykamien, Liénart, Paris, 2022.


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