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Marriage A-la-Mode, un cycle satirique au siècle des Lumières (1/2)




La libre pensée devient l'une des notions essentielles qui guident les productions culturelles du XVIIIe siècle. L’époque exigeant désormais des despotes qu’ils soient éclairés, le monde des idées connaît un essor considérable. Dans ce contexte, les hommes de lettres et les artistes n’hésitent pas à dénoncer les travers des sociétés de leurs temps. Il faut dire qu’en matière de satire sociale, certains avaient montré la voie dès le XVIIe siècle. On pensera à Molière et son Tartufe, mais on peut évoquer également la figure de John Dryden en Angleterre qui donne en 1673 la première représentation de sa pièce intitulée Marriage A-la-Mode. C’est vraisemblablement en référence à cette œuvre que William Hogarth nomme son cycle de peintures qu’il réalise entre 1743 et 1745. A travers ces six toiles, l’artiste s’en prend aux basses moralités qui accompagnent les mariages arrangés, thème central de son récit. Il moque également au passage la fascination des Anglais de la bonne société pour le goût français et la cupidité de la noblesse désargentée prête à tout, y compris à vendre ses titres pour un peu d’argent.


1 – Le Contrat de mariage


William Hogarth (1697-1764), Le Contrat de mariage, 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Ce n’est pas uniquement pour la référence littéraire que William Hogarth reprend le titre d’une pièce de théâtre. Ce cycle est en effet une véritable comédie que nous donne à voir le peintre. Seuls les dialogues sont manquants, mais ils ne sont pas nécessaires car chaque élément de ces compositions est travaillé avec soin et apporte une narrativité en même temps qu’elle dépeint les personnalités des protagonistes.


William Hogarth (1697-1764), Le Contrat de mariage (détail), 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Le rideau s’ouvre sur un grand salon où se trouvent attablés un marchand fortuné et le comte Squanderfield. Celui-ci montre du doigt un arbre généalogique tandis que son interlocuteur lui a présenté sur la table une grande bourse pleine d’or. Dans la main du marchand se trouve un contrat de mariage. On comprend aisément la « transaction » que sont en train de conclure les deux personnages et pourquoi ceux-ci y trouvent beaucoup d’intérêt : le marchand cherche à associer sa fortune et sa famille à un titre de noblesse. Il observe ostensiblement l’arbre généalogique prenant ses racines dans le corps même du duc de Normandie et roi d’Angleterre, Guillaume le Conquérant. Le comte est quant à lui très intéressé par l’argent. Il semble que sa fortune s’amenuise et qu’il doive renflouer ses caisses. Les soirées mondaines lui coûtent cher et lui valent d’être goutteux, comme l’indique son pied entouré de bandages au premier plan. Il n’a également plus d’argent pour achever sa nouvelle demeure au goût architectural pour le moins hétéroclite dont nous voyons le chantier à l’arrêt par la fenêtre.


Reste à présent à trouver les deux futurs mariés. Ceux-ci se trouvent tout à gauche de la scène. Assise dans un fauteuil, la fille du marchand semble déjà peu enchantée à l’idée du mariage en négociation. A sa droite, le vicomte est assis devant un miroir et semble rêveur. A quoi pense-t-il ? Sans doute pas à sa future épouse à qui il tourne allègrement le dos. Il ne remarque d’ailleurs pas le personnage de Silvertongue, le notaire, qui fait la cour à sa dame d’un air des plus obséquieux. Rien ne semble de bon augure pour l’avenir de ce couple inventé de toutes pièces.

Enfin, les deux chiens qui semblent bien malheureux au premier plan, enchaînés l’un à l’autre, ne laissent pas plus de doutes sur la qualité de cette union que la branche tombante de l’arbre généalogique atteinte d’une maladie… Les tableaux accrochés aux murs, quant à eux, ne représentent que des scènes de souffrances et de funestes destins. Outre une tête de Gorgone Méduse, on peut également distinguer un martyr de saint Laurent sur le gril, peut-être Caïn tuant son frère Abel, ou encore une Judith, le sabre à la main, présentant la tête d’Holopherne. Autant de thèmes annonciateurs de malheurs alarmants et que le gigantesque portrait du comte regarde avec dédain, sans s’en inquiéter.


2 – Le Petit déjeuner


William Hogarth (1697-1764), Le Petit déjeuner, 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Le deuxième acte s’ouvre au petit matin, dans les salons du vicomte et de la vicomtesse mariés l’un à l’autre depuis quelques temps. Il règne un certain désordre dans la pièce et la maîtresse de maison s’étire assise auprès d’une table. C’est là l’occasion pour le spectateur de s’intéresser aux mœurs de ce couple qui n’en est pas un.


William Hogarth (1697-1764), Le Petit déjeuner (détail), 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Si l’on comprend que la nuit a été courte dans cette demeure, ce n’est peut-être pas pour les raisons que l’on pense. En apparence, la vicomtesse qui adresse un sourire triomphant à son mari, a passé la nuit à jouer aux cartes comme semble l’indiquer le livret des règles du whist, l’ancêtre du bridge, au pied de la table. Pourtant, il n’en est rien : tout à la gauche de cette composition se trouve un étui ouvert duquel apparaît un violon. S’il y a peut-être eu de la musique la veille au soir, celui-ci comporte cependant une autre signification. En anglais le violon peut se dire fiddle. Ce terme est polysémique et peut aussi désigner familièrement une magouille, une cachotterie. Cette idée est également défendue par le tableau au sujet certainement licencieux caché par un rideau à côté de trois peintures religieuses dans l’arrière-plan. Tous ces indices mènent à penser que la vicomtesse cache quelque chose de sulfureux à son mari.


Celui-ci se trouve d’ailleurs à droite de la scène. Il est avachi sur une chaise, le regard dans le vide, sa tenue de ville est défaite. Il a l’air lui aussi exténué mais il ignore tout des activités de sa femme puisqu’il vient vraisemblablement de rentrer. Il a passé une nuit de débauche. Le petit chien renifle un bonnet de femme qui sort de la poche de son maître. Son épée gît brisée sur le sol à ses pieds. Faut-il y voir la marque de l’impuissance du vicomte ?

Signe que tout part à vau-l’eau dans cette maison qui se laisse vivre, l’intendant se tenant à gauche, transporte dans ses mains et ses poches de nombreuses factures et semble prier le ciel pour que toutes ces frasques, qui mettent la demeure en péril cessent…


3 – Chez le charlatan


William Hogarth (1697-1764), Chez le charlatan, 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Il n’y a sans doute pas besoin de préciser qu’Hogarth n’apprécie pas plus la francophilie de ses contemporains que les faux médecins. Le peintre y consacre ici une toile dans laquelle le vicomte se rend chez un Français qui s’autoproclame docteur. Celui-ci se nomme même monsieur de la Pillule, également heureux inventeur d’une machine permettant de remettre les épaules en place et d’un tire-bouchon, comme nous l’enseigne le livre ouvert à droite de l’image. Le cabinet rassemble bien des curiosités qui nous invitent encore à douter de la profession du commerçant. On trouve pêle-mêle un crocodile, une corne de narval (que monsieur de la Pillule ne doit pas avoir de peine à présenter comme une corne de licorne), un tas de briques, un énorme os de dinosaure, etc.

William Hogarth (1697-1764), Chez le charlatan (détail), 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Le vicomte se tient assis au centre de la pièce, il est accompagné par une femme et sa fille qui ne doivent pas faire partie de la bonne société au regard de leurs habits non conformes à ceux que l’on portait alors à la cour. La mère de cette enfant est sans nul doute une courtisane que fréquente assidûment le vicomte. On note également que la petite fille, qui tient une boîte de pilules dans ses mains, se trouve entre les jambes de ce dernier, sans doute un indice pour indiquer qu’il s’agit de son père.


Celui-ci brandit sa canne en tendant au « médecin », tout à gauche, une seconde boîte de pilules. Il semble protester contre l’inefficacité du remède qu’il leur a fourni contre la syphilis. En effet, le lecteur l’aura peut-être remarqué, le mari volage possède depuis le début un gros bouton noir dans le cou sur toutes les scènes le représentant. La courtisane en possède un également sur le front. C’est le signe de cette maladie que les Anglais qualifiaient alors de « mal français » dont nos personnages sont atteints. Le crâne posé sur la table derrière le médecin semble indiquer l’incapacité du charlatan à soigner efficacement la maladie.

William Hogarth (1697-1764), Chez le charlatan (détail), 1743-1745, huile sur toile, National Gallery, Londres

Arrivé à ce stade du récit, Hogarth semble vouloir nous indiquer qu’une fin heureuse est plus qu’incertaine. L’artiste nous réserve cependant encore quelques coups de théâtre qui mettront en lumière les fautes commises également par la vicomtesse incitée à se plonger dans la décadence par son père et ce mariage non désiré. Nous voyons là l’intention de l’auteur de se faire moraliste auprès des gens de son temps. William Hogarth n’avait pas pour ambition que son œuvre reste confidentielle. C’est pourquoi celui qui était déjà l’auteur de deux autres cycles dénonçant les vices de ses concitoyens en 1732 et 1735 avait prévu d’en réaliser de nombreux tirages en gravure. Hogarth a donc peint volontairement ses compositions à l’envers par rapport aux scènes qu’il voulait obtenir afin de diminuer le coût de production. Pour les épreuves, Hogarth fait appel à trois graveurs réputés de Londres, tous trois sont de nationalité… française !


 

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