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Anno 1498 : la Crucifixion de Vénasque


Si le village de Vénasque, dans le Vaucluse, est célèbre pour son baptistère d’époque mérovingienne, il l’est aussi pour un triptyque peint de la fin du XVe siècle, aujourd'hui conservé au musée du Petit Palais d'Avignon. Une œuvre sensiblement contemporaine de cet ensemble est toujours conservée dans l'église Notre-Dame du village : une Crucifixion peinte, datée de 1498, panneau de l'Ecole d'Avignon qui fascina notamment le musée du Louvre lors de sa redécouverte au début des années 1930 et à propos duquel la littérature ne foisonne pas.


Anonyme, Crucifixion dite de Vénasque, 1498. Détail. Vénasque, église Notre-Dame / ©NB


1498

Le contexte exact de création de cette Crucifixion reste aujourd'hui encore inconnu. Seule la date de 1498, apposée sur le cadre d’époque, permet d’établir quelques hypothèses. En premier lieu, une tradition locale avance que l’oeuvre fut commandée par Elzéar de Thézan, coseigneur de Vénasque et seigneur de Castanet, époux de Siffrede. C'est ce même chevalier de Thézan - accompagné de Claude Julian - qui commande pour 40 florins, le 2 janvier 1498, à l'orfèvre Bonnet Bérard, une croix d'orfèvrerie présentant sur une face le Christ en croix ainsi que les quatre évangélistes et sur l'autre une Vierge à l'Enfant entourée des saints Siffrein, Antoine et Jean. Peut-être cette objet est-il lié au panneau peint. Michel Legros, en 2018, a vu dans cette commande la possible action d’Elzéar de Thézan en tant qu’exécuteur testamentaire de son épouse, en vertu des legs effectués à l’église paroissiale dans son testament. La croix est aujourd’hui toujours conservée dans l’édifice.

Une seconde hypothèse, se fondant sur la présence d'un donateur chartreux présenté par saint Hugues, rapproche la Crucifixion du prieuré Saint-Maurice-sous-Vénasque, rattaché à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon en 1536. Celle-ci est appuyée par la présence de saint Siffrein à droite, évêque de Vénasque puis de Carpentras mort en 540.


Anonyme, Crucifixion dite de Vénasque, 1498. Détails. Vénasque, église Notre-Dame / ©NB



Considérations stylistiques


D'un point de vue stylistique, plusieurs aspects sont à évoquer. Il y a d’abord, et cela a été souligné par Dominique Thiébaut en 1983, une tradition assez dure héritée de Nicolas Froment qui ici se pare de spécificités proprement locales. On relève les ombres exacerbées, les personnages cernés de noir, les tonalités contrariées et les drapés bouillonnants.

L’ensemble recèle d’autre part des éléments plutôt nordiques, comme les visages caricaturaux des soldats, le pathos ambiant et la physionomie des larrons. La représentation torturée de ces derniers nous évoque notamment le Calvaire de l'église Notre-Dame de Dijon, vaste peinture murale sans doute réalisée une trentaine voire une quarantaine d'années avant ce tableau et héritière par bien des aspects de l'art de Rogier van der Weyden, mais aussi de Dirk Bouts. Le caractère très sculptural et l'élongation des corps, l'expression exacerbée de la douleur et un traitement assez proche du vêtement porté par les deux malheureux sont notables. Pour le reste, le tableau de Vénasque se détache par une représentation beaucoup plus torturée et son dessin lourd.


Anonyme, Crucifixion dite de Vénasque, 1498. Détails : les deux larrons. Vénaque, église Notre-Dame / ©NB

Anonyme, Cruxifixion, vers 1460-1470. Détail : un larron. Dijon, église Notre-Dame ©NB


Michel Laclotte, en 1983, proposa de rapprocher le tableau de la Vierge et l’Enfant entre deux saints et deux donateurs du musée du Petit Palais d’Avignon (PP 04), datable vers 1500. L’historien de l’art y voyait la même main tandis que Sterling voyait dans la Madeleine agenouillée au centre du tableau un souvenir de la Madeleine du Noli me tangere du Triptyque de l’Annonciation d’Aix, réalisé par Barthélémy d'Eyck vers 1443-1445. Concernant l’hypothèque de Michel Laclotte, nous pouvons évoquer la proximité des visages de la Vierge sur les deux oeuvres, mais aussi le dessin très similaire dans la représentation des donateurs chartreux. Mais la Crucifixion de Vénasque accuse, une fois de plus, un dessin plus dur et une construction moins précise. Dominique Thiébaut évoque la possibilité d’un même atelier plutôt que d’un même artiste.



Redécouverte et convoitise


L’œuvre est au XVIIe siècle décrochée et stockée dans la tribune de l’église. En 1933, le chanoine Joseph Sautel, promoteur des fouilles archéologiques de Vaison-la-Romaine, fait nettoyer le tableau avant de l’envoyer au Louvre. Les ateliers du musée parisien restaurent la couche picturale mais aussi le cadre. Le tableau occupe une place de choix dans l’exposition « La Passion du Christ dans l'art français », organisée au musée des Monuments français en 1934. Le musée du Louvre se retrouve ensuite au centre d’une vaste polémique, accusé de ne pas vouloir rendre l’oeuvre à la commune. Des habitants de Vénasque mais aussi de tout le département se réunissent et envoient de multiples demandes de restitution sans succès. Ils présentent alors, quelques temps avant les élections législatives de 1936, une pétition au député-maire d'Avignon, Edouard Daladier. À la suite de cet épisode, 48 heures après seulement diront certains, la direction du Louvre reçoit une lettre du ministre des Beaux-Arts, la sommant de rendre le tableau. Elle s'exécute.


Le tableau s’apprécie toujours dans l’ancien Comtat Venaissin, au sein de l'église Notre-Dame de Vénasque. La main à l'origine de cette réalisation n'est à ce jour identifiée par aucun document ou rapprochement stylistique réellement satisfaisant. La composition générale et le mode de représentation des deux larrons peuvent-ils suggérer un peintre d'origine nordique ? Un peintre passé par la Bourgogne ? Cette question mérite d'être étudiée.

 

Références bibliographiques clés


- Laclotte M. et Thiébaut D. L'Ecole d'Avignon, Paris, Editions Flammarion, 1983. p.270-271

- Legros M. Une croix de Vénasque, Lou Libretoun, 3, 2018, p.11. Avignon, Archives départementales du Vaucluse, Fonds notarié Avignon. Etude Martin, 3, E8 1099, fol. 10.

- ​ Ring G. La peinture française du quinzième siècle, Londres, 1949.

- Roussel J (dir.). La Passion du Christ dans l'art français, Ed. Arthaud, Grenoble, 1934. p.35

- Sterling C. La peinture française, les Primitifs, Paris, Editions Floury, 1938.

- Vingtain D. Enquête sur la genèse d'une oeuvre oubliée de l'Ecole d'Avignon : le triptyque de Vénasque du musée du Petit Palais d'Avignon. In Elsig F (dir.). Peindre à Avignon aux XVe et XVIe siècles, Milan, Silvana Editoriale, 2019. p.160-162

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