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Des artistes et des cartes

A l’heure du tout numérique, le papier et le parchemin n’ont pas encore dit leur dernier mot ! Depuis la Révolution Française dorment dans nos archives de véritables trésors cachés, oubliés, délaissés. L’exposition Quand les artistes dessinaient les cartes, visible jusqu’au 6 janvier 2020 à l’hôtel de Soubise (Archives Nationales), ouvre un champ inédit de l’histoire de l’art, celui de la cartographie d’artiste. Coupe-File s’y est rendu pour vous, sur l’invitation de Camille Serchuk, co-commissaire de l'exposition et professeure d'Histoire de l'art à la Southern Connecticut State University (New Haven, USA). 


"La ville et cité d'Autun assiégée par le seigneur Maréchal d'Aulmont, en l'année 1531", fin XVIè siècle - début XVIIème, huile sur toile, Autun, musée Rolin
"La ville et cité d'Autun assiégée par le seigneur Maréchal d'Aulmont, en l'année 1531", fin XVIè siècle - début XVIIème, huile sur toile, Autun, musée Rolin

Du nouveau sur une pratique moderne.


Il ne faudra pas compter améliorer votre sens de l'orientation en allant admirer les belles cartes parcheminées, réalisées par des artistes pour certains encore inconnus ! Outre l’aspect inédit du propos scientifique et des œuvres l’illustrant, on apprend en effet qu’entre le XIVème et la fin du XVIIème siècle des artistes pouvaient être missionnés afin de réaliser des cartes, dont le but principal était de résoudre des conflits d’ordre judiciaire. Ces problèmes juridiques, entre particuliers ou entre états, concernaient forcément la propriété d’un territoire ou d’un élément important s’y trouvant. Par exemple, deux seigneurs pouvaient se disputer l’autorité sur un puits, un bois, des pâturages ; dans l’exposition vous pourrez notamment observer une carte donnant à voir un conflit entre le roi de France et l’empereur germanique à propos d’un partage frontalier de terres et de biens. L’artiste, qui prêtait sous serment de son honnêteté et de son objectivité la plus entière, était alors chargé de suivre sur le lieu du conflit les deux parties s’opposant, afin de représenter le plus fidèlement possible ce qu’il voyait. Loin d’être un exercice d’imagination, le peintre se devait de laisser son originalité de côté au profit de son regard aiguisé. Ainsi, ce qui comptait réellement c’était voir, ce que seul un artiste pouvait vraiment faire. L’utilité de ces cartes n’étaient donc ni l’orientation des voyageurs ni un quelconque recensement. Dès lors on comprend bien pourquoi elles n’étaient pas considérées comme des “cartes”, mais plutôt comme des “figures”. 


Olivier Bissot et Pierre Pol, Figure du cours de l'Aa entre Wizernes et Saint-Omer (Pas-de-Calais), 1459, papier, dessin à la plume et gouache, Saint-Omer, Bibliothèque d'Agglomération du Pays de Saint-Omer

Des “figures” aux multiples visages


L’aspect visuel des paysages et des lieux, comme si le spectateur les avaient sous les yeux ! Voilà le grand rôle de ces témoignages de la terre. Si les commanditaires prestigieux demandaient ces “figures”, ce n’étaient pas seulement pour régler des litiges. Parfois, en effet, elles pouvaient aussi servir à célébrer un territoire, mettre en valeur son pouvoir au travers de la monstration de ses propres possessions. Par ailleurs, de grands artistes comme Léonard de Vinci, Bernard Palissy ou encore Jean Cousin s’y sont appliqués. L’exposition a le mérite de nous faire nous demander si ce n’était pas un passage obligé de la formation artistique, du moins il semblerait que cet exercice fut au moins un gagne-pain pour les artistes. Les “figures” pouvaient être à la fois manuscrites et peintes sur parchemin et, de surcroît, elles étaient colorées. Nous savons que Catherine de Médicis en a possédé et en a apprécié leur usage.


Figure de la Provence en forme de femme dans Les illustrations et singularitez de la conté de Provence, vers 1536-1538, reproduction photographique d'un registre en parchemin avec peinture rehaussée d'or, Paris, Bibliothèque Nationale de France

Cependant, malgré leur apparence joyeuse, parfois belle, ces “figures” étaient perçues avant tout comme des points de vue objectifs d’une situation territoriale donnée. Elles devaient donc respecter la véracité du regard, elles n’auraient pas su mentir dans la représentation de l’espace. Elles pourraient donc nous être très utiles pour connaître l'état d'une architecture à une certaine époque car, en effet, les monuments importants y sont souvent figurés avec une grande précision. Paradoxalement, il se trouve qu’elles ne tenaient absolument pas compte de l’homogénéité de la représentation spatiale. Aussi, elles pouvaient mélanger sur un même parchemin plusieurs points de vue, plusieurs perspectives (plongeante, aérienne ou panoramique). Or, au XVème siècle les artistes maîtrisent très bien la perspective, ce qui rend justement très intéressantes ces “figures”. Ce que l'on aurait pu prendre pour des maladresses était en réalité voulu dès le départ. La "figure" est, avant d'être esthétique, une vision objectivée et justifiée d'un paysage. Par ailleurs, n’oublions pas que l’aspect scientifique de la cartographie n’apparaîtra qu’au cours du XVIIème siècle, moment du triomphe des sciences et de la raison dans la pensée humaine.


Jean-Baptiste Florentin, Figure du fleuve de la Vie (Vendée) depuis le château d'aprement jusqu'à l'océan, 1542, parchemin en rouleau formé de 7 morceaux collés bout à bout, Paris, Bibliothèque Nationale de France, département des Cartes et Plans

Une scénographie aérienne


Au-delà des belles découvertes, il restait à trouver un écrin digne de cette centaine de "figures" oubliées ! Pour se faire, les commissaires souhaitaient avant tout de la lumière. Ainsi, le choix a été fait de réaliser des cimaises en bois clair tout en créant des ouvertures. Pour se faire, les cadres traditionnels, accrochés au mur, ont été mis de côté au profit d’un accrochage au sein de grands espaces vitrés. L’effet est aérien, très agréable. Cependant, si les choix des matériaux, des couleurs et de la lumière sont réussis, l’organisation du parcours l’est beaucoup moins. La circulation et le parcours ne sont ni clair ni optimisés. Quel dommage pour une exposition dont le propos est réellement une avancée pour la recherche en histoire de l’art !


Toutefois, cette exposition stimulante est une véritable invitation au voyage et à la découverte. Elle nous invite à bien nous souvenir qu’il y aura toujours quelque chose à chercher et à élucider. Nos archives et nos bibliothèques conservent et protègent encore un grand nombre de cartes, plans et vues similaires. Il reste donc à découvrir tout une partie de la production artistique française jusqu’à aujourd’hui oubliée. Quelle voie ouverte aux chercheurs ! La France, entre 1300 et 1600, qu’était-ce donc au niveau des paysages ? Vous en aurez un avant-gout formidable dans cette exposition à ne surtout pas manquer ! Courrez-y, même avec un GPS s’il le faut !


Jérémy Alves


INFORMATIONS PRATIQUES


Site de Paris Archives nationales - Hôtel de Soubise 60, rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris Métro : Saint-Paul, Hôtel de Ville et Rambuteau

Horaires et tarifs Du lundi au vendredi de 10h00 à 17h30 Samedi et dimanche de 14h00 à 17h30 Fermé le mardi Plein tarif : 8 €, tarif réduit : 5 €


EN SAVOIR PLUS


Dossier de presse


Parcours de l'exposition


Catalogue d'exposition

Quand les artistes dessinaient les cartes. Vues et fîgures de l'espace français. Moyen Âge et Renaissance, ouvrage collectif, n° ISBN: 978-2-84742-427-0, édité par les éditions Le Passage, est mis en vente aux Archives nationales au prix de 25 euros. Paru en octobre.





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