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[Entretien] Lasco, quand le street-art rencontre la Préhistoire


Scientifique le jour et artiste-urbain la nuit, le lyonnais Lasco (@lasco_69) orne avec ses bombes aérosols les murs des villes de France par des motifs venus de loin : de la Préhistoire. Ses bisons, chevaux, aurochs animent ainsi l’espace urbain comme s’ils s’étaient évadés de Lascaux, de Chauvet ou d’Altamira. Son travail donne à notre esprit l’impression qu’un des maîtres de la Préhistoire a miraculeusement ressuscité pour nous offrir, à nous homo-sapiens du XXIe siècle, son art. Dans ce long entretien, nous revenons ainsi avec lui sur l’origine de son travail, le but de sa démarche artistique, son goût pour la transmission et son amour pour l’art préhistorique.


Passage des Récollets, Paris, 2023 © Lasco

Antoine Lavastre : Pourquoi avoir choisi de s'inspirer de l'art pariétal dans votre travail ?


Lasco : C'est la conjoncture de différents éléments. Déjà, durant ma scolarité l’étude de la période préhistorique m’avait plu. Par la suite, j’ai fait des études scientifiques et j’ai été amené à visiter de nombreuses grottes ornées ou non. De manière concomitante, je m’intéressais au street-art, à ce que je voyais dans la rue. Il y avait des choses que j’aimais, d’autres moins, et face à cela je me disais, plutôt que de simplement d’observer ces peintures, cela me plairait d’en réaliser aussi. Néanmoins, je ne me sentais pas forcément légitime d’aller peindre en vandale si je ne trouvais pas le projet qui me correspondait vraiment. C’est en rentrant dans les vraies grottes ornées que j’ai eu le déclic. Je me suis retrouvé devant des figures qui avaient plus de 20 000 ans et qui m’ont beaucoup touché. En sortant, je me suis dit que ça serait intéressant de partager cela à un maximum de personnes, en vulgarisant l’art pariétal via le street-art. L’idée était aussi de faire réfléchir sur les origines de l’art et sur le paradoxe entre l’interdiction de l’art urbain et le fait qu’on incite les personnes à se déplacer pour voir des peintures dans des répliques de grottes. Les dessins qui ont été réalisés dans notre environnement il y a 20 000 ans sont généralement appréciés et naturellement protégés alors que ce qu’on peint aujourd’hui dans notre environnent urbain est souvent effacés et considérés comme une dégradation. En utilisant l’art pariétal de la Préhistoire, un art ancestral, je me suis dit que cela permettrait de faire s’interroger sur ce paradoxe.


A.L. : Pourquoi Lasco ?


L. : Je cherchais un blase qui permette d’expliquer ma démarche artistique, un nom court, graffable rapidement, et qui me plaise à l’oreille. Avec Lasco, qui évoque phonétiquement l’une des plus célèbres grottes ornées, je me suis dit que ça permettait de contextualiser mes peintures aérosols.


Rue Blanche, Paris, 2017 © Lasco

A.L. : Pourquoi avoir choisi le street-art et pas un médium plus « classique » comme des toiles par exemple ? Avez-vous des artistes qui vont ont inspiré ?


L. : Un de mes souvenirs marquant sur le street-art vient d’un documentaire sur Seth que j’ai vu il y a une dizaine d’années. On le voyait dessiner, peindre, voyager, rencontrer beaucoup de personnes. J’avais trouvé cela très intéressant. Après, je n’ai pas pour autant décidé de me lancer immédiatement. Le fait d’avoir visité des villes comme Bordeaux, Paris, Marseille où il y a une belle scène de street-art, et rencontrer des personnes qui m’ont initié à la culture street-art et graff a dû jouer. Ce n’était pas ma culture de base mais petit à petit j’ai été amené à rencontrer ce monde. Un monde alternatif par rapport à mon métier et au milieu scientifique. J’aime ce que je fais dans mon premier travail mais la rencontre avec le monde artistique m’a ouvert de nouveaux horizons.


Cela permettait surtout de rendre l’art accessible à tous, car la rue est un espace gratuit. Aller au musée, visiter une grotte, même si cela peut sembler accessible, c’est quand même un coût, surtout pour les familles. Pour les grottes, c’est encore plus compliqué car il faut parfois faire des centaines de kilomètres pour s’y rendre. Même si je suis conscient que ce n’est pas la même charge émotionnelle de voir un de mes grafs que de visiter une grotte ornée, j’ai eu beaucoup de témoignages de personnes qui ont été touchés par mon travail sur l’art préhistorique.


A.L. : Travaillez-vous à main levée ou avec des pochoirs ?


Rue des Bohèmes, Clermont-Ferrand, 2019 © Antoine Lavastre

L. : Les deux. Quand ce sont des petits animaux à réaliser rapidement la nuit en illégal j’utilise des pochoirs sur lesquels j’ai dessiné et que j’ai découpé au préalable. En principe, je ne pose qu’une fois le même pochoir par ville. Je ne souhaite pas avoir de doublons, comme dans les vraies grottes d’ailleurs. Après, quand je suis dans un espace plus tranquille ainsi que pour les plus grands formats, je peins sans pochoir, à main levée. Il me faut cependant plus de temps et c’est donc souvent dans un espace dédié, dans le cadre d’un partenariat ou d’un contrat par exemple. J’ai eu de la chance d’être repéré grâce à mes petits animaux et d’avoir eu rapidement des sollicitations pour en réaliser des biens plus imposants que ce soit au Musée parc d’archéologie Laténium à Neuchâtel en Suisse ou encore via l’association SUCH’ART à Clermont-Ferrand qui m’a invité à venir peindre une rue entière (rue des Bohèmes).


Rue des Bohèmes, Clermont-Ferrand, 2019 © Lasco

Je me prends de plus en plus au jeu du travail à main levée. Récemment, j’ai peint spontanément un grand bison près d’une sortie d’autoroute à Cahors en pleine journée car le lieu était plus calme. En général je prépare en amont lorsque je vais peindre mais j’apprécie de plus en plus de peindre de manière spontanée. J’essaie à chacune de mes sorties d’améliorer ma technique, de laisser des espaces vides plutôt que tout combler, de peindre de manière plus nuancée mes aplats, de jouer avec la pression des caps (embout amovible par lequel la peinture sort de l'aérosol) pour exprimer une sensibilité, d’avoir plus de lâcher-prise…. Ce lâcher-prise, qu’on retrouve dans ma signature par exemple, m’a d’ailleurs été inspiré par un documentaire Arte sur la reconstitution de la grotte Chauvet où l’artiste espagnol Miquel Barceló peint la célèbre chouette.


A.L. : Vous avez tout de suite choisi la technique peinte ou avez-vous pensé à utiliser d’autres techniques comme le collage ?


L. : Je me suis posé la question mais très rapidement j’ai souhaité peindre à la bombe aérosol afin que cela fasse sens par rapport aux œuvres préhistoriques. Récemment, j’ai pu m’initier à des techniques de peintures ancestrales avec des outils préhistoriques (silex, mousse, sarbacane) et notamment peindre un petit bison au milieu d’une fresque réalisée à la bombe aérosol Passage des Récollets, à Paris. Alors que les Paléolithiques ont parfois utilisé leurs doigts pour apposer la peinture sur les parois, mes doigts quant à eux appuient en gérant la pression sur l’un des différents caps de mes bombes de peinture. J’adapte les formes – l’angle et la linéarité des tracés – à ma technique picturale. Je les modifie également selon ma propre interprétation des gestes paléolithiques, pour renforcer un effet visuel par exemple, ou par goût personnel. Ainsi, je m’autorise aussi à compléter des silhouettes, à adapter les ocres, à créer de nouvelles formes ou encore à changer les proportions de certains éléments anatomiques qui m’apparaissent alors plus harmonieux, notamment vis-à-vis de la typologie du mur.


Bison réalisé grâce à des outils préhistoriques, Passage des Récollets, Paris, 2023 © Lasco

A.L. : Comment choisissez-vous les lieux où vous réalisez vos œuvres ? Essayez-vous de travailler avec les reliefs du mur comme souvent les artistes préhistoriques ?


L. : Comme pour la technique, le choix du lieu a évolué au cours du temps. Au début, mon objectif prioritaire était de ne pas me faire prendre (sourire). Ensuite, j’ai choisi des murs qui me parlaient comme une rue où je passe souvent, un endroit où j’ai des souvenirs, un lieu qui est en corrélation avec l’animal peint. Je fais d’ailleurs souvent un lien entre le motif représenté et le lieu. J’ai peint, par exemple, des panthères dans un escalier de 445 marches à Lyon connus des joggers, un bouquetin dans le parc des Chartreux de Lyon lorsque cette espèce animale a été relâchée dans le massif montagneux du même nom...


Transformateur éléctrique, rue du Puit des Moineaux, Le Creusot, 2023 © Lasco

Je peins des types de murs différents structurellement mais actuellement, j’essaie de choisir des lieux vierges, qui ne sont pas déjà graffés, avec des pierres à l’état brut. Je cherche des murs avec des fissures, du relief, pour jouer avec. Dans cette idée, à Paris, j’ai trouvé un lieu où la matière du mur changeait exactement à l’endroit de l’encolure et de la crinière de mon cheval. Parfois, le hasard fait bien les choses et des parties du mur peuvent tomber et s’accorder parfaitement au motif. Ce n’est pas toujours réalisable en ville avec des murs très lisses.


A.L. : Est-ce que toutes vos œuvres sont tirées d’une représentation réelle provenant d’une grotte ou laissez-vous aussi libre court à votre création ?


Coq et ses deux étoiles du polissoir de Lieschbach et du Steinkopf, intersection de la rue Richan et de la rue de la Tour du Pin, Lyon, 2018. © Lasco

L. : Les deux. Je peux, à partir d’une figure vue dans une grotte, la modifier sur ses proportions, son anatomie tout en respectant certains « codes de l’art pariétal » spécifiques à une période, à une grotte ou une techniques et la faire évoluer au cours du temps. J’ai aussi imaginé entièrement des peintures comme pour la victoire à la Coupe du monde de football 2018 pour laquelle j’avais fait un coq et ses deux étoiles inspirées des polissoirs de Lieschbach et du Strinkopf (Vosges du Nord) dans un style pariétal en clin d’œil aux deux étoiles de champion du monde. De même, j’avais aussi peint un panda alors même que ce genre de représentations n’existe pas à la Préhistoire. Dans ce cas précis, je me suis inspiré de recherches scientifiques espagnoles qui ont mis au jour un fossile d’une espèce proche de nos pandas actuels. A partir des reconstitutions réalisées, j’ai peint, dans la semaine de la publication, un panda inspiré par cette découverte. Je tends aussi à m’inspirer de représentations non européennes. Au parc de la tête d’Or à Lyon, j’ai ainsi peint une girafe tirée d’un motif namibien (œuvre des San) qui date de 7 000 ans. J’ai aussi, dans la rue en vandale, en octobre pour l’événement Octobre rose détourné un mammouth avec une poitrine féminine qui apparaissaient de manière subliminale dans ses défenses pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein.


Octobre Rose, Place Colbert, Lyon, 2023 © Lasco

A.L. : Vous accompagnez souvent les photos de votre compte Instagram par des explications. La médiation est-elle au cœur de votre démarche ?


L. : C’est sans doute dû à ma formation scientifique. J’aime étudier les œuvres que je peins, me documenter, lire des articles à leur sujet. J’essaie d’être le plus précis possible sur les spécificités anatomiques pariétales animales selon les connaissances scientifiques actuelles. Je donne des explications dans mes descriptions, que les gens lisent d’ailleurs de plus en plus. Je m’en rends compte en regardant les post ou commentaires où je trouve souvent des identifications correctes des animaux représentées, des dates, des grottes, des techniques utilisées, etc. Récemment, j’ai travaillé avec la grotte Cosquer et j’ai mis tout une explication sur le contexte sous-marin de cette grotte. Ce côté vulgarisation me plaît. Je suis venu à la science grâce à des choses qui rendent accessibles comme certains programmes courts ou des revues de vulgarisation scientifique. Je ne viens pas du monde de l’art, je n’ai pas toujours tous les codes, mais j’essaie en tout cas d’utiliser la pédagogie pour diffuser un peu de savoir et de la matière pour s’interroger sur l’art. Je discute avec des personnes qui me disaient qu’ils n’aimaient pas les tags et qu’aujourd’hui ils ont pris conscience que le graffiti est un art ancestral, lié à la nature humaine même.


A.L. : Vous multipliez régulièrement les collaborations avec les institutions (musées, écoles, associations, etc.), est-ce quelque chose que vous appréciez ?


L. : Oui c’est agréable, car cela me permet notamment de faire des choses plus grandes, plus ambitieuses. Cela donne aussi une autre visibilité à mon travail, le rendant encore plus accessible. D’ailleurs, grâce à ces partenariats, j’ai parfois accès à des zones non accessibles au public dans les grottes comme à Pech-Merle par exemple où j’ai pu admirer le cabinet des félins. C’est un vrai privilège.


Triptyque du Pech-Merle, Centre de Préhistoire et grotte du Pech Merle, Cabrerets, Lot © Lasco

Je travaille aussi beaucoup avec les enfants pour ces institutions. Je réalise régulièrement des ateliers « peintures préhistoriques » avec des enfants et cela me plaît. Dans ce cadre, cette année, j’ai travaillé avec un collège à Villefranche, un autre à Lyon, une école primaire dans le Beaujolais et avec le Musée de l’Homme. Dans certains cas, je les fais travailler à partir de pochoirs que j’ai réalisé au préalable et quand j’ai plus de temps, on part de zéro, et je les accompagne dans le dessin d’un animal puis dans la création du pochoir jusqu’à la peinture finale à la bombe aérosol. Les enfants sont très attentifs, ils sont avec moi du début à la fin. Ce rôle de transmission, à la fois sur l’art préhistorique mais aussi sur le travail de l’artiste urbain, est important pour moi.


A.L. : Et avec les autres artistes ?


L. : C’est assez rare. Mon premier travail principal me prend beaucoup de temps et cela peux donc mettre du temps à faire aboutir un projet. Je ne peux travailler sur mon activité artistique que les soirs, la nuit et le weekend. C’est un frein à la collaboration. J’en ai cependant fait quelques-unes comme avec Ardif dont j’avais trouvé le travail chouette et intéressant. J’ai fait un cerf en positif, un autre en négatif, et lui a réalisé au centre son cerf mécanique. Par la suite, j’ai travaillé sur des collaborations avec Toc Toc, Dark, Oré…


A.L. : Quand on pense à l’art préhistorique, on retient surtout l’art pariétal, celui des grottes, qui n’est, sans doute, qu’une toute petite partie de la production artistique humaine de l’époque. Les hommes préhistoriques devaient, on le sait, peindre aussi de manière régulière en extérieur, ce qui a été mal conservé. Vous peignez dans la rue, en extérieur donc. Peut-on y voir également l’idée de faire renaître des œuvres disparues ?


L. : Oui, c’est une idée qui m’anime. On conserve d’ailleurs encore des œuvres en extérieur de l’époque préhistorique même si ce sont des choses un peu plus récentes. J’ai par exemple peint une girafe qui reprend une œuvre rupestre namibienne. Je m’interroge sur la conservation de mes peintures soumises aux mauvais temps contrairement à celle des grottes qui sont à l’abri de la lumière et des intempéries. Je suis intéressé par savoir comment va vieillir mon petit bison réalisé selon les techniques anciennes à Paris parce que je sais que mes graffs les plus vieux encore en place qui ont 6 ans environ tendent, eux, à se détériorer plus rapidement que ceux des grottes.


A.L. : Vous travaillez aussi sur toile depuis quelques temps, pourquoi ce nouveau médium ?


Co-pâturAge, 2020, Hôtel de ville, Lyon © Lasco

L. : C’est en discutant avec d’autres artistes que l’idée m’est venue mais je l’ai vraiment développée à partir du confinement de 2020. J’ai été contacté à cette époque par l’association Art-murs qui organisait une vente d’œuvres en partenariat avec le Secours populaire puis par la Fondation pour la Recherche Médicale pour réaliser des tableaux dont les profits seraient reversés en leur faveur. Je voulais trouver quelque chose d’intéressant au niveau de la structure de la toile. J’ai commencé à travailler sur une toile classique puis j’ai appliqué un enduit. Je l’ai travaillé, gratté, fissuré à ma convenance et après je l’ai peint à la bombe. L’idée était de recréer comme un morceau de paroi minérale avant de peindre mes animaux à la bombe aérosol. Des particuliers, collectionneurs ou institutions ont commencé à acquérir les œuvres que je réalisais puis à me passer des commandes. Récemment, le maire de Lyon m’a acheté une grande toile, qui est aujourd’hui accrochée dans son bureau à l’Hôtel de ville, cela fait plaisir.


A.L. : Pour conclure, avez-vous des perspectives nouvelles pour vos productions ?


L. : J’ai de nombreuses idées en tête. Je viens de terminer avec Olivier Bral ma toute première sérigraphie en édition limitée (« Trace »). J’ai commencé à m’initier à la sculpture et j'ai envie de travailler sur et avec différents matériaux. Enfin, je continue bien sûr de peindre différents animaux dans mon projet de street-art pariétal préhistorique dans les rues de France et d’ailleurs.


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