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Hautes nefs au musée de Flandre : silence et contemplation


Après le succès de l’exposition Fêtes et kermesses au temps des Brueghel, le musée de Flandre à Cassel expose en ses murs la collection d’une vie. Fruit de la passion d’un homme souhaitant rester anonyme, cette collection est pour la première fois présentée au public. Pendant quatre décennies, cet amateur, s’étant jadis rêvé architecte, a réuni avec enthousiasme des vues d’intérieurs d’églises d’artistes flamands et hollandais, toutes datées entre 1580 et la fin du XVIIème siècle. Il a ainsi patiemment constitué une documentation précieuse sur les artistes ayant pratiqué cette peinture particulière.


Gérard Houckgeest, Intérieur d'une église imaginaire avec un sermon à l'arrière plan, 1642 / Collection privée


La peinture architecturale des Ecoles du Nord, aux origines d’un goût pour la réalité


Si l'exposition n'évoque pas les plus ou moins lointaines prémices du genre pictural propre que constituent les vues d'intérieurs d'églises au XVIIème siècle, se concentrant plutôt sur son contexte direct de création, il est intéressant de noter que dès la première moitié du XVème siècle, notamment avec Jan van Eyck et ses émules, le goût pour les architectures, notamment gothiques et romanes de vénérables nefs, s'affirme. Nombre de scènes induites par ces artistes prennent en effet place dans un chœur d’église, formant à la fois un trône et un baldaquin, architectures symboliques, écrins pour les saints personnages à commencer par la Vierge. Ces architectures sont alors fictives.

Le Maître de la vue de saint Gudule (actif entre 1460 et 1500) semble être l’un des premiers à introduire une vue architecturale exacte d’église. Dans La prédication de Saint Géry, tableau conservé au musée du Louvre, apparaît en fond une vue extérieure de la collégiale Saint-Gudule à Bruxelles. Animé par un désir visiblement pressé d'introduire le temps réel, rompant ainsi avec les traditionnelles vues architecturées fictives, l’artiste représente l’église en travaux (coin supérieur gauche), ce qui a d’ailleurs permis de dater précisément le tableau. Cette évolution vers la représentation de détails renvoyant à la réalité urbaine n’est pas spécifiquement bruxelloise. Dans les provinces du Nord, au même moment, chez Jacob Bellaert, on note une représentation de l’hôtel de ville d’Haarlem.


Ces éléments sont en vérité révélateurs d'un besoin de plus en plus prononcé d'évoquer avec précision le siège du pouvoir et les hauts-lieux des cités, conduisant à l'apparition des premières et alors nouvelles formes de représentations en tout point objectives de bâtiments et de situations topographiques. En effet, au début du XVIème siècle, à la cour de Philippe le Beau et de Charles-Quint, des vues du Palais de Bruxelles, de ses jardins et du quartier qui l’environne sont notamment réalisées par le maître de l’Abbaye d’Afflighem et par Bernard Van Orley. Pour le cycle des douze tapisseries des Chasses de Maximilien, un grand jalon des collections du musée du Louvre, Van Orley introduit avec précision diverses bâtisses princières ou monastères de la forêt de Soignes.


Les intérieurs d’églises comme sujet pictural propre : une apparition dans un contexte troublé


L’apparition exacte des vues d’intérieurs d’églises comme sujet propre survient dans la deuxième moitié du XVIème siècle, quelques années après le saccage des représentations peintes et sculptées des Saints et de la Vierge dans les églises de Flandre. L’été 1566 connaît une furie iconoclaste - appelée beeldenstorm (« tempête des images »). De Gand à Ypres en passant par Cassel, nombre d’églises sont ravagées, mobiliers et œuvres d’art détruits. La propagation du protestantisme et des pratiques luthériennes et calvinistes a véritablement provoqué une crise religieuse d’ampleur s’exprimant par une folie destructrice. Le point de départ des troubles est la petite commune de Steenvoorde. A l’issue d’un prêche, une foule brise la statuaire et l’imagerie du cloître Saint-Laurent.

Les églises connaissent par la suite un renouveau grâce à la peinture qui les remet à l’honneur dans un genre à part entière. L' édifice s’en retrouve sublimé sous le pinceau des artistes. Mais, symptôme d'un schisme acté, deux courants s’affrontent.

Gravure dans l'Histoire de la guerre des Païs-Bas, R.P. Famien Strada / traduite par P. Du Ryrer, 1727, tom. I. pag. 329

Chez les Flamands, fastueuses représentations


Si Hans Vredeman de Vires (1525/1526 - 1609), ayant principalement travaillé sur l’architecture et les questions de perspective, peut être considéré comme le précurseur de ce sujet pictural, c’est véritablement sous le pinceau de son élève, Hendrick van Steenwijck I et plus tard de son fils, Hendrick Van Steenwijck II, qu’il se développe. Il connaît par la suite un très grand succès avec Abel Grimmer et surtout Pieter Neef I le Vieux. Ces artistes représentent des architectures gothiques sublimées, peuplées d’un multitude de personnages induisant diverses saynètes parfois qualifiées d’irrévérencieuses.

Van Londerseel, Vue imaginaire de St-Jean-de-Latran

Il est intéressant de souligner la réutilisation de modèles au sein même de cette petite production. En effet, l'exposition donne à voir une architecture totalement imaginaire de la basilique Saint-Jean-de-Latran par Pieter Neef I. On reconnait, dans cette vue, grâce à sa tiare, le Pape placé sous un dais doré, s’avançant vers le chœur. Cette composition est directement reprise par Neef d’une gravure de Jan van Londerseel, qui avait lui-même copié Hendrick Aerts, un autre élève du maître Hans Vredeman de Vries. On voit donc ici toute l’influence des motifs originels, contemporains à la création même du genre, mais aussi le rôle prédominant de la gravure dans la diffusion de cette peinture.


Pieter Neef I, Vue imaginaire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, 1636 / Collection privée

Chez les Hollandais, un grand dépouillement


De cet art d’abord flamand, les Hollandais vont tirer une riche production plus empreinte de sobriété. Durant la Guerre de Quatre-Vingts-Ans (1568-1648), opposant Catholiques et Protestants, les anciens Pays-Bas se scindent en deux territoires. Le Sud reste catholique tandis que le Nord protestant prend le nom de Provinces-Unies. On y refuse alors la représentation du divin, le rôle des saints et de la Vierge. De là découle un grand dépouillement de l’édifice sacré. Dans leurs représentations, les peintres hollandais optent pour une vision partielle du bâtiment, depuis un bas-côté ou selon un point de vue que le spectateur peine parfois à déterminer. Nombre d’éléments, à commencer par la présence récurrente du fossoyeur, concourent à plus de recueillement et à une plus grande spiritualité.

Emanuel De Witte, Intérieur de la Vieille église d'Amsterdam, 1678 / Collection privée

Cela se ressent particulièrement dans ce tableau d’Emanuel de Witte, qui induit l’intérieur de la vieille église d’Amsterdam. A côté des intérieurs d’églises catholiques qui présentaient parfois des scènes presque trop légères, le peintre introduit une ambiance pesante, austère, propice au recueillement dans les lieux protestants. On retrouve le sujet récurrent du fossoyeur, immortalisé en plein travail. Cet élément s’inscrit dans la tradition des vanités, qui connaît un grand développement au XVIIème siècle : la mort triomphe toujours des futiles passions des Hommes. On retrouve également le point de vue rapproché induisant une vision partielle de l’édifice, élément typique des peintres hollandais.



De manière générale, si tous les tableaux présentés dans cette exposition ne sont pas d'une facture exceptionnelle, ils permettent de saisir les bornes et caractéristiques d'un sujet pictural très spécifique, peu étudié et pourtant bien connu. En effet, tout le monde a déjà entrevu une haute nef grouillant d'une multitude de personnages parfois atypiques de Pieter Neef ou encore Hendrick Van Steenwijck, sans en avoir eu les clefs de compréhension. Une question reste sans réponse. Cette production était-elle le résultat de commandes spécifiques ? La commissaire de l’exposition, Samantha Heringuez, évoque plutôt une production majoritairement vendue sur les marchés ou aux abords des lieux de cultes. Ces tableaux pourraient alors constituer une preuve de la piété de leur propriétaire. Ou peut-être en seraient-ils une stimulation ?


Quoiqu'il en soit, c'est une collection unique qu'offre au regard le musée de Flandre, qui a pris le parti d'inclure, au sein de la scénographie du parcours, des œuvres contemporaines. Deux réalisations de l'artiste belge Wim Delvoye, traduisant sa fascination pour l'architecture sont en effet à découvrir.

Wim Delvoye, Nautilus / 2011

 

Sacrée architecture ! La passion d'un collectionneur

Du 15 février au 14 juin 2020


Musée de Flandre

26 Grand' Place 59670 Cassel FRANCE


Tarifs:

6€ / réduit 4€ (groupe de plus de 10 personnes)  / gratuit pour les moins de 26 ans

Visite guidée le samedi et le dimanche à 14h30 (compris dans le billet d'entrée / 2€ pour les moins de 26 ans)

Livret-jeux pour les 9-12 ans (gratuit)

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