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Ilya Répine (1844-1930) | Peindre l’âme russe


« Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais aller de l’avant… Non, décidément l’école russe devient sérieuse. » C’est avec ces mots que le peintre Ivan Kramskoï (1837-1887) entrevoit le génie d’Ilya Répine (1844-1930) face aux Haleurs de la Volga (1870-1873), chef-d'œuvre que le musée d’Etat russe de Saint-Pétersbourg fait l’honneur de prêter au musée du Petit Palais à l’occasion d’une magnifique exposition monographique jusqu’au 23 janvier 2022.


Ilya Répine, Les Haleurs de la Volga, 1870-1873, huile sur toile, Saint-Pétersbourg, musée d'Etat russe.

RÉPINE - UN PEINTRE AMBULANT À SAINT-PETERSBOURG


« Pouchkine est mort… Ce qui l’a tué ce n’est pas la balle de D’Anthès. Ce qui l’a tué, c’est l’absence d’air… », Alexandre Blok (1880-1921)

Ilya Répine (1844-1930) dans un fauteuil, années 1860 © F. Le Gallic

Ilya Répine naît en 1844 à Tchougouïev, petite ville de l’Empire russe aujourd’hui située dans l’oblast de Kharkiv à l’est de l’Ukraine et meurt en 1930 à Kuokkala. Alors en Finlande, la ville fait aujourd’hui partie intégrante de la Russie, sous le nom de Répino en hommage au peintre. L'artiste a traversé non seulement la Russie des tsars, mais aussi celle de la Révolution d’Octobre de 1917 et de la proclamation de l’U.R.S.S. en 1922. Véritable mémoire des bouleversements de la Russie, le peintre, associé au réalisme russe et au mouvement des Ambulants (Peredvijniki), a su capter l’âme russe, tant dans ses paysages animés que dans ses scènes révolutionnaires ou ses portraits de l’intelligentsia.



Membres des Ambulants en 1886 (Répine est assis en bas à droite, la main sur le menton) © F. Le Gallic

Car c’est bien la volonté de s’emparer de nouveaux sujets qui est la cause des dissensions animant alors l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg. La rupture interviendra en 1864 lorsque des étudiants de l’Académie refuseront le sujet imposé par le jury, exigeant de le choisir librement. Après avoir essuyé un refus, ils quitteront l’institution (c’est ce que l’on appellera la « Révolte des quatorze »), pour fonder une communauté dirigée par Ivan Kramskoï. Cette révolte aboutit en 1870 à la création de la Société des expositions artistiques ambulantes. Ce mouvement, actif jusqu’en 1923, organisera quarante-huit expositions itinérantes, non seulement à Saint-Pétersbourg et Moscou mais aussi dans plusieurs villes de province.


L'Empire russe en 1860

RÉPINE - ENTRE PARIS ET LA NORMANDIE


En 1871, Répine obtient une bourse qui lui permet d’aller étudier à l’étranger. C’est à Paris qu’il décide de poser ses valises en 1873. Il y restera trois ans, s’installant à Montmartre avec sa famille. Il y retrouve de nombreux compatriotes. Le plus célèbre d’entre eux, le romancier et dramaturge Ivan Tourgueniev (1818-1883), exilé depuis 1857 à Paris, l’introduit au salon de la cantatrice Pauline Viardot où il côtoie le Tout-Paris artistique.


Ilya Répine, Portrait d'Ivan Tourgueniev, 1874, huile sur toile, Moscou, Galerie nationale Tretiakov © F. Le Gallic

Un autre Russe, le peintre de marines Alexeï Bogolioubov (1824-1896), lui fait découvrir la Normandie et notamment Veules-les-Roses, charmant village que Bogolioubov avait lui-même découvert grâce à Alfred Sisley (1839-1899).


Ilya Répine, Portrait d'Alexeï Bogolioubov, 1882, huile sur toile, Saratov, musée Radichtchev © F. Le Gallic


Ilya Répine, Fille du pêcheur, 1874, huile sur toile, Irkoutsk, musée régional d'Art © F. Le Gallic

Sur les côtes normandes, Répine produit des chefs-d'œuvre telle que cette Fille du pêcheur réalisée au cours de l’été 1874. Dans ce portrait de plein air concomitant des expériences impressionnistes, l’artiste utilise les fameuses touches de couleurs juxtaposées pour rendre plus saisissables les effets de lumière dans la chevelure blonde de l’enfant. Mais Répine n’est pas un impressionniste : il n’en utilise la technique que ponctuellement et il faudra attendre un certain Konstantin Korovine (1861-1939) pour véritablement trouver un chantre russe du courant initié par Monet et Renoir.







RÉPINE - CHANTRE DE L’HISTOIRE RUSSE ET DES COSAQUES


« Tout ce que Gogol a écrit sur eux est vrai ! Un sacré peuple ! Personne dans le monde entier n'a ressenti aussi profondément la liberté, l'égalité et la fraternité. La Zaporoguie est toujours restée libre, rien ne l'a soumise ! », Ilya Répine (1844-1930) à propos du roman Tarass Boulba (1843) de Nicolaï Gogol (1809-1852).

En parallèle du développement de la peinture réaliste en Russie émerge une tendance historiciste. Il s’agit d’inscrire le pays dans le temps long, depuis la Rus’ de Kiev et le baptême de Vladimir en 988 jusqu’aux soubresauts du règne d’Ivan le Terrible (1533-1584) et des réformes du patriarche Nikon au XVIIe siècle. A l’instar de Vassili Sourikov (1848-1916) ou Viktor Vasnetsov (1848-1926), Répine réalise des tableaux historicisants habités de personnages puissants. Par sa maîtrise de la composition et ses talents de coloriste, le peintre rend intemporels des épisodes du roman national russe tels que Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie (1880-1891).

Ilya Répine, Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie, 1880-1891, huile sur toile, Saint-Pétersbourg, musée d'Etat russe.

Dans ce tableau, le peintre loue l’esprit de ce peuple indépendant, libre et nomade à travers son refus de rejoindre l’armée ottomane de Mehmed IV (1648-1687). Chaque personnage est individualisé et fait entrer le spectateur dans cette joyeuse ambiance pleine d’impertinence à l’égard des puissants. La palette chromatique est riche et les détails historiques sont nombreux. Car Répine ne souhaite pas être dans la mythologie. Au contraire, chaque composition est prétexte à de nombreuses recherches documentaires et il faudra onze années au peintre pour achever ce morceau de bravoure.


Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie, détails © F. Le Gallic



RÉPINE - UN OEIL ET UNE OREILLE


Ilya Répine, Portrait de Modeste Moussorgski (dépressif et alcoolique, à l'hôpital militaire Nikolaevski), 1881, huile sur toile, Moscou, Galerie nationale Tretiakov (détail) © F. Le Gallic

Bien qu’habité par l’histoire russe et ses bouleversements, Répine n’en est pas moins un homme de son temps aux amitiés nombreuses et fertiles. Fin mélomane, il est proche du Groupe des Cinq, réunion de musiciens datant de 1867 et regroupant Borodine, Cui, Balakirev, Moussorgski et Rimski-Korsakov. Comme le peintre, ces artistes réfutent l’académisme et puisent leur sujet dans l’histoire et les traditions populaires russes : Boris Godounov (1869), Le Prince Igor (1890), Sadko (1898)… Répine se plaît à portraiturer ses amis, même lorsque ceux-ci sont à l’hôpital et au seuil de la mort.





Ilya Répine, Portrait de César Cui, 1890, huile sur toile, Moscou, Galerie nationale Tretiakov (détail) © F. Le Gallic

Dans certains cas, le peintre s’aventure même à illustrer des bylines (légendes russes) comme cette machine spectaculaire nourrie de symbolisme qu’est le Sadko (1876), réalisé alors que le peintre était encore à Paris.


Ilya Répine, Sadko dans le royaume sous-marin, 1876, huile sur toile, Saint-Pétersbourg, musée d'Etat russe.

Sadko dans le royaume sous-marin, détails © F. Le Gallic



RÉPINE ET LA REVOLUTION : SOLEIL TROMPEUR


Alors que Répine s’était installé définitivement en Finlande depuis 1903 (il y avait acheté en 1899 un terrain à Kuokkala - aujourd’hui Répino - à 40 kilomètres de Saint-Pétersbourg), l’Empire russe vit ses dernières heures. Il y aura d’abord la Révolution de 1905 et son Dimanche sanglant puis quelques mois plus tard la mutinerie du cuirassé Potemkine dans le port d’Odessa en Ukraine et enfin la Révolution d’octobre de 1917 célébrant la victoire des bolcheviks menés par Lénine et Trotski. D’abord enthousiaste, l’artiste deviendra de plus en plus circonspect à l’égard du nouveau régime. Surveillé par la Russie soviétique mais invité pourtant à se rendre à ses expositions personnelles qui se tiennent à Moscou en 1924, puis à Léningrad en 1925, Répine décline les propositions.


Reprenant les thèmes qui ont fait sa célébrité (Le Gopak. Danse des Cosaques zaporogues, 1926-1930), l’artiste s’éteint dans son domaine des Pénates sans avoir jamais versé dans le réalisme socialiste. Ce dernier sera promu par de jeunes artistes tels qu’Alexandre Deïneka (1899-1969) ou Alexandre Samokhvalov (1894-1971). Certains d’entre eux n’oublieront pourtant pas la leçon du maître de Tchouguïev. En témoignent les tourbillonnantes Danses polovtsiennes (1955) d’Alexandre Guerassimov (1881-1963)...


Comparaison personnelle : Ilya Répine (1844-1930), Le Gopak. Danse des Cosaques zaporogues, 1926-1930, huile sur linoléum, Myra Collection / Alexandre Guerassimov (1881-1963), Danses polovstiennes, 1955, huile sur toile, Moscou, Collection privée (œuvre non présentée dans l'exposition).


Margaux Granier

 

Du 05 octobre 2021 au 23 janvier 2022

EXPOSITION TEMPORAIRE

Ilya Répine (1844-1930)

Peindre l’âme russe


Petit Palais, Paris

Avenue Winston-Churchill 75008 Paris



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