Suite à sa découverte au XVIe siècle, l'Ara Pacis a connu une véritable mise en valeur au XXe siècle sous le régime fasciste de Mussolini qui s'en est servi comme un vecteur de sa légitimation politique, au même titre qu'Auguste à son époque avec un objectif différent. Aujourd'hui, l'édifice dispose d'un écrin au sein d'un musée qui lui est dédié au centre de Rome. Mais que transmet véritablement ce monument de l'idéologie du premier souverain de ce que l'on appelle l'Empire romain ?
Suite à son émancipation vis-à-vis du second triumvirat et de sa victoire face à Marc Antoine et Cléopatre VII à la Bataille d’Actium en 31 avant J.-C., Octave proclame son hégémonie sur le pouvoir d’une Rome encore républicaine et devient Auguste en 27 avant J.-C., titre qui lui est accordé par le Sénat romain.
C’est le début d’une nouvelle ère, que l’on appelle communément Empire romain. Cependant, parler d’Auguste comme premier empereur de Rome est un abus de langage et une simplification de l’Histoire. Les Romains rejettent majoritairement un retour au pouvoir d’un seul individu et à la royauté, abolie depuis 509 avant J.-C. Le peuple romain tient pour acquis les valeurs républicaines qui se sont forgées avec le temps et souhaite garder le pouvoir détenu par le Sénat.
Caius Octavius, que l’on appelle donc Auguste, est ainsi un prince, le « primus inter pares », c’est à dire « le premier parmi ses semblables », ou plutôt le premier des citoyens. C’est pourquoi les historiens de la Rome antique parlent davantage de Principat quand ils évoquent l’Empire romain et surtout l’époque de la dynastie julio-claudienne.
Ainsi, toute la problématique à laquelle se confronte Auguste est celle de légitimer la primauté de son pouvoir hégémonique tout en ménageant le Sénat et son pouvoir, auquel il tient. Mais aussi de faire oublier les troubles et les horreurs qui ont pu marquer les esprits lors des guerres civiles du dernier siècle de la République romaine.
La solution à ces problématiques trouve un exemple dans l’édification de l’Ara Pacis Augustae que l’on peut traduire par « Autel de la Paix d’Auguste », car Auguste souhaite se placer comme le pacificateur de Rome, celui qui a su rétablir l’ordre et le retour à des valeurs anciennes auxquelles les Romains sont très attachés : le mos majorum. L’édification de cet autel est par ailleurs mentionné par Auguste lui-même dans le texte des Res Gestae (Res Gestae, 12) comme commérant son retour suite à la pacification de l’Hispanie et la Gaule, ajoutant un aspect victorieux et de conquête à l’ensemble.
L’Ara Pacis est un monument - plus précisément un autel - édifié en l’honneur de la divinité Pax, déesse de la Paix, entre 13 et 9 avant notre ère. Cette construction est placée à la limite du pomerium, la zone sacrée de Rome, à l’extrême nord du Champ de Mars.
Cet édifice possède une enceinte de 11,65 x 10,62 mètres pour une hauteur de 7 mètres. Les parois externes et internes de l’enceinte sont toutes décorées de somptueux reliefs et particulièrement en ce qui concerne la partie extérieure ; celle qui est évidemment à la vue de tous.
La façade occidentale qui permet l’accès à l’enceinte de l’autel est flanquée de deux reliefs dans ses parties supérieures. À gauche, le panneau du Lupercal et la découverte de Romulus et Rémus par le berger Faustulus, tandis qu’à droite est représenté le Sacrifice d’Énée à Lavinium reprenant le Chant VIII de l’Énéide de Virgile.
À l’arrière, sur la façade occidentale, dans les parties supérieures sont représentées à gauche Tellus Mater, mère nourricière, et à droite la déesse Rome, Dea Roma.
Les parties latérales du monument sont flanquées de part et d’autres de reliefs représentant des frises processionnelles orientées vers l’est et l’ouest. À l’ouest sont représentés les membres du Sénat, tandis qu’à l’est sont représentés les membres de la famille impériale accompagnés de différents personnages qui sont des prêtres ou des magistrats de rang supérieur. La conservation sur place de ces reliefs reste partielle et le musée du Louvre conserve notamment un fragment du relief de la procession de la famille impériale qui est issu de l'ancienne collection Campana.
La partie interne des parois est quant à elle décorée d’une succession de guirlandes ponctuée par des bucranes qui signifient la vocation religieuse de l’édifice et des sacrifices rendus en l’honneur de la divinité Pax.
Le résumé de cet ensemble, permet de comprendre que ce monument combine plusieurs registres dont se sert Auguste pour légitimer son pouvoir. À la fois les origines de la cité, avec la présence d’un relief consacré à Énée et d’un autre relief qui est consacré aux jumeaux Romulus et Rémus. Mais aussi la religion, qui se retranscrit dans la vertu romaine de la pietas avec l’évocation de la déesse Rome et de Tellus Mater. Tandis que du point de vue politique, Auguste met en avant les membres du Sénat et des hautes magistratures, ainsi qu’une portée proprement dynastique en représentant dans une frise processionnelle, l’ensemble de sa famille et des futurs prétendants au pouvoir qu’il détient.
Ce monument reste un témoin parmi d’autres des procédés mis en place par Auguste pour légitimer sa position sur un pouvoir puissant mais ambigu ; ce que nous appelons « l’idéologie augustéenne ».
Rappelons que l’acceptation du terme même d’idéologie est remis en question, dans la mesure où celui-ci est un concept moderne, introduit par Destutt de Tracy en 1796 et qui est popularisé au XIXe siècle.
Toutefois, les entreprises d’Auguste pour asseoir sa légitimité sont de l’ordre de ce que nous appelons une idéologie. Cette édification monumentale se conjugue à la mise en place d’un culte au Génie d’Auguste ; que l’on peut considérer comme un « culte impérial » mais qui n’est pas destiné directement au Prince mais à son génie, une entité le représentant, le souverain n’étant divinisé qu’à son décès.
Alban Pitault
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