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"La fuite en Egypte" par Nicolas Poussin


Versailles, 1986. Après de très longues années, une toile que l’on pensait disparue réapparaît lors d’une vente aux enchères. Jugée comme émanant de l’atelier du célèbre peintre Nicolas Poussin, l’œuvre est achetée par des collectionneurs privés pour 1 600 000 francs. Malheureusement pour eux, la toile est de nouveau expertisée mais cette fois comme étant une production du peintre lui-même. L’ancien vendeur s’estimant trompé saisit la justice pour que la toile lui soit réattribuée. Après de nombreuses péripéties judiciaires, son trésor lui revient. Elle est une nouvelle fois mise aux enchères mais non plus pour 1,6 million de francs mais 15 000 000 d’euros. C’est une somme folle mais il en faudra plus au Musée des Beaux-Arts de Lyon pour abandonner l’idée de posséder dans sa collection permanente une peinture du maître Nicolas Poussin. Et en effet, elle s’y trouve depuis 2008. Permettez-moi de vous présenter La fuite en Egypte.

Dimensions ( H x L) : 98 x 133 cm


Comment expliquer un tel revers de situation ? Nicolas Poussin n’est pas un nom ordinaire. Né en 1594 et mort en 1665, cet homme s’est incontestablement imposé comme une figure majeure de la peinture européenne et du classicisme français. En tant que peintre de ce courant, il a beaucoup été influencé par les règles de l’Académie et donc par l’antiquité romaine ainsi que les peintres de la Renaissance comme Raphaël. Sa réputation lui offre la possibilité d’être le peintre du roi de France entre 1640 et 1642 mais il préfère retourner à Rome, là où il peindra La fuite en Egypte.


Les Romains de l’antiquité n’avaient pas la même manière de lire et de comprendre une composition comme nous le faisons aujourd’hui. Ils voyaient dans chaque œuvre non pas une scène figée mais au contraire toute une histoire, tout un monde. A mon sens, c’est de cette manière qu’il faut regarder ce chef d’œuvre pour en comprendre tout le sens.


Nicolas Poussin se fait l’interprète de l’Evangile Matthieu. La fuite en Egypte raconte un passage biblique bien connu. Le tristement célèbre roi Hérode apprend par les Mages que le futur roi des Juifs vient de naître. Entrant dans une furieuse colère, il ordonne à ses soldats de massacrer tous les enfants mâles de moins de deux ans dans le but de conserver son pouvoir. Heureusement, Joseph est informé par un ange et fuit avec Marie et Jésus. L’œuvre nous offre une magnifique représentation de la fuite de la sainte famille.


Le tableau nous offre bien plus qu’une représentation figée de cette fuite. Il nous faut l’observer dans son intégralité, dans un sens et une logique bien définie. Pensons l’œuvre comme un livre, pour comprendre il faut le lire de gauche à droite. Pour nous aider dans notre lecture, Nicolas Poussin a construit et élaboré la scène autour d’une diagonale partant de l’extrémité qui se trouve en haut à gauche pour rejoindre son opposée. Cette ligne imaginaire sépare l’espace sacré (à gauche), espace représentant un passé heureux et l’espace terrestre (à droite) qui, lui, symbolise une réalité future beaucoup plus sombre, très incertaine. Habilement, l’artiste nous montre la sainte famille -guidée par un ange- au centre de ces deux réalités manichéennes. Plus subtil encore, le jeu des regards des personnages véhicule cette idée de dualisme. Regardez les directions de ces regards, aucun n’a la même trajectoire. L’âne regarde par terre, il avance dans un environnement très ténébreux, dangereux. Joseph, paniqué, s’adresse à l’ange qui lui indique le chemin d’un geste très augustéen. Marie, quant à elle, regarde derrière, peut-être par nostalgie d’un heureux passé ou bien par crainte de ce qui l’attendait (libre à chacun d’interpréter son triste regard de la manière qu’il souhaite). Jésus quant à lui nous regarde, cherche à nous interpeller. La manière dont Marie porte Jésus est très représentative d’une figure de mère très protectrice qui doit fuir pour protéger son enfant.


L’environnement dans lequel Poussin a choisi de représenter la famille divine a lui aussi toute son importance pour comprendre l’histoire. La toile est très marquée par l’antiquité romaine, notamment à travers le portique en arrière-plan. L’arrière du temple de Jérusalem nous permet de localiser précisément le lieu de l’action. Afin de parler de l’œuvre dans son ensemble, il me semble pertinent de souligner que les couleurs utilisées sont une fois de plus une aide pour comprendre cette opposition entre passé et futur. En effet, la gauche du tableau (je le rappelle créée par la diagonale) est très claire, apaisante. La droite vous vous en doutez est plus sombre avec des couleurs qui tournent autour du marron. Le jeu des couleurs est absolument décisif pour notre lecture. Cependant, notre œil est naturellement attiré par le centre de la toile, par le blanc majestueux du drapé que porte Marie qui se fait l’allégorie de la pureté.


Bien que le sujet de la toile soit marqué par la religion, il apporte peut-être une universalité à un problème qui nous concerne tous, l’avenir. Cette opposition sur laquelle nous avons beaucoup insisté peut tout à fait illustrer nos vies, au centre de passé et futur.

Philippe Robert

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