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La Nativité d’Aigueperse : Benedetto Ghirlandaio pour Gilbert de Bourbon-Montpensier


Même si le Saint Sébastien de Mantegna ne s’y trouve plus depuis le début du XXe siècle et est aujourd’hui conservé au musée du Louvre, il reste bien une œuvre remarquable dans l’église d’Aigueperse, en Auvergne : une Nativité peinte vers 1490 par l’Italien Benedetto Ghirlandaio à la demande de Gilbert de Bourbon-Montpensier. Quelques éléments sur cet important jalon de la peinture en France à la fin du XVe siècle.


Benedetto Ghirlandaio, La Nativité, 1490. Huile sur bois, 1,47 x 1,47 m. Aigueperse, église Notre-Dame ©NicolasBousser


Initialement commandée pour la Sainte-Chapelle d’Aigueperse et aujourd’hui installée dans une chapelle latérale de l’église Notre-Dame, cette Nativité attira tôt l’attention de savants et historiens de l’art. Mérimée fut parmi les premiers à signaler le panneau en 1838. Dans les années 1920, Roberto Longhi fut l’un des rares à venir voir l’œuvre de ses propres yeux.


Un consensus s’accorde aujourd’hui pour reconnaître l'année 1490 comme plausible pour sa date de conception. À cette période, Gilbert de Bourbon-Montpensier, le dauphin d’Auvergne, est rentré de son ambassade à Rome menée entre 1485 et 1486, très certainement encore marqué par les productions qu’il a pu observer de l’autre côté des Alpes. Il possède alors déjà le Saint Sébastien peint par Mantegna entre 1478 et 1480. Sans doute impressionné par les peintures de la Chapelle Sixtine, il essaye vraisemblablement de recruter Domenico Ghirlandaio, l’aîné bien connu de cette fratrie de trois peintres, sans succès. Il se tourne alors vers le plus jeune, Benedetto. Les documents attestent en effet bien du départ d’Italie de Benedetto Ghirlandaio entre 1486 et 1493. Vasari, quant à lui, précise son arrivée en France. La carrière de l’artiste reste cependant pour l’heure assez obscure. Né entre 1458 et 1459, Benedetto décède à Florence en 1497. Dominique Thiébaut, dans le catalogue de l’exposition Mantegna au Louvre en 2008, souligne que le peintre doit en 1480 renoncer à son métier de miniaturiste pour cause de problèmes de vue. Hormis cet élément et son déplacement en Auvergne à la fin des années 1490, très peu de dates identifiées jalonnent ce que l'on connaît de sa vie.


Andrea Mantegna, Saint Sébastien, vers 1478-1480. Tempera sur toile, 2,55 x 1,40 m. Paris, musée du Louvre. © 2008 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojéda


Benedetto Ghirlandaio, La Nativité, 1490. Huile sur bois, 1,47 x 1,47 m. Aigueperse, église Notre-Dame. Détail. ©NicolasBousser


La scène déploie un nombre important de personnages, vingt-cinq si l’on compte les deux bergers représentés en haut à droite de la composition. Sans doute en manque-t-il d’ailleurs dans l’état actuel du tableau. En effet, la partie supérieure gauche a été à une date inconnue découpée et depuis remplacée par un morceau de bois de substitution poursuivant le paysage montagneux – semblant évoquer la chaîne des Puys et les paysages environnant Aigueperse – de l’arrière-plan.

Dominique Thiébaut précise que subsiste de cette partie découpée un fragment aujourd’hui conservé en mains privées – indiqué comme non localisé à ce jour sur la base AGORHA -, représentant trois bergers accoudés.


Un cartellino renseigne : "JE BENEDIT GRILLANDAYO FLORENTIN/AY FAIT DE MA MAIN CE TABLEAU LAN/MIL CCCCIVXX ET DIX ABN LA MAISON /DE MONSEIGNEUR LECONTE DE MON/TPAN DAUPHIN DAUVERGNE "


Benedetto Ghirlandaio, La Nativité, 1490. Huile sur bois, 1,47 x 1,47 m. Aigueperse, église Notre-Dame. Détail du cartellino. ©NicolasBousser


La Vierge et le Christ enfant apparaissent au centre de la composition, dans l’enceinte de l’étable, entourés de seize personnages juvéniles – peut-être des princes de la maison de Bourbon – et de Joseph. La lumière se concentre sur cette vision, le peintre dévoilant dans les tenues des personnages une palette vive et acidulée. L’âne, le bœuf et d'autres éléments comme une selle, des sabots - renvoyant par ailleurs potentiellement à l’Auvergne - ou encore un crapaud au premier-plan viennent circonscrire la narration dans l’étable. À l'extérieur, quatre personnes observent la scène avec attention, appuyés sur la balustrade. Il est présumable de reconnaître parmi ceux-ci Gilbert de Bourbon-Montpensier dans les traits du personnage priant au centre, juste à droite de la partie découpée, et Benedetto Ghirlandaio lui-même dans ceux de l'homme regardant dans notre direction, à droite de l’espace.


Benedetto Ghirlandaio, La Nativité, 1490. Huile sur bois, 1,47 x 1,47 m. Aigueperse, église Notre-Dame. Détails. ©NicolasBousser


Benedetto Ghirlandaio, La Nativité, 1490. Huile sur bois, 1,47 x 1,47 m. Aigueperse, église Notre-Dame. Détail du cartellino. Détails : Peut-être Gilbert de Bourbon-Montpensier prête-t-il ses traits au personnage priant à gauche. Benedetto Ghirlandaio semble quant à lui s'être représenté observant le spectateur. ©NicolasBousser


Le peintre livre ici une œuvre teintée d’un italianisme mesuré et véritablement influencée par les Flamands, et plus précisément par Hugo van der Goes. Il faut rappeler que le Triptyque Portinari, réalisation majeure du maître, est à Florence dès 1483.

De plus, un autre artiste très marqué par l’art du grand peintre gantois – car très vraisemblablement formé dans son atelier – travaille non loin de l’Auvergne en 1490 : Jean Hey, le Maître de Moulins. Il est tout à fait possible d'imaginer que les deux hommes se sont rencontrés, dans la région d’Aigueperse, à Lyon ou à Moulins. Le début des années 1490 correspond à l’arrivée de Jean Hey au service de Pierre et Anne de Beaujeu en Bourbonnais. Tout cela aura sans aucun doute nourri le pinceau de Benedetto. De même, cet italianisme assagi au profit d’un art puisant chez van der Goes, qui tranche véritablement avec les propositions effectuées par Mantegna dans son Saint Sébastien dix ans auparavant, fut peut-être plus adapté au goût de la cour de Gilbert Bourbon de Montpensier en Auvergne.


Jean Hey, La Vierge à l'Enfant entourée d'anges, vers 1490-1492. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. ©NicolasBousser

 

Références bibliographiques

- Agosti G. & Thiébaut D. (dir.), Mantegna. 1431-1506, Paris 2008. p. 218-220.

- Canque P. Un primitif italien de B. Ghirlandayo, la Nativité d'Aigueperse, in Revue d'Auvergne, 53 (1939), p. 25-37.

- Gianeselli M. De Domenico à Ridolfo del Ghirlandaio. Pratiques et fortune d’un atelier familial à Florence entre XVe et XVIe siècles, in ArtItalies. Le bulletin de l’AHAI, 19, 2013, p. 39-46

- K. Cadogan J. Domenico Ghirlandaio: Artiste et artisan. Paris 2002. 428 p; - Vasari G. Le Vite, 1568.

- Vissière L. Capitale malgré elle ? Aigueperse au temps des Bourbon-Montpensier (1415-1505), in Le Duché de Bourbon des origines au Connétable, suivi d'un extrait du 'Désastre de Pavie' de Jean Giono, Actes du colloque des 5 et 6 octobre 2000 organisé par le musée Anne-de-Beaujeu de Moulins, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu autour, 2001, p. 166


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