Après la statuaire du Moyen Âge puis celle de la Renaissance, la galerie Sismann, Quai Voltaire, parachève son triptyque d’expositions par la présentation jusqu’au 30 avril d'une sélection d'œuvres baroques. Néanmoins, là où les deux étapes précédentes se voulaient centrées sur l’art français, cette dernière exporte notre regard vers un corpus plus diversifié avec un penchant méridional, notamment italien.
Caryatide du règne de Louis XIV (détail.). Fin du XVIIe siècle, marbre, H.91 ; L.34 cm. France. Photographie : Nicolas Bousser
Définir le baroque n’est pas chose aisée tant le terme, issu du portugais barocco soit perle irrégulière, a été surutilisé, surdéfini, déformé, et remis en cause depuis le XVIIe siècle. Son emploi en histoire de l’art semble d'abord avoir été péjoratif, désignant ainsi ce qui était contraire à la norme, relevant plus du caprice que de la raison. En cela, il était opposé au terme classique, associé lui à la rigueur et à l'esprit. Aujourd’hui, ce préjugé est largement récusé et l’art baroque pleinement valorisé. De surcroit, il est même à la mode comme en témoigne la multiplication des expositions qui lui sont liées avec, pour n’en nommer que deux, Les Bas-fonds du baroque au Petit Palais en 2015 et Tempo Barocco au Palazzo Barberini l’année dernière. Dans celles-ci est montrée une vaste production s’étalant à l’échelle européenne, s’étendant de la fin du XVIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, et dont le trait commun est la recherche du mouvement et de l’émotion. Pour cela, les artistes usent de formules et d’artifices multiples, faisant de ce courant quelque chose de protéiforme.
C’est cette diversité que tend à montrer l’exposition de la galerie Sismann par la présentation d’une trentaine de sculptures. Parmi elles, une Vierge à l’Enfant en marbre due à Giovanni Antonio Cybei (1706-1784) prouve par exemple que la sculpture baroque peut être porteuse d’équilibre. En effet, dans un léger contrapposto, la Madone semble s’avancer posément sur la nuée d’angelots qui lui sert de support. Dans ses gestes et expressions, tout n’est que douceur alors même que le travail du drapé est lui plus virevoltant, donnant ainsi à la figure une sensation prégnante de vie propre à l’art baroque. Cet équilibre est caractéristique de Cybei, artiste originaire de Carrare, où il fut le directeur de l’Académie des Beaux-Arts, et se retrouve notamment dans l’un de ses chefs-d’œuvre L’Immaculée Conception de l’hôpital civique de Carrare.
Giovanni Antonio Cybei (1706-1784), Vierge à l'Enfant. Troisième quart du XVIIe siècle, marbre, H.75 cm. Photographie : Nicolas Bousser
Giovanni Antonio Cybei (1706-1784), Vierge à l'Enfant (détail.). Troisième quart du XVIIe siècle, marbre, H.75 cm. Photographie : Nicolas Bousser
Dans l’art du buste, la quête de l’expression et du mouvement associée à l’idée de baroque s’exprime également comme en témoigne une surprenante paire, lue par la galerie comme la représentation des dieux romains Mars et Flore. Des deux, celui de Mars est sans doute le plus intéressant du fait de son originalité. En effet, avec sa moustache, le dieu de la guerre semble plus proche d'un soldat du Second Empire que d'un modèle antique. Au-delà de ce détail iconographique, ce buste est marqué par une profonde intériorité due aux jeux de clair-obscur qui dessinent le visage. Cette volonté de mettre en avant les expressions, typique du baroque, est également assez répandue dans l’art d’Orazio Marinali, l’un des grands maîtres de la sculpture en Vénétie dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et à qui la paire est attribuée.
Attribué à Orazio Marinali (1643-1720), Buste, Mars ? Vers 1700, Pierre de Vicence, H.60 ; L.57 cm, Venise. Photographie : Nicolas Bousser
Toujours dans la région de Venise, comment ne pas évoquer le travail de Francesco Bertos (1678-1741), duquel trois œuvres sont présentées dans l’exposition. La première, un Apollon accompagné par Cupidon, représente le penchant classique de cet artiste passionné par le mouvement et aujourd’hui largement oublié. Dans ce groupe, le sculpteur représente le dieu de la Lumière dans un contrapposto très marqué qui contraste avec la stabilité de l’ensemble provoquée par la verticalité de la souche sur laquelle il s’accoude. Par cette composition, la sculpture évoque sans doute de fameux modèles antiques, notamment l’Hercule Farnèse à qui le dieu semble emprunter sa pause. Né à proximité de Padoue, Bertos était célèbre en son temps pour ses groupes virtuoses dans lesquels les personnages sculptés semblent se détacher de leur support. La deuxième œuvre de l’artiste présentée dans l’exposition témoigne parfaitement de ce savoir-faire. Il s’agit d’un combat entre deux soldats où le marbre est largement ajouré pour faire apparaitre toute la force de la lutte et l’expressivité des mouvements. Organisé en X, la composition joue à la fois sur une vision frontale et sur la profondeur par des personnages dont les positions incitent à tourner autour de l’œuvre. Encore une fois, si le traitement des visages n’est pas des plus réussis, le travail autour du mouvement et des expressions, caractéristique du baroque, fait de cette œuvre une pièce maitresse du corpus de l’artiste et de l’exposition. Enfin, la troisième œuvre de Bertos présentée par les Sismann représente un Dieu fleuve, mis en scène selon la tradition antique comme un vieillard, nu et allongé. Encore une fois, Bertos, dans ce petit marbre, s’appuie sur une iconographique classique - celle des soldats s’affrontant n'est ainsi pas sans rappeler celle des galates du grand autel de Pergame - qu’il redynamise de manière tout à fait baroque. Ici, l’artiste joue sur la position du dieu qu’il contorsionne afin de l’animer.
Francesco Bertos (1678-1741), Deux soldats au combat. Début du XVIIIe siècle, marbre, H.41,9 cm, Italie. Photographie : Nicolas Bousser
Terminons par la plus surprenante des œuvres présentées quai Voltaire. A première vue, cette étreinte entre un angelot et une femme nue la bouche ouverte ne présente pas une lecture aisée. Il s'agit en réalité de la représentation d'une âme sauvée du purgatoire, une iconographie qui connut un grand succès dans les Flandres à la période baroque, dans le cadre de la volonté de l'Eglise catholique d'affirmer son importance dans la région. En effet, c'est par le respect du rite catholique que l'âme pouvait éviter un long séjour au Purgatoire. La sculpture, attribuée à Artus Quellin le Jeune, est donc le témoin, sous la forme d'un fragment, d'une plus vaste composition, sans doute similaire dans l'esprit à celle fameuse qui se situe au niveau du jardin du Calvaire de l'église Saint-Paul des Dominicains à Anvers, montrant un certain nombre d'âmes libérées du Purgatoire - l'espoir semble ainsi renaître dans le regard de la femme.
Artus Quellin le Jeune (1625-1700), Une âme sauvée du Purgatoire par un ange. Vers 1660-1670, marbre, H.85 ; L.35 ; P.15 cm. Flandres. Photographies : Nicolas Bousser
Ainsi, et comme l'évoque cette courte sélection, c’est une part méconnue de la sculpture baroque, celle des maîtres quelque peu délaissés parfois même oubliés, que présente jusqu’au 30 avril la galerie Sismann aux côtés d'artistes plus réputés. C’est ainsi l’occasion d’ouvrir son horizon artistique vers un art foisonnant où chaque artiste renouvelle à sa manière la quête du mouvement et de l’émotion.
Antoine Lavastre
Baroque. Sculptures européennes 1600-1750.
25 mars-30 avril 2022.
Galerie Sismann 33 Quai Voltaire, 75007 Paris 01 42 97 47 71
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