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La Vierge à l'Enfant et le mystère de la Passion


La Vierge à l'Enfant est certainement l'un des thèmes religieux les plus représentés de l'époque moderne, et les madonnes inondent aujourd'hui les collections des musées de l'Hexagone et du Vieux Continent. Ce succès s'explique notamment par la multitude de possibilités de représentation qu'offre aux artistes la mise en scène de la maternité de la mère du Christ. Cependant, s'il n'existe pas une Vierge à l'Enfant semblable à une autre, celle de Giovanni Battista Tinti se différencie tout particulièrement de ses consœurs. Explications.


L'oeuvre de Giovanni Battista Tinti, réalisée en 1588 (©Hermann Rodriguez)

Florence, 1550. Giorgio Vasari publie sa première édition des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Dans cet ouvrage encyclopédique, enrichi en 1568, le biographe répertorie les plus grands artistes de son temps et définit pour la première fois le courant culturel qui secoue l'Europe depuis maintenant deux siècles : la Rinascita, ou Renaissance. Apparue en Italie au Trecento, c'est à dire au XIVe siècle, ce mouvement place l'Homme au centre de ses préoccupations. Cet intérêt pour l'individu et ses besoins ne s'effectue toutefois pas au détriment de la religion catholique qui régit la vie des contemporains. La preuve en est donnée avec l'oeuvre à l'étude, La Vierge à l'Enfant et le mystère de la Passion.


Autoportrait de Vasari, vers 1550-1567

Cette toile de 1.56 mètre de large par 2.54 de haut a été réalisée vers 1588 de la main du maître parmesan Tinti. Véritable chef-d'oeuvre du peintre maniériste, il est conservé au Musée des Augustins à Toulouse. La vie de son auteur reste très incertaine. Né en 1558, Giovanni Battista Tinti se forme à Bologne auprès de Orazio Sammachini. Il retourne ensuite dans sa ville natale où il est influencé par les travaux de Parmesan, l'un des premiers maniéristes. Si ce dernier est décédé il y a presque un demi-siècle au moment de l'exécution de cette huile sur toile, son héritage est bien visible. En effet, le maniérisme consiste à rompre avec l'exactitude des proportions du corps humain atteinte durant la Haute Renaissance au début du XVIe siècle. Cet aboutissement des techniques de représentation de l'individu conduit certains artistes à utiliser de nombreux éléments symboliques dans leurs œuvres au détriment parfois de la vraisemblance. Notre Vierge à l'Enfant est donc peinte au crépuscule de la Renaissance.


Cadrage sur les anges, la Vierge et le Christ (©Hermann Rodriguez)

Ce qui marque de prime abord la rétine de l'observateur, c'est bien sûr l'atmosphère inquiétante de l'oeuvre. Ce sentiment d'oppression et de malaise face à la toile est notamment éprouvé à la vue des visages blafards de l'ange situé à côté de la Vierge, de celle-ci, et du Christ qu'elle tient dans ses bras. Ce dernier vient de naître mais semble pourtant déjà mort. Son corps est squelettique et on peut remarquer que ses yeux sont fermés et sa bouche légèrement entrouverte, comme s'il poussait son râle d'agonie. Le bleu du manteau qui recouvre Marie est caractéristique des représentations de la Vierge et constitue sa couleur attribut la plus commune, en référence à celle du ciel divin. Quant au rose de sa tunique, il renvoie à l'origine mortelle et terrestre de la mère du Christ. A noter que ce rose est l'unique couleur chaude de la composition, et ce sont bien les tons bleus, blancs et gris qui dominent l'ensemble. Un ruban de couleur bleu lui aussi ceint la taille de la Vierge. Le nœud affirme ainsi la pureté restée inviolée même après la naissance de son enfant.


Les personnages sont au centre de la toile de Tinti. Derrière l'ange debout aux côtés de la Vierge, on peut apercevoir un second ange guidant un chérubin vers la Madonne. Derrière celle-ci, deux rois mages discutent avec énergie, l'un pointant même sa main en direction du spectateur. On peut supposer qu'il s'agit de Melchior, représenté sous des traits plus jeunes que Gaspard, dépeint ici en vieillard aux cheveux et à la barbe blanchis par l'âge. Sa crosse et sa coiffe aident notamment à le reconnaître. Balthazar lui, ne figure pas dans la scène. Toutefois il est incarné par la myrrhe qui pousse aux pieds des deux autres rois mages, cadeau qu'offre Balthazar à Jésus comme annonciateur de sa souffrance à venir lors de la Passion. Le caractère inéluctable de la mort est aussi symbolisé par le calice tenu dans sa main par l'ange debout, qui s'apprête ainsi à recueillir le sang du Prophète. Il paraît judicieux de citer en outre la couronne d'épine tendu par le second ange en direction du nouveau-né, prête à couronner sa tête.


Enfin, le paysage achève d'instaurer le cadre mortifère de l'oeuvre. De gros nuages noirs de jais tourbillonnent au-dessus de la scène et forment un véritable orage au sein même duquel on aperçoit une vive éclaircie. Au cœur de la tempête on devine en effet des figures à peine esquissées juchées sur des nuages blancs qui contrastent avec leurs congénères. On peut supposer qu'il s'agit d'anges contemplant l'action. L'arbre situé tout à droite de la toile emmène le regard du spectateur vers ce ciel menaçant. Cependant, il invite également l'observateur à s'interroger sur la scénette qui se joue au premier plan de la composition. Dans le coin inférieur droit de l'oeuvre, on distingue en effet un satyre chevauchant un bouc. Or cette créature est l'un des attributs majeurs du démon. Les mauvaises herbes qui prolifèrent en nombre aux pieds des personnages divins attestent du caractère infernal de cette partie de la toile.


Un détail choisi, le satyre chevauchant un bouc (©Hermann Rodriguez)

En définitive, les protagonistes de l'oeuvre se situent littéralement entre le courroux du Ciel et les ténèbres de l'Enfer. L'aspect très sombre de la toile est souligné par la technique du sfumato inventée par De Vinci et employée ici par l'artiste. Ce choix d'apposer une nouvelle couche de couleur sur la peinture sèche renforce le mystère en estompant les contours des formes. L'ensemble de la scène est alors plongé dans une brume froide. Giovanni Battista Tinti se démarque donc de ses contemporains en signant une toile inquiétante qui a pour but de rendre compte de la mortalité du Christ et de ses souffrances à venir. A travers un exemple biblique, le peintre cherche en réalité à interroger le spectateur sur sa propre existence terrestre. Cette toile peut enfin être replacée dans la volonté de contre-réforme menée par l'Eglise catholique suite au schisme luthérien de 1517, qui vise à restaurer les valeurs originelles du christianisme. Le sérieux voire le pessimisme de l'oeuvre s'expliquerait ainsi par une démarche pédagogique de l'auteur et de l'Eglise qui en fut le commanditaire.


La chapelle dans laquelle est exposée l'oeuvre (©Hermann Rodriguez)

Réalisée en 1588 à Savone en Ligurie, la toile fut initialement accrochée dans l'église des Capucins de la ville. Elle passa ensuite par les collections du musée du Louvre qui prêta la toile sous forme de dépôt au musée des Augustins en 1957. Joyau des collections de l'institution, on peut toutefois regretter le manque d'exposition du chef-d'oeuvre de Tinti. En effet, comme en témoignent les clichés de la toile, cette dernière n'est pas vraiment mise en valeur par le parcours scénographique proposé au visiteur. Nichée dans une des dix-sept chapelles latérales de l'église gothique en compagnie de trois réalisations de Nicolas Tournier dont une manque à l'appel actuellement, l'oeuvre manque à l'évidence de visibilité. Un projecteur unique éclaire principalement le haut de la peinture, laissant un peu plus le reste de l'huile dans l'ombre monacale du couvent.




Cependant cet anonymat aussi injuste soit-il, ne rend que plus belle la surprise du curieux qui saura s'arrêter devant ce bijou atypique d'un peintre oublié. De plus, l'entrée du musée est accessible pour seulement 4 euros jusqu'à la fin 2019 le temps des travaux de réfection des verrières condamnant les salons de peinture. L'occasion de pousser la porte de l'église du couvent et de faire la rencontre de cette bien ténébreuse Vierge à l'Enfant.


Antoine Bouchet

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